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Mécénat et collectivités : les retours d'expérience des "fundraisers territoriaux"

Le mécénat territorial se développe, sous l'impulsion de collectivités aux motivations diverses et d'entreprises souhaitant marquer leur engagement dans la cité. Impact en termes de relations entre public et privé et potentiel d'innovation, concurrence institutionnelle, risques juridiques… L’Association française des fundraisers (AFF) a réuni le 10 septembre des collectivités engagées sur le sujet, pour favoriser le transfert de connaissances et de savoir-faire entre les collecteurs de fonds territoriaux.    

L’Association française des fundraisers (AFF) organisait le 10 septembre avec la ville de Paris sa cinquième "Conférence mécénat territorial et collectivités". Le réseau de quelque 1.000 professionnels de la collecte de fonds des organisations d’intérêt général avait récemment pris position au sein du collectif France générosités "pour alerter sur les risques pesant sur le mécénat d'entreprise", face au projet gouvernemental de rabotage de l’avantage fiscal accordé aux entreprises grandes donatrices (voir ci-dessous notre article du 2 septembre 2019 et l'encadré à notre article du 6 septembre 2019).

"Le mécénat n'est pas la poule aux œufs d'or"

Lors de cette journée dédiée au mécénat territorial, des collectivités débutant leur réflexion sur la levée de fonds privés ont eu l’occasion d’être aiguillées par des territoires plus chevronnés. "Le mécénat, ce n'est pas la poule aux œufs d'or", a déjà jugé bon de rappeler Juliette Démares, chargée des partenariats et du mécénat d’entreprises à la métropole Rouen Normandie. Selon elle, "c’est important de le dire vite, parce que les attentes sont assez fortes" de la part des exécutifs locaux qui se lancent dans la démarche. "Mais le mécénat n'apporte surtout pas que de l'argent", a aussitôt ajouté Juliette Démares, mettant l’accent sur "la relation positive que l'on va développer avec les entreprises sur le territoire". Pour le projet "Forêt monumentale" d’exposition d’œuvres d’art dans la forêt, elle a ainsi démarché toutes les entreprises locales de la filière bois, leur présentant l’opération de mécénat comme une occasion de valoriser leurs métiers et complémentarités. Couronné de succès, ce premier projet sera suivi d’autres partenariats sur différentes thématiques, autour notamment de la Cop 21 locale et de la candidature de Rouen au titre de capitale européenne de la culture.

"Jouer collectif" pour trouver de nouvelles réponses

Les enjeux d’attractivité, de communication et d’innovation seraient donc au cœur des initiatives de mécénat local, au moins autant que la nécessité de trouver des financements complémentaires. Président du Rameau, Charles-Benoît Heidsieck a insisté sur cette dimension d’expérimentation et d’innovation sociétale permise par les partenariats entre sphères publique et privée. Une telle dynamique peut être notamment suscitée par la création d’une fondation territoriale, telle que la fondation de Lille (voir ci-dessous notre article du 29 juillet 2019) et la fondation du Nord. Créée en 2018 à l’initiative du président du département, cette dernière "veut jouer collectif en alliant l'expertise du département du Nord, chef de file de l'action sociale, à l'esprit d'entreprise de la sphère économique", a expliqué Isabelle Wille, responsable mécénat et grands partenariats au département. Abritée par la Fondation agir contre l’exclusion (Face) et fondée par dix entreprises, la fondation du Nord a fait de l’accès à l’emploi sa priorité et vise à prototyper de nouvelles réponses. "La Fondation du Nord peut apporter une réponse quand le département ne le peut pas", a complété Isabelle Wille, citant la création d’un centre de vacances pour aidants.

Logique institutionnelle et risques de concurrence

Alors qu’une soixantaine de fonds et fondations seraient actifs dans les Hauts-de-France, le risque de concurrence a été soulevé. "Il y a de la concurrence", a confirmé Delphine Vandevoorde, directrice de la Fondation de Lille - la plus ancienne fondation territoriale dans la région et même en France. Delphine Vandevoorde souligne la nécessité de mutualiser davantage et de ne pas perdre de vue les bénéficiaires.

