À mi-mandat, les maires de petites villes s'inquiètent du "malaise démocratique"

Réunis à Millau ces 1er et 2 juin pour leurs assises, les maires de petites villes ont dit leurs inquiétudes, sur fond de tensions sociales. Certains doutent de pouvoir aller au bout de leur mandat. Dominique Faure a fait savoir qu'une circulaire puis un texte de loi vont bientôt venir traduire son plan de lutte contre les violences faites aux élus. Christophe Béchu entend malgré les crispations concilier cohésion des territoires et transition écologique. Entre autres en avançant sur le dossier du ZAN. 

La géographie s'impose parfois à la politique. C'est sous le viaduc de Millau que les maires de petites villes ont choisi de se réunir cette année pour leurs assises, les 1er et 2 juin, autour d'un thème tout trouvé : "Bâtir des ponts pour demain". Rarement pourtant les ponts n'ont semblé aussi fragiles, dans un contexte de violences accrues contre les élus et de "crise démocratique", thèmes qui ont largement parcouru ces rencontres organisées dans le "théâtre de la maison du peuple". Tout un symbole. D'ailleurs, le cœur de ville de Millau avait été barricadé par les gendarmes pour éloigner les "casserolades" visant les élus et les trois ministres qui avaient fait le déplacement – Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Agnès Firmin-le-Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, et Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Ce qui n'a pas empêché quelques échauffourées entre manifestants et forces de l'ordre.

Dans ce contexte "où le pays connaît un certain nombre de tensions sociales et où le malaise démocratique s'intensifie", l'Association des petites villes de France (APVF) alerte dans sa résolution finale sur le climat de "grande gravité" que traverse le pays. Au contact direct des habitants, les maires de petites villes insistent sur leur "rôle incontournable" dans l'échiquier territorial. "Tous les jours nous bâtissons des ponts pour toutes les transitions", a déclaré Christophe Bouillon, en ouverture des assises, juste après avoir été réélu président de l'association. Et de filer la métaphore des "six arches" sur lesquelles les maires doivent s'atteler : la transition écologique, le logement, la réindustrialisation, la santé, les finances et le défi démocratique, "celui qui tient tout l'édifice".

Violences contre les élus : une circulaire en attendant un texte de loi

Sauf qu'à mi-mandat, le maire de Barentin a sondé le "moral des troupes". Et "beaucoup de maires sont au bord de la crise de nerfs et sont confrontés à un exercice de plus en plus difficile", a-t-il pu constater. "Beaucoup d'interrogent sur les trois ans qui viennent". Vont-ils aller jusqu'au bout alors que leur mandat a été "tronqué" par la crise sanitaire ? La démission du maire de Saint-Brevin, Yannick Morez, après l'incendie de son domicile, a marqué les esprits. "La peur est aujourd'hui du côté des maires et ce n'est pas possible", a déclaré celui qui, à Uzès, en 2019, avait déjà tiré le signal d'alarme et demandé à l'ex-garde des Sceaux une plus grande sévérité.

Quelques jours après avoir présenté son plan (voir notre article du 17 mai 2023), Dominique Faure a annoncé lors de ces assises que dès ce lundi, une circulaire cosignée avec le ministre de la Justice serait envoyée aux préfets et aux procureurs pour mettre en œuvre ses annonces. Elle a aussi confirmé qu'un texte de loi serait prochainement présenté pour que les sanctions soient équivalentes à celles des violences contre les policiers et gendarmes. "J'attends une niche pour passer ce texte de loi le plus rapidement possible", a-t-elle dit, expliquant que cette mesure avait été censurée par le Conseil constitutionnel dans le cadre de la récente loi d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur (Lopmi).

