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Marchés alimentaires : malgré le "guide méthodologique", l'imbroglio demeure

Face aux réactions suscitées par la fermeture des marchés alimentaires et devant les refus de certaines préfectures d'octroyer des dérogations, un guide méthodologique a été transmis aux représentants de l'État détaillant les conditions nécessaires à une réouverture. Si certains préfets ont d'ores et déjà revu leur position, d'autres la maintiennent. Les conditions imposées aux organisateurs de marchés sont toutefois telles que certains d'entre eux envisagent d'y renoncer. Le tout dans l'attente d'une nouvelle décision du Conseil d'État...

La fermeture des marchés alimentaires continue d'alimenter la chronique. De l'aveu de l'Association des maires d'Île-de-France (Amif), elle a provoqué une "bronca" chez les élus locaux de la région, dans laquelle les préfets ont retenu une interprétation stricte des dispositions les autorisant à accorder des dérogations sous conditions, comme le prévoit le décret du 24 mars (voir notre article). Ainsi, aucune dérogation n'a dans un premier temps été octroyée dans les trois départements de la petite couronne (la mairie de Paris ayant décidé de ne déposer aucune demande de dérogation). De même, en grande couronne, les dérogations étaient jusqu'ici très limitées : au 27 mars, les préfets en avaient délivré respectivement une seule dans les Yvelines, onze (sur 45 sollicitées) en Essonne, sept en Seine-et-Marne et dix dans le Val-d'Oise. 
Une interdiction jugée "incompréhensible par beaucoup", rapporte l'Amif dans un communiqué, alors que ces marchés représenteraient, selon "certains", "40% de l'alimentation en Île-de-France" et "offrent les mêmes garanties sanitaires" que la grande distribution, "voire des garanties supérieures en évitant notamment aux clients de toucher les produits et en les empêchant de se croiser", citant ici le sénateur Christian Cambon.

Nouveau protocole sanitaire

De nombreux élus, autour de l'Amif ou de Centre-Ville en mouvement, se sont donc mobilisés et ont obtenu "gain de cause" : "L’exception [entendre, la possibilité de dérogations] a désormais été précisée au sein d’un protocole d’accord pour prendre un arrêté dérogatoire qui doit permettre de maintenir la tenue du marché dans des conditions sanitaires optimales. Les refus de dérogations qui nous ont été transmis doivent donc nécessairement être réinterrogés à l’aune de ces nouveaux éléments par les préfets de départements", se félicite ainsi Stéphane Beaudet, président de l'Amif. Le protocole évoqué ici est le guide méthodologique élaboré par une quinzaine d'organisations professionnelles (Fédération nationale des marchés de France, FNSEA, Interfel, chambres d'agriculture, etc.) avec les ministères de l'Économie, de l'Agriculture et de la Santé et diffusé, à l'usage tant des préfets et des maires, par une instruction des services du Premier ministre du 26 mars. Y sont joints un modèle d'arrêté d'autorisation d'ouverture et divers schémas indicatifs de configuration des lieux, accompagnés d'illustrations.

Maintien des critères...

Pourtant, ledit guide conditionne toujours l'octroi de telles dérogations à "un besoin avéré d'approvisionnement". Non sans logique, puisque aucune instruction, quand bien même émane-t-elle du Premier ministre, n'a bien évidemment le pouvoir de modifier un décret. L'association France Urbaine, qui a elle-aussi fait le constat d'une "grande hétérogénéité de situations […] relevant des différences d'interprétation et d'application du décret selon les territoires", demande d'ailleurs dans un communiqué du 30 mars à ce que "le seul guide [soit] celui des consignes sanitaires", considérant "qu’il ne peut y avoir en la matière de différence de traitement selon que le commerce alimentaire est un supermarché, un commerce de proximité ou un marché ouvert, les mêmes règles devant s’appliquer sur l’ensemble des quartiers de nos villes".

... mais dérogations plus nombreuses

Pour autant, il semble tout de même produire quelques effets sur le terrain. La maire de Lille, Martine Aubry – qui souligne avoir saisi l'opportunité du nouveau protocole sanitaire pour immédiatement solliciter le préfet – se félicite ainsi sur Twitter d'avoir obtenu la réouverture de 19 marchés. Dans le Val-de-Marne, la préfecture nous a indiqué lundi que six dérogations avaient également été accordées depuis vendredi – sans nous préciser pour autant si l'instruction avait ou non joué un rôle dans ces décisions. 

