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Lutte contre la fraude sociale : du mieux, mais l'horizon s'obscurcit

La Cour des comptes a remis son rapport sur "la lutte contre les fraudes aux prestations sociales", commandité par la commission des affaires sociales du Sénat. Après des rapports parlementaires, des propositions de loi et de résolutions et de multiples polémiques sur le montant supposé de la fraude sociale, il était espéré que le rapport de la Cour des comptes ferait office de "juge de paix". Il n'en sera rien : la Cour, à son tour, se reconnaît en effet dans l'incapacité de donner une estimation fiable de la réalité de cette fraude. Le rapport apporte néanmoins un certain nombre d'éclairages intéressants.

Ce n'est évidemment pas la première fois que la Cour des comptes se penche sur la question de la fraude sociale. Au-delà de ses rapports thématiques, elle revient chaque année sur le sujet lors de la certification des comptes des caisses nationales et des branches du régime général de sécurité sociale. Une bonne part des réserves émises à cette occasion par la Cour – qui certifie néanmoins les comptes – porte en effet sur la lutte contre la fraude ou, plus largement, sur les conditions de sécurisation des paiements.

Le sous-titre de son dernier rapport – "Des progrès trop lents, un changement d'échelle indispensable" – donne la tonalité générale du document. Pourtant, dans un premier chapitre, la Cour commence par reconnaître les progrès accomplis, concrétisés par "une progression des résultats de la lutte contre les fraudes qui traduit sa professionnalisation croissante". Le montant des préjudices détectés a ainsi progressé régulièrement jusqu'à atteindre un milliard d'euros en 2019 : 323 millions pour la branche famille (dont le RSA), 287 millions pour la maladie, 67 millions pour la vieillesse et 212 millions pour Pôle emploi. Ce relatif satisfecit vaut aussi pour les moyens affectés (effectifs dédiés stables ou en hausse malgré la baisse générale des effectifs) et pour les progrès réalisés dans les moyens d'investigation.

Le RSA toujours en tête de la fraude

Sur ce dernier point, si les signalements internes et externes jouent toujours un rôle important, l'analyse des données internes occupe une place croissante dans la sélection des contrôles. La remarque vise notamment le développement de programmes nationaux de contrôles contentieux et le recours croissant au ressources du "Data Mining", malgré certaines limites de conception et celles posées par le Conseil constitutionnel (voir notre article ci-dessous du 24 juin 2019).

Sans surprise, le rapport constate que la fraude se concentre sur "certains acteurs, prestations et situations". Le RSA (59% des fraudes détectées en 2019 pour 14% des prestations versées par la branche), les aides au logement et la prime d'activité arrivent ainsi en tête pour la branche famille. Le mode de fraude le plus courant est l'omission ou les fausses déclarations de ressources (69%). Au sein de la branche vieillesse, le "minimum vieillesse" représente 73% des fraudes détectées et 71% du montant des préjudices subis. À Pôle emploi, les reprises d'activité non déclarées constituent 73% des fraudes et 62% des montants.

Un recours insuffisant à la sanction pénale et des moyens d'investigation encore incomplets

Si les caisses de sécurité sociale et Pôle emploi disposent d'une large palette d'instruments pour réprimer les fraudes aux prestations, le rapport regrette la place réduite de la sanction pénale dans la répression des fraudes, le seuil de saisine obligatoire du procureur étant trop élevé (8 fois le plafond de la sécurité pour les CAF et les CPAM, soit 27.424 euros). Conséquence : les caisses de sécurité sociale recourent de moins en moins à l'action pénale (par exemple 1.744 plaintes dans la branche famille en 2019 contre 4.104 en 2014). À l'inverse, les sanctions administratives sont plus nombreuses, mais laissent cependant une partie des fraudes non sanctionnées.

Malgré les progrès réalisés, la Cour des comptes ne manque pas non plus de pointer le caractère encore incomplet des moyens d'investigation. La remarque vise notamment la mutualisation insuffisante des données des organismes sociaux - en raison de la montée en charge "anormalement lente" du RNCPS (répertoire national commun de la protection sociale) –, les besoins d'information "incomplètement satisfaits auprès des administrations de l'État", ou encore les progrès insuffisants dans le droit de communication de certains documents.

