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Logement social : le Sénat veut diversifier prudemment les sources de financement et s'inquiète des garanties des collectivités

Dans son rapport de contrôle budgétaire sur les sources de financement du logement social présenté ce 18 septembre, le sénateur Philippe Dallier réaffirme la nécessité de préserver le socle actuel de financement  fondé sur les prêts de la Caisse des Dépôts. Mais il estime aussi qu'il faut explorer les moyens de faire face à une éventuelle persistance sur le long terme de taux d'intérêt plus bas que le taux du livret A. Selon lui, la diversification des sources de financement doit cependant se faire prudemment et il faut faciliter l'accès des bailleurs à des financements européens. Il attire l'attention sur la garantie accordée  à la plupart des opérations de logement social par les collectivités territoriales : elle pourrait en effet se transformer en "risque systémique" si les autres piliers du système de financement et de contrôle étaient remis en cause.

Le 18 septembre, Philippe Dallier, sénateur (LR) de Seine-Saint-Denis et rapporteur spécial des crédits consacrés au logement et à l'urbanisme, a présenté à la commission des finances les conclusions de son rapport de contrôle budgétaire relatif aux sources de financement du logement social. Ce document intervient dans un contexte particulier, marqué par la convergence de plusieurs phénomènes. D'une part, une contraction des ressources des bailleurs sociaux, "affectées par des évolutions sociétales qui voient une paupérisation progressive du parc" et par l'impact de la RLS (réduction de loyer de solidarité), dont la deuxième phase doit débuter en 2020. D'autre part, une hausse continue des coûts du foncier et de la construction. S'y ajoute "la situation historiquement inédite de taux très bas, voire négatifs, [qui] met en tension le modèle traditionnel des prêts réglementés, fondé sur un taux de livret A ne prenant que partiellement en compte les évolutions des taux de marché".

Préserver le socle de financement actuel

Cette situation ne doit pas, pour autant, conduire à une remise en cause du modèle français de financement, fondé notamment sur l'universalité des prêts de la Caisse des Dépôts. Le rapport rappelle que, pour l'ensemble des logements locatifs sociaux aidés en 2018 (hors Anru), les prêts représentaient 77,4% des plans de financement (dont 68,1% pour les prêts bonifiés de la Caisse des Dépôts), pour 14,1% de fonds propres, 4,7% de subventions des collectivités territoriales, 2,7% de subventions d'État et 1,1% d'autres financements (dont la participation des employeurs à l'effort de construction).

Loin de rejoindre les tenants d'une remise à zéro du financement du secteur, Philippe Dallier préconise de préserver le socle de financement du logement social par les prêts de la Caisse des Dépôts, "porteur de stabilité et de péréquation". Il considère en effet qu''"une remise en cause du système aurait un effet potentiellement déstabilisateur sur l'équilibre financier du secteur à long terme". Pour autant, Philippe Dallier préconise "d'explorer les moyens de faire face à une éventuelle persistance sur le long terme de taux d'intérêts plus bas que le taux du livret A, ce qui pourrait fragiliser le modèle". Au passage, Philippe Dallier rejoint les positions de l'USH en se disant "fortement opposé à une intégration des aides personnelles au logement (APL) dans le futur revenu unique d'activité? (RUA)".

Vente de logements sociaux : un simple "palliatif"

Le rapport propose néanmoins de diversifier – prudemment – les sources de financement du secteur. Sur la vente de logements sociaux pour financer l'investissement dans les constructions nouvelles, il s'attarde longuement sur le cas de l'Angleterre, où s'est rendu le rapporteur dans le cadre de sa mission. Des ventes massives de logements sociaux (près de 1,3 million de logements vendus entre 1979 et 1997) y ont provoqué de graves difficultés dans l'accès au logement des plus modestes.

Pour Philippe Dallier, ces ventes de logements sociaux sont des "palliatifs certes bienvenus, mais qui ne constituent pas des solutions de long terme pour le financement du logement social". Il ne croit pas à l'objectif de vente annuelle de 40.000 logements sociaux - que le ministre de la Ville et du Logement a d'ailleurs cessé de mettre en avant – et juge "paradoxal que le gouvernement encourage la vente de logements sociaux alors qu'il a supprimé un dispositif qui facilitait leur achat", allusion à la suppression de l'APL accession par la loi de finances pour 2018.

