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Loups, lynx, ours : les éleveurs vont devoir montrer patte blanche

En application des règles européennes sur les aides d'Etat, les nouvelles conditions d'indemnisation des éleveurs victimes d'attaques de prédateurs ont été publiées au Journal officiel, le 11 juillet. Leurs troupeaux (ou leurs ruchers s’agissant des apiculteurs) devront avoir "fait l'objet de mesures de protection raisonnables" ou être reconnus comme "non protégeables".

Imposée par Bruxelles, reprise dans le plan loup, la mesure a du mal à passer chez les éleveurs : pour se faire indemniser en cas d’attaques de loups, de lynx ou d’ours, leurs troupeaux (ou leur rucher s’agissant des apiculteurs) doivent avoir "fait l'objet de mesures de protection raisonnables" ou être reconnus comme "non protégeables". Un décret publié au Journal officiel le 11 juillet fixe ces nouvelles modalités d’indemnisation. Il s’agit en réalité de se mettre en conformité avec le droit européen, en particulier avec les lignes directrices de l'Union européenne concernant les aides d'Etat dans les secteurs agricole et forestier et dans les zones rurales 2014-2020. Car la Commission européenne considère que les indemnisations sont des aides d’Etat et qu’à cet égard, pour éviter toute distorsion de concurrence, elles doivent être assorties de contreparties, a minima des mesures préventives "raisonnables". Une vision contestée par la Fédération nationale ovine (FNO) – mais aussi la FNSEA - qui considère que les indemnisations sont la compensation juste d’une perte et non un bénéfice.

Un "contrat Feader" suffit

S’agissant plus particulièrement du loup, le décret vient ainsi préciser que dans les "cercles 1" (c’est-à-dire les périmètres où au moins une attaque a été recensée lors des deux dernières années), l'indemnisation des dommages causés aux ovins et aux caprins est subordonnée à la "mise en place de mesures préventives raisonnables de protection des troupeaux" ou de "mesures équivalentes". Toutefois, contestant cette idée de "mesures raisonnables" difficile à définir, les éleveurs ont obtenu une dérogation : la souscription d’un "contrat Feader" (le dispositif de protection des troupeaux prévu dans les programmes de développement rural européen) se suffit à elle-même. Elle "vaut respect de la condition de mise en place des mesures de protection".

Par ailleurs, l’exigence de mesures de protection n’est pas nécessaire dans deux cas : si le préfet juge que le troupeau ne peut pas être protégé ou si le troupeau a subi "moins de trois attaques au cours des douze derniers mois". Les zones non protégeables ont été définies par un arrêté du 9 avril 2019 du préfet coordonnateur du plan loup : il s’agit de la Lozère, de l’Aveyron, du Tarn et de l’Hérault. Ce qui, aux yeux de la FNO, crée une disparité entre les éleveurs. Disparité accentuée par le fait que ne sont visés par les indemnisations que les troupeaux d’ovins et de caprins du cercle 1, et non les bovins ou les équins (même si ces derniers représentent qu’une infime minorité des pertes). "Ce que nous mettons en cause c’est la gestion purement financière du dossier", commente Théo Gning, animatrice à la FNO.

Présomption de culpabilité du loup ?

Toutefois, si ces conditionnalités apparaissent strictes, une disposition vient les tempérer. Ainsi est-il écrit que "les mortalités dont la cause est indéterminée ne donnent pas lieu à indemnisation sauf appréciation contraire liée au contexte local de prédation". Et que "les mortalités liées à une prédation ne donnent lieu à indemnisation que si la responsabilité du loup, de l'ours ou du lynx n'est pas écartée". Ce qui s’apparente fortement à une "présomption de culpabilité" du loup ou des autres prédateurs. De plus le décret assimile à une prédation "l'étouffement" et le "dérochement" (c’est-à-dire les chutes de falaise).

S’agissant du lynx, le décret indique qu'à partir de la cinquième attaque en deux ans, le versement de l'indemnisation est "subordonné à la mise en place de l'une des mesures de protection utilisées pour lutter contre la prédation du loup ou de l'ours pour percevoir une indemnisation".

Par ailleurs, le décret vient préciser que l’indemnisation couvre des pertes directes (valeur des animaux tués ou disparus), des pertes indirectes (perturbation du troupeau - stress, moindre prise de poids, avortements, baisse de lactation -, frais vétérinaires) et les réparations  des équipements endommagés. 

La demande d’indemnisation doit être formulée "dans un délai de 72 heures à compter de la date de survenance de l'attaque supposée". Un agent de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage est alors dépêché pour "réaliser un constat sur le lieu du dommage". Le constat est dressé "sur un formulaire-type permettant de relever l'ensemble des éléments factuels nécessaires à l'appréciation de la responsabilité du prédateur dans le dommage et à l'indemnisation". Par exception, les éleveurs ou leurs mandataires peuvent eux-mêmes effectuer le constat, s’il s’agit d’attaque de moins de 5 victimes caprines ou ovines et à condition qu’un arrêté préfectoral ait été pris en ce sens "après accord du préfet coordonnateur du plan national d'action" de l’espèce prédatrice concernée. Cette exception peut également avoir lieu, quel que soit le nombre de victimes, lorsque les troupeaux concernés "sont situés dans un secteur où des cas d'épizooties sont attestés".

Harmonisation des barèmes d'indemnisation

Autre élément important de la réforme : le décret est accompagné d’un arrêté qui vient harmoniser tous les barèmes d’indemnisation pour les trois carnivores : loup, lynx, ours. Une décision importante alors qu’ils font l’objet de trois plans séparés, gérés depuis la Bourgogne-Franche-Comté pour ce qui est du lynx, les Pyrénées pour l’ours et au niveau national pour le loup (sous l’égide du préfet coordonnateur la région d’Auvergne-Rhône-Alpes). L’arrête fournit en annexe le barème des indemnisations en fonction des espèces, de la caractéristique des animaux (mâle, femme, reproductrice, viande, fromagère, label, etc.) et des circuits de commercialisation (circuits courts ou longs).

Seulement là encore subsistent des disparités importantes puisqu’un animal tué est indemnisé à 100% alors qu’un animal disparu ne l’est qu’à 20%. Encore faut-il que l’éleveur apporte la preuve "de la disparition de certains animaux ou que le constat indique que le parc clos n'a pas conservé son intégrité lors de l'attaque ou qu'il est conçu pour éviter les étouffements".

Par ailleurs, le montant de l’indemnisation des pertes indirectes est fixé à 100 euros pour les troupeaux de 2 à 100 animaux et à 260 euros pour les troupeaux de 101 à 300 animaux.

Cette réforme intervient alors que le dernier décompte du mois de juin fait état de 530 loups adultes sur le territoire. Le seuil de "viabilité démographique" fixé à 500 a donc été dépassé, avec quatre ans d’avances sur les prévisions du gouvernement. Au 30 avril, 486 attaques ont été recensées dans 24 départements, causant la perte de 1.638 animaux. En 2018, 3.674 attaques ont eu lieu contre plus de 12.500 animaux. Les attaques se concentrent essentiellement en Paca.

 


Références : décret n° 2019-722 du 9 juillet 2019 relatif à l'indemnisation des dommages causés aux troupeaux domestiques par le loup, l'ours et le lynx, arrêté du 9 juillet 2019 pris pour l'application du décret n° 2019-722 du 9 juillet 2019 relatif à l'indemnisation des dommages causés aux troupeaux domestiques par le loup, l'ours et le lynx, JO du 11 juillet 2019.