ZAN : un "dispositif complet" d'ici la mi-juillet

Christophe Béchu a aussi pu constater un "délitement de la démocratie", invitant les élus à ne pas avoir "d'indignation sélective", lorsque l'on s'en prend à des membres du gouvernement ou au chef de l'État. "Où est la limite ?", a-t-il posé. Selon lui, la société porte les stigmates de la période du Covid. "Surtout, il ne fallait pas se mélanger. Cela laisse une trace. On a véhiculé l'idée que l'autre, c'est l'ennemi", a-t-il estimé, y voyant l'une des raisons de l'agressivité actuelle. Pas un mot en revanche sur le contexte de la réforme des retraites. Dans leur résolution, les édiles notent, eux, l'importance des manifestations de ces derniers mois dans les villes petites et moyennes, avec des motivations allant bien au-delà de cette réforme. "C'est toute une partie de notre territoire, celle qui souffre de la désertification médicale, des conséquences de l'inflation, notamment sur le coût de l'énergie et de l'essence, celle qui souffre de la disparition et de la déshumanisation des services publics (...) qui a manifesté son inquiétude et parfois de la colère", constatent-ils, appelant le gouvernement à "un changement de braquet" et à ne "pas couper les ponts avec eux".

Pour Christophe Béchu, il ne faut pas opposer cohésion des territoires et transition écologique. "Si on fait la cohésion des territoires contre la transition écologique c'est qu'on manque à nos responsabilités", a-t-il expliqué, promettant de s'appuyer sur les collectivités pour mener à bien ses réformes. Seulement, les élus considèrent la crise actuelle du logement et le déploiement des zones à faible émission comme autant de "bombes sociales" à venir. Et ils renâclent devant la mise en œuvre à marche forcée du "zéro artificialisation nette", bien qu'ils partagent le principe même de la sobriété foncière. Ils y voient une forme de "recentralisation". A cet égard, Christophe Béchu a indiqué qu'un compromis était en passe d'être trouvé avec le Sénat dont plusieurs mesures de sa proposition de loi adoptée mi-mars pourraient être reprises (voir notre article du 17 mars 2023). "Nous avons inscrit un texte sur le ZAN, le débat aura lieu le 21 juin à l'Assemblée nationale et examiné en commission dès le 12 juin", a indiqué le ministre lors d'un point presse. "Il y a un chemin qui est en train de se dessiner pour faire en sorte qu'on ait idéalement avant la mi-juillet un dispositif complet applicable, loi et décret." Le texte devrait reprendre l'idée de "garantie rurale", sorte de "droit à l'hectare" pour les communes rurales. "Cela rend le ZAN acceptable", a insisté le sénateur LR du Vaucluse Jean-Baptiste Blanc, co-auteur de la proposition de loi sénatoriale avec Valérie Létard (Hauts-de-France, Union centriste), lors d'une table-ronde. Par ailleurs, les grands projets d'envergure nationale, tels que les gigafactories dont il est beaucoup question en ce moment ou les infrastructures de transport, pourraient être décomptés des enveloppes régionales. Quant à la "nomenclature", à savoir la définition d'un espace naturel agricole ou forestier, elle fera l'objet d'un décret. Attention à trouver un "juste milieu" et à ne pas jeter en pâture le modèle pavillonnaire, a plaidé le sénateur. "En cinquante ans, on a plus artificialisé qu'en 500 ans", a affirmé de son côté Christophe Béchu, insistant sur le fait que "le nombre de mètres carrés artificialisés par habitant atteint un record", en France, en particulier à cause de la construction de lotissements.

Un "Dalo Santé"

Mais il est un autre irritant pour les maires de petites villes : l'aggravation de la désertification médicale. La ministre Agnès Firmin-le-Bodo a admis  qu'il y aurait encore "huit années difficiles". Mais "le gouvernement est opposé à toute forme de coercition et de régulation", a-t-elle appuyé. Dans sa résolution, l'APVF appelle le gouvernement à prendre "enfin des mesures courageuses et à s'engager dans la voie de la régulation". Et elle soutient "très favorablement" la proposition de loi du député Guillaume Garot (Nupes) proposant un conventionnement sélectif. Elle va jusqu'à préconiser un "Dalo Santé", un droit opposable pour permettre à chaque administré d'obtenir un rendez-vous médical "dans un délai d'un mois maximum à moins de trente minutes" de chez lui.

 

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