"Un quart des marchés alimentaires, couverts ou de plein air, vont rouvrir cette semaine", avance même une dépêche de l'AFP de lundi, rapportant une "annonce" de la Fédération des marchés de France et du ministère de l'Agriculture. Soit environ 2.500 marchés. Interrogé par Localtis sur la méthode de calcul retenue –  puisque ces décisions émanent des préfets, sur demande des maires – le ministère de l'Agriculture nous a dans un premier temps confirmé cette déclaration, avant de nous renvoyer vers le ministère de l'Intérieur, pour finalement nous indiquer que "ce n'est pas le ministère, mais la Fédération des marchés qui a fait son calcul".

Essentiellement des "très petits marchés"

Interrogé par Localtis, la présidente de cette fédération, Monique Rubin, confirme, en apportant toutefois d'importantes précisions : "Ce nombre a été élaboré grâce aux remontées de nos 120 structures locales. Mais il prend en compte les marchés déjà ré-ouverts. En outre, il inclut les très petits marchés, y compris ceux qui n'ont normalement pas besoin d'autorisations parce que réunissant moins de trois commerçants. Les marchés ré-ouverts ne concernent d'ailleurs pour l'heure que 210 communes de plus de 2.500 habitants". Monique Rubin attire également l'attention sur le fait que ces autorisations sont très restreintes. "Le marché de la place des Lices de Rennes réunit normalement 300 commerçants alimentaires. Là, on n'en compte que quinze. Même chose à Grenoble, où le maire n'autorise que cinq professionnels par marché", déplore-t-elle. La présidente alerte également sur la nécessité d'organiser des marchés "qui répondent aux besoins de la population. Les clients doivent y retrouver la variété de produits qu'on leur offre habituellement : poissonniers, fromagers, etc. On ne peut pas limiter ces marchés aux seuls producteurs !"

Pas une martingale

Bref, ce nouveau protocole n'est pas une martingale. Ainsi, la préfecture des Hauts-de-Seine nous a confirmé lundi qu'aucune dérogation n'avait été accordée à ce jour. Outre Paris (faute de demande), huit autres départements seraient selon l'AFP dans le même cas* – ceux touchés de plein fouet par l'épidémie (Grand Est, Sud-Est). Interrogée par Localtis, la maire de Montgeron (Essonne), Sylvie Carillon, indique pour sa part avoir enregistré deux refus de la préfecture, faute pour sa commune d'être située "dans une zone rurale". Les deux demandes ont toutefois été instruites avant la diffusion du protocole. "Nous prévoyons de déposer une nouvelle demande, mais cette fois via la communauté d'agglomération", nous précise l'élue qui, si elle comprend "les préoccupations du gouvernement", s'interroge sur la différence de traitement réservée entre ces marchés "bien organisés" et la grande distribution.

Conditions d'organisation draconiennes

Toujours dans l'Essonne, mais à Viry-Chatillon cette fois, le maire, Jean-Marie Vilain, nous a indiqué être toujours en attente de la réponse préfectorale. Toutefois, même si elle devait être positive, il n'est plus certain de vouloir rouvrir le marché : "Nous avons regardé le cahier des charges, les mesures sont draconiennes. Je le comprends tout à fait, mais je ne suis pas certain que nous ayons les capacités d'y répondre. Avant que le Premier ministre n'ordonne la fermeture des marchés, nous avions de nous-mêmes adopté d'importantes mesures de protection. J'avais ainsi demandé aux élus de la majorité d'organiser les filtrages aux entrée et sortie du marché pour contrôler notamment le nombre de personnes présentes. Mais c'est compliqué de demander cela aux élus régulièrement. Et s'il faut en outre s'assurer du respect des distances au sein-même du marché, cela devient impossible". La commune dispose bien d'une police municipale, mais le maire préfère que ses agents continuent d'exercer leurs missions sur le reste du territoire plutôt que de les mobiliser "pour faire du comptage". L'élu avoue placer désormais ses espoirs dans la plate-forme de mise en relations avec les maraîchers qui a été mise en place et "qui a l'air de bien fonctionner". Selon Christine Lambert, présidente de la Fnsea, "280 maires avaient d'ores et déjà pris des arrêtés de fermeture avant l'annonce du gouvernement. Ils ne rouvriront pas partout".

Dans l'attente du Conseil d'État

Reste en outre à attendre la position du Conseil d'État. Monique Rubin confirme avoir déposé une requête à l'encontre du décret disposant la fermeture des marchés. Mais aucune audience n'est encore programmée, nous a indiqué le Conseil d'État. Rappelons toutefois que la décision de fermer les marchés a été prise après que les juges du Palais-Royal ont enjoint au gouvernement d'"évaluer les risques pour la santé publique du maintien en fonctionnement des marchés ouverts, compte tenu de leur taille et de leur niveau de fréquentation".

* Seine-Saint-Denis, Haut-Rhin, Bas-Rhin, Haute-Marne, Hautes-Alpes, Var, Haute-Corse et la Guyane.

 

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