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Mineurs non accompagnés : la Cour des comptes s'inquiète de l'hétérogénéité entre départements

La Cour des comptes rend public un référé sur la prise en charge des jeunes migrants se déclarant mineurs non accompagnés (MNA). Le tableau est globalement critique, que ce soit sur les conditions d'accueil, l'évaluation de la minorité ou la prise en charge de ces jeunes. Les constats concernent au premier chef les départements. Mais les remarques s'adressent aussi à l'Etat, dont l'intervention resterait lacunaire.

Après s'être penchée, dans une approche d'ensemble, sur la protection de l'enfance (voir nos articles du 20 juillet et du 30 novembre 2020), la Cour des comptes rend public un référé, daté du 8 octobre, portant spécifiquement sur "la prise en charge des jeunes se déclarant mineurs non accompagnés (MNA)". Le référé s'appuie sur les résultats de l'enquête menée en 2019 et 2020 par les chambres régionales des comptes auprès des services de l'État, des juridictions et dans 34 départements. Elle dresse un "panorama critique des conditions d'accueil, d'évaluation de la minorité et de prise en charge de ces jeunes".

Une mise à l'abri lacunaire

La Cour commence par rappeler une réalité que l'Assemblée des départements de France (ADF) ne cesse de mettre en avant : le nombre de MNA, après s'être limité à quelques centaines jusqu'à la fin des années 1990, est passé d'environ 4.000 en 2010 à plus de 28.000 reconnus mineurs en 2018 et orientés vers les services de la protection de l'enfance des départements, sur un total d'au moins 50.000 demandes.
Le référé formule deux grandes familles de critiques. La première porte sur "des conditions d'évaluation de la minorité trop hétérogènes, qui soulèvent la question de l'égalité d'accès au droit". Tout en rappelant que l'immense majorité des jeunes se déclarant MNA "se présente spontanément aux pouvoirs publics avant même d'être repérée par les services spécialisés, pour demander une prise en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE)", la Cour observe que la mise à l'abri de ces jeunes – présumés mineurs jusqu'à preuve éventuelle du contraire – se fait de plus en plus souvent via des nuitées hôtelières et non dans des structures relevant de la protection de l'enfance. Elle relève aussi que "de plus en plus souvent, des départements n'assurent plus la mise à l'abri, celle-ci pouvant être 'différée' dans l'attente de place ou jusqu'à l'issue de l'évaluation".

Le refus du dispositif AEM par certains départements bloque la situation

Ces écarts entre départements valent tout autant pour les conditions de réalisation de l'évaluation de minorité et d'isolement, malgré les précisions réglementaires apportées depuis plusieurs années. Par exemple, de nombreux départements ont mis en place, "sans base règlementaire", une "pré-évaluation" sous la forme d'un entretien succinct pouvant déboucher sur un refus de prise en charge. De même, le délai de cinq jours pour la phase d'évaluation n'est "quasiment jamais respecté, ainsi que la pluridisciplinarité et la collégialité de l'évaluation.
Enfin, "quelques départements" continuent de demander fréquemment une expertise médico-légale, malgré tous les doutes sur la fiabilité des examens radiologiques osseux. Conséquence : "l'hétérogénéité des pratiques d'évaluation de minorité et d'isolement fragilise le dispositif national d'orientation des mineurs, qui souffre d'un déficit de confiance". Sur ce point, le référé déplore que plusieurs départements, parmi lesquels les principaux départements d'arrivée, s'opposent au dispositif d'appui à l'évaluation de minorité (AEM), instauré par la loi du 10 mars 2018 et permettant de recueillir les données biométriques des jeunes demandeurs et de les confronter aux fichiers relatifs aux demandes de visa (Visabio) et aux titres de séjour (Agdref). Sur ce point, la Cour estime que les récentes dispositions règlementaires, modulant la participation financière de l'État au coût de l'évaluation et de la mise à l'abri en fonction de l'utilisation de l'application AEM, devraient contribuer à faire évoluer positivement cette situation (voir notre article du 28 octobre 2020).

