Les Territoires pilotes de la sobriété foncière ont une longueur d’avance

A l'approche du décret sur le zéro artificialisation nette et de la phase 2 du programme Action coeur de ville, les 7 Territoires pilotes de la sobriété foncière sont une source d'inspiration précieuse pour l'ensemble des collectivités. Après plus d'un an d'expérimentation, ils affichent "une diversité de solutions".

Construire la ville sur la ville ? Facile à dire… Mais à l’heure du zéro artificialisation nette, les "Territoires pilotes de la sobriété foncière" veulent montrer que c’est possible. Lancée dans le cadre du programme Action cœur de ville (ACV) fin 2020, cette expérimentation visant à lutter contre l’étalement urbain commence à porter ses fruits. Sept collectivités (Draguignan, Dreux, Louviers, Poitiers, Sète, Maubeuge, Epernay) avaient été désignées en tant que "démonstrateurs" lors d’un appel à manifestation d’intérêt (voir notre article du 11 juin 2021). Chacune avait été retenue pour son action dans le domaine et pour ses caractéristiques propres : pression touristique à Draguignan et Sète, risque inondation à Draguignan, vignoble champenois de haute valeur à Epernay, proximité avec l’agglomération parisienne pour Dreux...  La première étape a constitué à faire émerger une "gouvernance locale" avec tous les élus de l’intercommunalité afin de sortir de la "concurrence entre la ville centre et la périphérie", ce qui a pu être facilité par les opérations de revitalisation de territoire (ORT), a pu expliquer Hélène Peskine, secrétaire permanente du Puca (Plan urbanisme construction et architecture), partenaire du programme aux côtés de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), lors d’un point d’étape, mardi 8 mars. Il a fallu ensuite "acculturer les élus", apprendre aussi à "recycler les centres-bourgs" (sachant que chacune des agglomérations comporte des villes du programme frère d’ACV : Petites villes de demain), installer un chef de projet… Chaque territoire a été aidé financièrement pour recruter une assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO) locale afin de se faire accompagner sur les trois ou quatre ans du programme. Ce recrutement a pu passer par des conventionnements avec des acteurs publics ou parapublics (agences d’urbanisme ou des établissements publics fonciers) ou des cabinets privés (juristes, architectes…). Hélène Peskine souligne d’ailleurs la nécessité d’une "mise en relation des collectivités avec les acteurs fonciers du territoire". L’agence d’urbanisme du Toulonnais s’est ainsi rapprochée de la ville de Draguignan pour pouvoir travailler avec elle. Mais "la plupart des collectivités qui connaissaient l’établissement public foncier avaient déjà fait le choix de s’en rapprocher", a-t-elle constaté, comme Poitiers. "Si la sobriété foncière devient la ligne directrice de l’ensemble des projets de développement", il faut arriver à trouver un peu partout l’ingénierie nécessaire, insiste-t-elle.

S'appuyer sur l'identité du territoire

Aujourd’hui, "on voit bien la diversité des solutions" envisagées, a encore exposé Hélène Peskine. A Dreux, un entrepôt industriel avait déjà été transformé en scène culturelle ; la ville souhaite aujourd’hui se concentrer sur ce quartier pour le requalifier. A Louviers, une ancienne gendarmerie située en centre-ville fait actuellement l’objet d’une négociation avec le conseil départemental pour créer un écoquartier. Poitiers à un projet "très ambitieux" de micro-lotissements construits dans les dents creuses. Epernay possède "un espace assez peu occupé en cœur de village". Tous ces exemples sont "très représentatifs de ce que l’on peut donner à voir", a insisté Hélène Peskine, rappelant que l’objectif du programme est de "voir de façon positive la lutte contre l’étalement urbain", alors que le zéro artificialisation nette est "souvent vu de façon défensive". Preuve en est la vive réaction suscitée par les déclarations récentes de la ministre du Logement Emmanuelle Wargon sur la "maison individuelle".
"L’étalement n’est plus soutenable aujourd’hui", a clamé Rollon Mouchel-Blaisot, le directeur du programme Action cœur de ville (ACV). Etalement, déprise démographique et économique : tout ceci conduit souvent à une paupérisation du centre. Et il faut aussi, selon lui, travailler aux relocalisations d'activités.

Pour ces territoires démonstrateurs, la phase opérationnelle démarrera vraiment au second semestre 2022. L’occasion d’identifier le foncier invisible (friches, dents creuses...), de "faire la démonstration de la possibilité de ce recyclage urbain", d’identifier les freins ou blocages financiers… Hélène Peskine insiste sur l’importance de s’appuyer sur "l’identité du territoire". Beaucoup de ces communes ont un patrimoine important, une "mémoire industrielle". Il faut "faire valoir cette histoire pour sortir d’une forme de standardisation".

Phase 2 d'Action coeur de ville

Ces témoignages directs vont pouvoir coïncider avec le démarrage de la phase 2 d’Action cœur de ville début 2023. "Nous allons amplifier et accélérer cette démarche", a annoncé Rollon Mouchel-Blaisot, qui devrait prochainement remettre au gouvernement son "pré-rapport" sur la poursuite du programme Action coeur de ville. "Sans trahir de secret (…) la sobriété foncière fera partie des enjeux", a-t-il assuré. Si elle était déjà là "en filigrane", il s’agira de "l’institutionnaliser". "Tout ce qui sera aidé le sera sur le prisme de la sobriété foncière." Selon lui, il est aussi "très important que les investisseurs privés s’impliquent dans ces territoires".

Pour enrichir les réflexions, les 7 lauréats ont été rejoints par 18 autres collectivités au sein du "Cercle des territoires pilotes de la sobriété foncière" pensé comme un "incubateur". L’objectif : échanger, partager les expériences… Les réunions sont animées par l'architecte Pierre Jarlier, ancien sénateur-maire de Saint-Flour (Cantal) et actuel président du Cerema. A l’automne, deux territoires – l’agglomération de Bourg-en-Bresse et Le Lamentin – ont rejoint le cercle. Parallèlement, le Puca édite des "petits fiches outils" sur les expériences de ces sites : plan friches à Angoulême, négociation avec les acteurs économiques à Bourg-en-Bresse. Le 24 mars sera publiée une fiche sur le PLU d’Avignon qui, dès 2014, avait lancé un "moratoire" sur la construction de grandes surfaces (voir notre article du 8 février 2018).

Pour Jean-Baptiste Butlen, de la DGALN (ministère de la Transition écologique), les territoires pilotes sont des "ambassadeurs". Ils constituent un "miroir pour accompagner des réformes nécessaires mais compliquées". Il appelle aussi à "conforter le modèle économique" de ces opérations, à travers notamment la pérennisation du fonds Friches.