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Loi Climat : le projet d'ordonnance sur l'aménagement durable des territoires littoraux en consultation

Soumis à consultation jusqu'au 24 mars, le projet d'ordonnance "relatif à l'aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte" vise à compléter les dispositions de la loi Climat en renforçant les outils d'intervention et d'acquisition foncière permettant aux collectivités ou à d'autres acteurs publics d'accompagner la recomposition des secteurs menacés. Il crée notamment un nouveau bail réel de longue durée pour l'adaptation au changement climatique et prévoit des dérogations exceptionnelles à la loi Littoral pour relocaliser des constructions menacées par le phénomène d'érosion.

Le ministère de la Transition écologique met en consultation jusqu'au 24 mars prochain un projet d'ordonnance très attendu, "relatif à l'aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte". Ce phénomène prévisible impose notamment la relocalisation progressive de l’habitat, des activités et des équipements affectés par l’érosion, rappelle le ministère, et les dispositions des articles 236 à 250 de la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 donnent aux territoires littoraux un cadre et des leviers pour adapter leur politique d'aménagement à l'érosion côtière.
L'article 248 de la loi autorise le gouvernement à prendre des mesures complémentaires par voie d'ordonnance. Le projet de texte soumis à consultation vise notamment à renforcer les outils d’intervention foncière et à faciliter l’aménagement durable conduit par des collectivités ou d’autres acteurs publics ou parapublics capables d’accompagner la recomposition des secteurs menacés.
 

Méthode d'évaluation des biens exposés

Pour sécuriser, encadrer et mobiliser les outils de maîtrise foncière publique, il définit d'abord une méthode d'évaluation à privilégier pour les biens les plus exposés à un horizon de 30 ans. Dès lors que l’érosion du trait de côte ne peut être assimilée à un risque majeur dans la mesure où ce phénomène est prévisible, "il est certain qu’il va survenir et il est possible de prévoir son occurrence, souligne la note de présentation du projet d'ordonnance. (…) La principale question qui se pose est de savoir sous quelles conditions le marché peut prendre en compte la valeur d’un bien affecté par un phénomène naturel prévisible et de quels moyens dispose potentiellement la collectivité pour intervenir notamment dans le cadre d’une préemption." "Il y a une décote tenant à la durée de vie du bien selon la limitation de son usage, poursuit la note. C'est cette valeur que doit chercher à appréhender la puissance publique pour conduire une politique active de réaménagement du littoral et pour faire face aux éventuelles demandes publiques."
Le projet d'ordonnance établit que "la valeur d’un bien immobilier est en priorité déterminée par comparaison, au regard des références locales de biens de même qualification et situés dans la même zone d’exposition à l’érosion (0 à 30 ans). A défaut de pouvoir disposer de telles références, une décote proportionnelle à la durée de vie résiduelle prévisible peut être appliquée à la valeur du bien estimée hors zone d’exposition au recul du trait de côte". 
Cette méthode d'évaluation est prévue dans le cadre de la procédure du nouveau droit de préemption pour l’adaptation des territoires au recul du trait de côte (article 1er) mais également pour les indemnités en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique (art.2). Le projet d’ordonnance inclut différentes adaptations et plus précisément des mesures de coordination et d’articulation avec des mécanismes propres à la situation de certains secteurs littoraux, que ce soit pour les biens faisant l’objet d’une démarche de régularisation dans les espaces urbains de la zone des cinquante pas géométriques (ZPG) en Guadeloupe et Martinique (art.8) ou ceux potentiellement exposés à un risque naturel majeur et pouvant prétendre le cas échéant aux mécanismes d’indemnisation du Fonds Barnier (art.3).
Le projet de texte prévoit également des adaptations relatives au nouveau droit de préemption créé par la loi Climat et Résilience et aux réserves foncières. Il apporte des précisions concernant notamment les conséquences éventuelles d'une annulation de la décision de préemption ou encore le maintien le cas échéant du droit de préemption sur les fonds commerciaux ou artisanaux sur les mêmes secteurs lorsqu’il est instauré, s'il ne vise pas le même type de transactions (art.1er). Il complète en outre le dispositif des réserves foncières prévu par le code de l’urbanisme, en indiquant explicitement qu’il peut être mobilisé pour prévenir les conséquences du recul du trait de côte (art.4).

