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L’open data à la recherche de son plan de relance

Le député Eric Bothorel a été chargé par le gouvernement de réfléchir à la politique publique de la donnée. Un rapport d’étape, publié début octobre 2020, propose une dizaine de pistes aujourd’hui soumises à consultation publique. Le manque de volonté et de moyens, associé à la faible culture de la donnée des décideurs, arrive en tête des freins identifiés par la mission.

La mission du député des Côtes-d’Armor Eric Bothorel, lancée en juin 2020, s’intéresse à l’open data dans le secteur public mais aussi aux "données d’intérêt général", produites par le secteur privé. Elle intervient quatre ans après la loi pour une République numérique, censée servir d’accélérateur en imposant aux administrations un open data "par défaut". Malgré l’ouverture ces deux dernières années de jeux de données à forte valeur ajoutée (valeurs foncières, contrôles sanitaires ou encore les données du covid 19…) la dynamique de l’open data semble aujourd’hui au point mort. Les collectivités tardent ainsi à satisfaire à leurs obligations d’ouverture des données et la qualité des jeux libérés laisse trop souvent à désirer, les rendant difficilement exploitables. Quant aux  "données d’intérêt général", censées être partagées par les acteurs privés dans des domaines comme la mobilité, la santé ou l’énergie pour favoriser l’innovation et alimenter la "data science", le dossier reste encore balbutiant. 

Un manque de portage politique

Pour la mission Bothorel, qui vient de produire un rapport d'étape, cet état de fait est d’abord imputable à un manque de volonté politique et de moyens financiers.  Si la France peut encore se targuer de figurer en tête des classements internationaux en matière d’open data, elle pourrait connaitre la même dégringolade que ses challengers européens. Le Royaume-Uni a ainsi perdu 16 places dans le classement de l’OCDE depuis 2017 et l’Estonie était classée 24 après avoir occupé la troisième place dans le classement OURdata. Deux pays où l’affaiblissement de la volonté politique s’est accompagné d’une diminution des moyens financiers… En France, "la politique de la donnée n’est pas incarnée" déplore la mission. Le remplacement de l’administrateur général des données par un réseau de correspondants ministériels a notamment coupé toute dynamique au niveau de l’Etat. Sans portage politique, sans véritable doctrine, la politique publique de la donnée se trouve atomisée,  avec une multitude d’acteurs nationaux et locaux sans feuille de route claire. 

Une forêt de textes

La mission déplore ensuite un millefeuille de textes qui rend peu lisible le cadre juridique de l’ouverture des données. La loi pour une République numérique de 2016 cache ainsi une forêt de textes spécifiques sur la santé, l’environnement, la commande publique, la mobilité ou encore la recherche. Avec à chaque fois son lot d’exceptions au principe d’ouverture pour des raisons parfois légitimes (sécurité, propriété intellectuelle, protection du secret des affaires…) mais qui rendent très complexes l’ouverture comme la réutilisation des données. En ce qui concerne les collectivités territoriales, la mission note que les obligations ne concernent que les collectivités de plus de 3.500 habitants ou dépassant 50 agents, empêchant la création de services unifiés au bénéfice de l’ensemble des territoires. Le RGPD enfin, avec la menace de sanctions financières en cas de fuite de données personnelles, freine beaucoup d’initiatives, en particulier dans les domaines de la santé et de l’éducation. Une clarification des marges de manœuvre du RGPD et des conditions dans lesquelles peuvent être exploitées des données personnelles apparait ainsi comme une impérieuse nécessité.

L’ouverture perçue comme un danger

Aux freins juridiques s’ajouteraient des freins humains, techniques et culturels. Le manque de compétences handicape ainsi les petites collectivités et rares sont les structures à pouvoir s’offrir les compétences d’un "data scientist". L’absence de culture de la donnée serait par ailleurs d’autant plus problématique qu’elle concerne d’abord les décideurs. Ne percevant pas bien l’utilité d’un dossier perçu à tort comme technique, ceux-ci seraient avant tout sensibles aux risques supposés de l’open data : exposition potentielle de données personnelles, privatisation de la valeur ajoutée, interprétation erronée des données ou engagement de la responsabilité en cas d’erreur… Autant d’obstacles qui viennent s’ajouter aux contraintes budgétaires. Car l’ouverture des données a un coût. Elle exige une adaptation des systèmes d’information, trop souvent conçus en silos, et un accompagnement dans la durée, tant pour animer la démarche que pour assurer le maintien en qualité des données. Côté réutilisateurs enfin, on déplore une multiplication des portails, data.gouv.fr étant loin de tout centraliser, et de trop grandes disparités dans les  conditions de réutilisation des données.

Consultation en ligne

L’ensemble de ces constats, réunis autour de 10 thématiques, est soumis à consultation publique sur le site internet de la mission. Cette consultation aidera à la formulation des propositions du rapport dont la publication est attendue pour la fin de l’année. Pour le député des Côtes-d’Armor,  il y a dans tous les cas "urgence à lever les freins", une grande partie des enjeux économiques et sociétaux actuels - intelligence artificielle, internet des objets, dépendance aux Gafam… -  étant tributaires de la politique publique de la donnée.

Des exemples étrangers inspirants

La mission Bothorel relève plusieurs exemples dont pourrait s’inspirer la France pour relancer sa politique de la donnée. Elle cite ainsi le "all island research observatory" irlandais, un observatoire cartographique nourri de données fiables, très apprécié des autorités locales et régionales pour le pilotage des politiques publiques. Israël serait particulièrement en pointe dans la création d’outils au bénéfice des citoyens (simulateur du coût de la vie) ou dans l’ouverture des données au bénéfice de la recherche et des startups. La Corée du Sud aurait pour sa part réussi à imposer à certains acteurs privés (banques, opérateurs télécoms) le partage de données clients anonymisées. Taiwan donne de son côté à ses citoyens la possibilité de télécharger toutes leurs données administratives (identité, propriété immobilière, immatriculation de véhicule…) et dispense les usagers de produire des pièces justificatives lors de la réalisation de formalités.