Prêts de haut de bilan, activités annexes et financements européens

Le rapport est en revanche plus positif sur les prêts de haut de bilan (PHB) mis en œuvre par la Caisse des Dépôts, même s'"il est difficile de dresser un bilan concret de ces mesures sur l'équilibre financier des bailleurs sociaux dans la mesure où leur mise en œuvre s'étale jusqu'en 2020 et où leur effet se produit sur le très long terme". Il observe toutefois que si ces prêts allongent la durée de la dette, ils n'en allègent pas la charge.

De même, Philippe Dallier considère que "certaines activités annexes peuvent être développées pour contribuer au financement de la mission de base des organismes". La remarque vise des activités – facilitées par la loi Elan du 23 novembre 2018 – comme la réalisation d'opérations de construction ou d'aménagement pour le compte de la collectivité de rattachement, la production de logements en accession à la propriété, la réalisation d'études d'ingénierie urbaine, mais aussi la location de toits, la vente de certificats d'économie d'énergie... Toutefois, il n'existe pas de données précises sur les bénéfices issus de ces activités et, selon la DHUP, elles semblent souvent déficitaires ou peu bénéficiaires. Conséquence : le rapporteur spécial "met [...] en garde contre l'idée qu'il pourrait s'agir à court terme d'un moyen de financement majeur de la construction de logements sociaux".

Pour sa part, la piste des financements européens "doit être explorée et organisée". C'est le cas des subventions du Feder pour la rénovation thermique et le logement adapté ou des prêts de la Banque européenne d'investissement (BEI, voir notre article ci-dessous du 25 janvier 2019).

Prêts bancaires : attractifs, mais limités

Sur les prêts bancaires, Philippe Dallier considère que "le recours à des financements de marché peut apporter un complément, tout en préservant le rôle stabilisant des prêts réglementés". Aujourd'hui, les bailleurs ont recours à ces prêts, qui ont une durée moins longue, essentiellement pour des travaux de rénovation. Un nombre croissant de bailleurs sont néanmoins tentés de recourir à des financements à des taux de marché plus bas que ceux issus du fonds d'épargne, "de manière à assurer la rentabilité d'opérations dont l'équilibre est menacé par la RLS".

Le rapport estime que cette ressource est "bienvenue" dans la mesure où elle tire parti d'une situation de marché favorable et réduit la nécessité d'aides publique. Mais il rappelle que l'intervention des banques est soumise à plusieurs limites et aléas. La principale limite est que "le secteur bancaire traditionnel n'est actuellement pas en mesure d'apporter des prêts de longue durée avec des volumes aussi importants que la Caisse des Dépôts". En outre, les banques introduisent une différenciation entre les bailleurs selon des critères classiques de qualité des emprunteurs. Les prêts non réglementés sont donc très loin de se généraliser et ne représentent que 4,5% des plans de financement moyens des opérations de production de logement social en 2017, soit un taux inférieur à celui de 2015 (5%).

Une remise en cause du système ferait courir un risque systémique aux collectivités

Enfin, face à l'hypothèse – non encore explorée en France, mais pratiquée massivement en Angleterre ou en Allemagne – d'une participation en capital d'investisseurs institutionnels comme les fonds de pension internationaux, Philippe Dallier "fait part de sa prudence à l'égard d'une telle éventualité". Il "ne cache pas sa réticence à voir des investisseurs internationaux intervenir en capital dans le logement social français : l'une des forces du logement social français est la stabilité des organismes propriétaires du parc, assurée par leur statut".

Après avoir ainsi passé en revue ces différentes formes de diversification, la conclusion s'impose d'elle-même : "Ces financements complémentaires semblent devoir conserver une place limitée et ne pas conduire à déstabiliser le système du fonds d'épargne."

À travers cette prudence revendiquée, il ne s'agit cependant pas seulement de garantir la stabilité des sources du financement des bailleurs sociaux. Philippe Dallier pense également à la situation financière des collectivités. En effet, "la cohérence d'ensemble du système repose in fine sur la garantie des collectivités territoriales", qui constitue aussi un élément pris en compte pour leur notation financière. Or, le rapporteur spécial "souligne la cohérence du système : une remise en cause de certains piliers du système de financement et de contrôle pourrait remettre en cause les autres et, en bout de chaîne, faire peser un risque important, voire systémique, sur les collectivités territoriales, par l'intermédiaire du stock de dette des organismes de logement social qu'elles garantissent".

 

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