Un nouveau bail réel d'adaptation au changement climatique

Le projet de texte crée en outre un nouveau bail réel de longue durée d'adaptation au changement climatique ou BRACC (art.5). Le dispositif, par lequel un bailleur consent à un preneur des droits réels en contrepartie d'une redevance foncière, en vue d'occuper ou de louer, d'exploiter, d'aménager, de construire ou de réhabiliter des installations, ouvrages et bâtiments, s’inspire du projet de bail réel immobilier "littoral" (BRILI) qui figurait dans une proposition de loi adoptée en deuxième lecture par l'Assemblée nationale le 31 janvier 2017. Une seconde proposition de loi relative au développement durable des territoires littoraux (dite Vaspart), adoptée en première lecture par le Sénat le 31 janvier 2018, avait repris l'idée.
Le bail prévu par le projet d'ordonnance peut être conclu dans les zones exposées au recul du trait de côte, pour une durée allant de 12 à 99 ans, déterminée en fonction des échéances de l’opération d’aménagement si elles sont connues, et surtout de l’espérance de durée de vie du terrain d’assiette, compte tenu des évolutions prévisibles du trait de côte. Il comprend un mécanisme de résiliation anticipée, en fonction de l’évolution de l’érosion. Ce dispositif peut être déclenché par décision d’une autorité publique compétente, pour faire cesser notamment la mise à disposition des biens concernés si la sécurité des personnes et des biens ne peut plus être assurée. Le bailleur est nécessairement une personne morale ayant un rôle déterminant en termes d’aménagement urbain des territoires exposés - Etat, communes ou leurs groupements, établissements publics fonciers, conservatoire du littoral ou encore concessionnaires d’opération d’aménagement (entreprises publiques locales, notamment). Le preneur à bail sera soit une personne physique soit une personne morale, de droit privé ou de droit public.
Les biens immobiliers mis à bail pourront être de toute nature : terrains bâtis ou non, logements, locaux à usage professionnel ou commercial, terrains de camping, parcs de loisirs… "Néanmoins, les clauses du contrat seront adaptées à la localisation des biens immobiliers, leur destination, les usages et le niveau d’exposition au recul du trait de côte", souligne le texte. Pour prendre en compte les conditions d’acquisition du bien et pouvoir financer les opérations de renaturation à terme, qui reviennent en principe au bailleur, le preneur s’acquitte d’un prix à la signature du bail et d’une redevance pendant sa durée. Une articulation est à cet effet prévue avec les obligations de démolition et de remise en état prévues pour les nouveaux projets de constructions dans la zone 30-100 ans.
A l’instar des baux réels de longue durée existants, le BRACC sera cessible. Mais pour assurer la réalisation de l’objectif d’aménagement durable des territoires face au recul du trait de côte, et compte tenu des conditions d’acquisition et de mise à disposition des biens concernés, il est prévu un encadrement des prix de cession. "Un tel mécanisme permet de prévenir des situations où les droits réels seraient cédés à une valeur disproportionnée au regard de la durée résiduelle de vie du bien", assure le ministère. Enfin, le projet d’ordonnance prévoit une mesure d’articulation avec l’obligation de démolition pour les nouvelles constructions en zone 30-100 ans prévue à l’article L. 121-22-5 du code de l’urbanisme (art.6). Cette obligation ne sera pas applicable pour les biens et travaux prévus dans un BRACC, le cadre contractuel prévoyant les modalités, notamment financières, des actions ou opérations de renaturation, y compris le cas échéant de démolition et dépollution.

Dérogations exceptionnelles à la loi Littoral

Le projet d'ordonnance (art.7) définit en outre le cadre des dérogations exceptionnelles à la loi Littoral prévues par la loi Climat pour faciliter des opérations de relocalisation des installations et constructions menacées par le phénomène d’érosion. Il ouvre la possibilité aux communes incluses dans le régime spécifique au recul du trait de côte créé par la loi Climat de déroger notamment à l’obligation de construire en continuité de l’urbanisation existante, lorsque ces dispositions empêchent la mise en œuvre d’une opération de relocalisation de biens ou d’activités menacés dans des espaces plus éloignés du rivage, moins soumis à l’aléa du recul du trait de côte. Ces possibilités de dérogations ne peuvent être utilisées qu’au minimum dans le cadre d’un contrat de projet partenarial d’aménagement (PPA) prévoyant une opération d’aménagement ayant pour objet de mettre en œuvre une recomposition spatiale du territoire d’une commune exposée au recul du trait de côte. Elles peuvent également être employées dans le cadre d’une grande opération d’urbanisme (GOU), qualifiée par voie de délibération pour une opération prévue par un PPA.
En outre, ces possibilités de dérogations sont uniquement mobilisables lorsque les constructions, ouvrages ou installations menacés par l’évolution du trait de côte ne peuvent pas être relocalisés au sein ou en continuité de l’urbanisation existante. Elles ne peuvent ensuite être accordées qu’après accord du représentant de l’Etat dans le département ou, s’agissant des dérogations applicables dans les espaces proches du rivage, après accord du ministre chargé de l’urbanisme, et, dans tous les cas, après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites.
Les dérogations sont également strictement limitées. La dérogation au principe d’urbanisation en continuité n’est ainsi applicable qu’au-delà d’une bande d’un kilomètre à compter du rivage et l’extension de l’urbanisation des secteurs déjà urbanisés, qui ne pourra dépasser les caractéristiques d’un village, imposera qu’ils soient préalablement identifiés. Par ailleurs, ces dérogations ne peuvent pas être accordées en cas d’atteinte excessive à l’environnement ou aux paysages.