L'inspection générale de l'Éducation nationale prône un rapprochement avec les collectivités

Un rapport de l'Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche sur l'articulation des compétences des collectivités territoriales et de l'État dans les politiques nationales et territoriales de l'éducation conclut à des "divergences d’approches". Il préconise de multiplier les outils de gouvernance partagée.

Quarante ans après les grandes lois de décentralisation qui ont fixé la répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales en matière d'éducation, l’articulation entre ces acteurs "n’a pas encore trouvé son équilibre institutionnel et son degré de maturité opérationnelle". C'est ce qui ressort d'un rapport de l'Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) publié le 28 novembre 2022.

Du bâti scolaire aux transports d'élèves, en passant par l'orientation, le numérique éducatif, la restauration ou le temps périscolaire, communes, intercommunalités, départements et régions "ont largement pris leur place dans le paysage et particulièrement en termes d’investissements" afin de doter les établissements d'outils et de moyens "en faveur d’un système éducatif modernisé", affirme le rapport. La part des collectivités territoriales dans la dépense intérieure d'éducation est ainsi passée de 14% au début des années 1980 à 23% en 2021.

Dépasser le rôle de prestataires

Pour les rapporteurs, "cette implication croissante dans le domaine éducatif" a incité les collectivités "à exprimer une volonté forte de dépasser le rôle de 'prestataires' […] pour participer à la définition de projets éducatifs et à leur conception". De son côté, l'Éducation nationale a affiché "des postures de prudence vis-à-vis d’un rôle plus prégnant des collectivités". Comme le résume le rapport : "Les collectivités territoriales considèrent que cette articulation souhaitée avec les services centraux et déconcentrés de l’État apparaît encore imparfaite, parfois instable et en attente des décisions de fond qui permettraient d’appliquer réellement le principe de libre administration." Un récent forum du Congrès des maires a d'ailleurs offert une parfaite illustration de cette situation (lire notre article du 22 novembre).

Le rapport offre des exemples de ces "imperfections". En matière de bâti scolaire, alors qu'"une nouvelle période de modernisation est en train de s’ouvrir, […] les collectivités affichent des positions différentes pour engager ces travaux. Certaines signalent qu’une aide à l’ingénierie de la part de l’État est souhaitable". En matière d'orientation, les rapporteurs estiment que "l’attractivité des formations ou leur évitement, notamment dans l’enseignement professionnel, se situe sur une ligne de partage fragile qui est une source de tension avec les collectivités". Le rapport poursuit à propos du numérique qui "fournit un exemple pertinent non seulement du flou qui s’accentue dans la répartition des responsabilités, mais également de l’accélération de la coconstruction des politiques." S'agissant de l'exercice par les collectivités de l'autorité fonctionnelle sur l’adjoint gestionnaire des collèges et lycées, les personnels de direction "font le constat que les services déconcentrés de l’État […] ne sont pas toujours investis dans la construction [des] conventions, voire freinent la démarche par méconnaissance de la réalité ou crainte vis-à-vis de la collectivité". Enfin, les politiques visant à la continuité pédagogique – PEDT, cités éducatives, etc. – soulèvent pour les rapporteurs la question de la disponibilité et de la pérennité des financements.

Développement local contre politiques nationales

Il ressort du rapport que pour les représentants des collectivités, les établissements "doivent prendre en compte les réalités économiques, sociales, culturelles, géographiques de leur territoire d’implantation et se considérer comme un des éléments moteurs du développement local". À l'inverse, la posture partagée par la plupart des interlocuteurs des services déconcentrés du ministère de l'Éducation nationale vise à réaffirmer "avec force leur rôle premier de représentants de l’État, chargé en conséquence de décliner localement des politiques nationales". Ce constat, conforme aux positions de nombreux élus locaux impliqués dans les politiques éducatives (lire nos articles ici et ), étant posé, on attendait les propositions des rapporteurs.

Les préconisations sont, de façon assez inattendue, peu nombreuses compte tenu de l'ampleur des sujets à traiter. On n'en compte que cinq, dont quatre portent sur la refonte des instances de concertation, qu'elles soient nationales ou territoriales. Il est d'abord question de "confier aux instances territoriales [du ministère de l'Éducation nationale] une fonction de coconstruction des projets éducatifs locaux" (proposition n°1). Il s'agit ensuite, en matière d'orientation, d'"engager une réflexion sur les modalités d’une gouvernance nationale" qui viendrait en appui des instances territoriales déjà installées (proposition n°3). En outre, la mission est favorable à la mise en place d'"une véritable gouvernance interministérielle des dispositifs ainsi que d'un cadre conventionnel clair avec les collectivités territoriales" (proposition n°4). Enfin la gouvernance est encore présente dans la cinquième et dernière proposition, qui envisage "un travail de clarification des objectifs attendus de la continuité éducative, réunissant l’État et les collectivités territoriales" et vise à "définir, au niveau national, un nouveau type de concertation et des instances de gouvernance dans lesquelles les acteurs impliqués selon leurs compétences respectives seront représentés".

Instance de concertation

Une première réponse a été apportée à la rentrée de septembre 2022 – alors que le rapport avait été communiqué au ministre dès le mois de mars – avec la création d'une instance nationale de concertation entre l'Éducation nationales et les collectivités (lire notre article du 22 septembre). Est-ce une innovation ? Pas tout à fait. Une telle instance – le Conseil territorial de l'Éducation nationale (CTEN) – a déjà existé entre 2006 et 2013, année où le ministre de l'Éducation nationale de l'époque, Benoît Hamon, avait jugé que son mode de fonctionnement devait "être mieux adapté aux enjeux du système éducatif", avant de le sacrifier sur l'autel de la déflation des commissions consultatives.

Cette nouvelle instance nationale n'aura de sens pour les élus territoriaux que si elle permet non seulement la concertation mais aussi la codécision à laquelle ils aspirent. Le rapport de l'IGESR donne à ce propos l'exemple à ne pas suivre, celui du Conseil supérieur de l'éducation, où siègent douze représentants des collectivités parmi cent membres et dont "les textes ne sont que rarement modifiés à l’issue des débats [et] systématiquement publiés même en cas d’avis négatif."