C’est en effet un autre risque lorsqu’une collectivité impulse, en interne ou en externe, une démarche de mécénat : que les logiques institutionnelle et de partenariat avec l'entreprise prennent le pas sur la dynamique territoriale et les bénéfices pour les habitants. En effet, Juliette Démares l’admet volontiers, "la vraie problématique des fundraisers, c'est d'avoir des projets qui donnent envie". Pour favoriser cette rencontre entre le besoin de la collectivité et l’appétence de l’entreprise, elle passe donc du temps à écouter à la fois les différents services de la métropole pour bien comprendre leurs projets et à la fois les entreprises pour apprendre à connaître leurs enjeux. Selon elle, "de plus en plus de personnes cherchent de l'argent, il faut que ce soit bien fait".

Mécénat territorial et marchés publics : se prémunir contre les risques juridiques

Une séquence de cette journée professionnelle a été consacrée aux risques juridiques liés au mécénat territorial et à la façon pour les collectivités de se prémunir contre ces derniers. "Les bénéficiaires publics du mécénat sont quotidiennement confrontés à la question de la compatibilité entre mécénat et règles des marchés publics", a précisé l’AFF en préambule. Des contreparties trop importantes accordées à l’entreprise donatrice peuvent en effet entraîner la requalification du mécénat (démarche de générosité) en parrainage (démarche explicitement commerciale) ou en marché public. Selon Wilfried Meynet du cabinet Alcyaconseil Avocats, il s’agit de bien s'assurer que l’opération relève du mécénat au sens fiscal du terme, car "la notion de mécénat a été très souvent galvaudée". Et d’éviter la "disproportion marquée" des contreparties accordées, avec un seuil de 25% de la valeur du don qui pourrait être ramené à 10% dans la réforme du mécénat actuellement en réflexion.

La difficulté peut consister pour la collectivité à valoriser les contreparties accordées (en partie immatérielles, liées à de la communication), ou encore le mécénat en lui-même quand il s’agit de mécénat en nature ou de compétence. Ainsi, même si c’est l’entreprise qui est juridiquement responsable de la valorisation du mécénat, il est conseillé aux collectivités – qui émettent généralement un reçu fiscal, même si celui-là n’est pas obligatoire pour le mécénat d’entreprise - de se mettre d’accord avec l’entreprise sur cette valorisation.

Chargé de mission "Maîtrise des risques, contrôle interne et politique de conformité" à la ville de Paris, Bruno Carles recommande par ailleurs de ne "jamais lancer dans un même document trois lots qu'on paye et deux lots en mécénat", mais plutôt d’isoler deux lots pour le mécénat avant le lancement du marché – en interdisant aux entreprises mécènes de candidater au marché en question. Pour éviter de fausser la concurrence sur le plus long terme, la ville de Paris "gère cette dualité par l'indépendance de circuits de décision totalement étanches", précise-t-il.

Pour l’ensemble de ces aspects, une charte éthique peut être établie par la collectivité et annexée à chaque convention de mécénat. Cela engage l’entreprise signataire et permet éventuellement de mettre fin à la convention en cas de non-respect des valeurs énoncées dans la charte. Juliette Démares s’est ainsi inspirée des modèles de l’Apie, de l’Admical et de la charte du Louvre pour établir celle de la métropole de Rouen.

Le fait de créer une structure extérieure – fondation ou fonds de dotation – ne supprime pas tous les risques, ont alerté les deux experts juridiques. Pour ne pas s'exposer au risque de "gestion de fait", il importe de "bien circonscrire la position de la collectivité dans la gouvernance" de la fondation territoriale, qui peut par exemple avoir un droit de regard au sein d’un conseil de surveillance, indique Wilfried Meynet. Le risque inverse, que l’outil échappe à la collectivité qui en a été à l’initiative, est plus important selon Bruno Carles, qui invite à rechercher l’équilibre dans la composition du conseil d’administration. Le représentant de la collectivité ne doit cependant pas être, par exemple, l’adjoint en charge de l’environnement dans un fonds dédié à l’environnement, pour éviter tout risque de prise illégale d’intérêt.