Des résultats "moins favorables qu'il n'y paraît"

La conséquence en est que les résultats sont "moins favorables qu'il n'y paraît", et cela même si la Cour des comptes reconnaît qu'elle n'est pas en mesure – pas plus que la délégation nationale à la lutte contre les fraudes (DNLF) – de donner une estimation fiable de l'ampleur de la fraude aux prestations. Néanmoins, la Cnaf et Pôle emploi se sont livrés à l'exercice. La branche famille estime ainsi à 3,2% des prestations versées (soit 2,3 milliards) le montant de la fraude, dont seule une part minoritaire est détectée (323 millions en 2019). Dans cet ensemble, la fraude au RSA représenterait un milliard d'euros, la prime d'activité 300 millions et les aides au logement 500 millions. L'étude de Pôle emploi remonte à 2012 et estime le montant de la fraude à 1% des prestations versées.

Par ailleurs, la Cour des comptes estime que la hausse des fraudes détectées "n'empêche pas celle des erreurs définitivement non détectées, frauduleuses ou pas, au détriment des finances publiques". Selon le rapport, ces "erreurs définitives", liées aux données déclaratives prises en compte pour les prestations, représentent des montants croissants au sein de la branche famille. Il en va de même pour les facturations de frais de santé (par les établissements et les professionnels de santé) et pour les indemnités journalières.

De façon générale, la Cour des comptes juge le niveau de contrôle "très en deçà des risques de fraude", pointe une répartition des contrôles parfois décalée par rapport aux enjeux et s'inquiète d'objectifs insuffisamment ambitieux.

"Tarir les possibilités systémiques de fraude"

Face à ce constat – qui n'est pas vraiment nouveau –, le rapport préconise de "tarir les possibilités systémiques de fraude". Il propose pour cela de lutter davantage contre les usurpations d'identité : interdiction du versement de prestations sur des comptes n'appartenant pas au bénéficiaire, croisement des données sur les aides au logement et des biens immobiliers, lutte contre les détournements de la carte Vitale, poursuite de la fiabilisation des identités des assurés nés à l'étranger...

Dans le même esprit, la Cour préconise de fiabiliser les salaires, les ressources et les situations professionnelles et de gérer de manière plus rigoureuse les droits et les facturations de frais de santé.

Enfin, ce renforcement suppose d'intensifier la lutte contre les fraudes et de les sanctionner davantage. Cet effort doit notamment porter sur la détection de fraudes difficiles à appréhender : facturation des frais de santé, composition et ressources des foyers, stabilité de la résidence en France, réalité de l'existence de titulaires de prestations résidant à l'étranger (notamment pour l'assurance vieillesse) et renforcement de la lutte contre la fraude organisée. Du côté des sanctions, les recommandations visent notamment à mettre en recouvrement – et à recouvrer – l'ensemble des préjudices non prescrits et à "moduler plus fortement la sanction des irrégularités constatées".

Le gouvernement défend son travail de fiabilisation des données

Dans un communiqué du 10 septembre, Olivier Véran fait part de "la réaction et des précisions du gouvernement à la suite de la sortie d'un rapport de la Cour des comptes et de son traitement médiatique". Il rappelle notamment l'"important travail de fiabilisation du parc de cartes Vitale", mené à la suite du rapport parlementaire de Carole Goulet et Nathalie Grandjean sur les cartes surnuméraires. Cet écart est aujourd'hui "presque totalement résorbé". En revanche, le communiqué reconnaît qu'"il apparaît qu'un écart d'environ 2,4 millions de personnes subsiste entre le nombre d'assurés retracé dans les bases de l'assurance maladie et le nombre de personnes vivant en France selon l'Insee, à périmètre comparable. Cet écart provient essentiellement de personnes ayant transporté leur résidence à l'étranger sans en avoir informé l'assurance maladie". Mais, "dans ce cas, comme dans celui des cartes Vitale surnuméraires, rien ne démontre qu'il existe un lien avec une consommation indue de prestations de l'assurance maladie".

Le communiqué rappelle aussi "que le gouvernement a créé la mission interministérielle de coordination anti-fraude (Micaf), afin de donner une impulsion plus opérationnelle à la lutte contre la fraude et de mieux coordonner les services concernés, en ayant notamment recours au croisement de données, au sein de groupes opérationnels nationaux anti-fraude (Gonaf) interministériels sur des thématiques ciblées". Dix groupes sont d'ores et déjà mis en place.

 

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