Un pilotage et une organisation interministériels qui restent "fragiles"

La seconde famille de critiques, en lien direct avec la première, concerne "une intervention croissante de l'État qui présente encore nombreuses lacunes", les critiques portant manifestement davantage sur les lacunes que sur l'intervention croissante. Si le rôle de l'État s'est renforcé, en appui des départements, le pilotage de la politique d'accueil et de prise en charge des MNA demeure en revanche "lacunaire". Ceci vaut notamment pour l'absence de suivi statistique et de connaissance des jeunes concernés, d'où les incertitudes sur les effectifs réels, encore compliquées par le nomadisme de certains jeunes, qui passent d'un département à l'autre. 
Ceci vaut aussi pour un pilotage et une organisation interministériels qui restent "fragiles". De même, la Cour estime que la participation financière de l'État est "peu contrôlée", ce qui "n'incite pas suffisamment les départements à respecter leurs obligations". La remarque vise notamment le "peu de rigueur des éléments justificatifs renseignés par la plupart des départements à l'appui de leurs demandes de paiement" (une situation qui pourrait, elle aussi, être améliorée par l'utilisation d'AEM). Enfin, le référé pointe "une préparation insuffisante de la sortie des jeunes pris en charge par l'aide sociale à leur majorité".
La Cour formule donc trois recommandations. La première consiste à "rationaliser et renforcer les capacités de pilotage de l'État", notamment en renforçant le rôle de la Drees et de l'ONPE (Observatoire national de la protection de l'enfance) dans la coordination et la publication des études, en organisant le recensement des décisions de justice s'appliquant aux MNA en matière civile, en confortant le rôle de la DGCS (direction générale de la protection sociale) comme coordonnateur interministériel (rôle aujourd'hui partagé avec l'Intérieur et la Justice) et, enfin, en désignant le préfet de département comme interlocuteur du président du conseil départemental et coordonnateur des services de l'État sur le territoire (ce qui semble pourtant être déjà au cœur de sa mission).
La seconde recommandation consiste à "asseoir la contribution de l'État aux dépenses des départements sur des référentiels et des justifications plus pertinentes" et la troisième à "renforcer la qualité et l'homogénéité des procédures spécifiques aux MNA", en améliorant la qualité et l'homogénéité des procédures d'évaluation et en opérant la consolidation de l'état civil des MNA pendant la période de leur prise en charge, sans attendre la demande de titre de séjour.

Des ajustements en cours ou à venir

Conformément à la procédure, le Premier ministre répond, dans un courrier daté du 10 décembre 2020, au référé de la Cour des comptes. Après avoir rappelé que l'essentiel de la prise en charge des MNA relève des départements, il souligne également l'importance et les améliorations que devrait apporter le dispositif AEM, dont les arrêtés d'application ont été publiés en octobre et qui est entré en vigueur le 1er janvier 2021. 
Jean Castex confirme également que la plus forte implication de la Drees dans la production des données statistiques relatives la protection de l'enfance "est en cours d'expertise". Il rappelle aussi que la clé de répartition des MNA entre départements a été révisée "afin de la rendre plus équitable" et qu'une mission a été confiée l'Igas (Inspection générale des affaires sociales) et à l'IGJ (Inspection générale de la justice) en vue de préfigurer "un nouvel organe de gouvernance et une nouvelle coordination territoriale".
Enfin, le gouvernement "entend donner suite aux recommandations de la Cour en expertisant effectivement la faisabilité des solutions" permettant de renforcer la qualité et l'homogénéité des procédures spécifiques aux MNA et de consolider l'état-civil des MNA pendant la période de leur prise en charge sans attendre la demande de titre de séjour. Ce dernier point est en réalité déjà réalisé, via une récente instruction du ministre de l'Intérieur (voir notre article du 2 octobre 2020 ).

 

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