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Objectif zéro artificialisation nette : le Sénat défend ses contre-propositions dans un rapport

Le groupe de travail sur l'objectif "zéro artificialisation nette" constitué en début d’année au Sénat entend bien apporter sa pierre à l’édifice dans la perspective toute proche de la discussion du projet de loi Climat et Résilience. Dans un rapport présenté, ce 12 mai, il propose sa grille d’analyse autour de trois principes - territorialiser, articuler, accompagner - pour une planification plus sobre et plus efficace des projets de territoire.

Alors que le Sénat s'apprête à examiner dans les prochaines semaines le projet de loi "Climat et résilience", le groupe de travail sur l'objectif "zéro artificialisation nette" à l'épreuve des territoires - désigné début janvier par la commission des affaires économiques - propose dans un rapport à trois voix, présenté ce 12 mai par Jean-Baptiste Blanc (LR, Vaucluse), Anne-Catherine Loisier (Union centriste, Côte-d’Or) et Christian Redon-Sarrazy (Socialiste, Haute-Vienne), sa feuille de route pour concevoir l'effort supplémentaire de sobriété foncière. Un outil de réflexion, fruit d’une trentaine d’auditions menées auprès d'acteurs de l’aménagement, d'élus, des syndicats agricoles, d’urbanistes et d’entreprises, préalable au travail législatif qui s’engage au Sénat sur le projet de loi "Climat et Résilience", dont près d'une trentaine d'articles sont désormais relatifs à la lutte contre l’artificialisation.

Proposition en trois principes 

Sur la dernière décennie, le rythme d’artificialisation se situait autour de 28.400 hectares par an, destinés très majoritairement à la construction de logements. Entre 5 et 9,5% du territoire français serait aujourd'hui artificialisé avec les conséquences environnementales néfastes que l’on connaît : ruissellement accru, pertes de biodiversité, rupture des continuités écologiques, îlots de chaleur en zone urbaine, questionnements sur la souveraineté alimentaire, etc. "La prise de conscience est là" et l'ambition d'une gestion plus économe des espaces et des sols "est partagée", concède le rapport.
C’est donc sur la méthode que les points de vue divergent. Le rapport d’information s’inscrit en faux contre l’approche "résolument centralisatrice" et "coercitive" du projet de loi fondée sur des "objectifs rigides, uniformes, fixés à une échelle qui apparaît trop lointaine pour être opérationnelle et pertinente" alors que la Convention citoyenne pour le climat plaidait pour l’échelon de proximité.
Aussi propose-t-il une alternative à travers "une politique de lutte contre l'artificialisation co-construite avec les collectivités" selon trois axes : "territorialiser, articuler, accompagner". Autrement dit, une mise en musique dès à présent des quatre principes de "différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification" que doit traduire le projet de loi dit "4D", qui devrait lui aussi être prochainement soumis au Sénat.

Ne pas faire table rase

Le rapport rappelle que les mesures avancées par le projet de loi "Climat et Résilience" - traduction pas toujours fidèle des propositions de la Convention citoyenne - "ne s'écrivent pas sur une page blanche". Mais trouvent au contraire à s'appuyer sur des outils existants, comme les schémas de cohérence territoriale (Scot) et plans locaux d'urbanisme (PLU), et surtout sur les collectivités locales, "échelon de proximité et d'action, fers de lance de la sobriété foncière". Car les dynamiques y sont bel et bien "largement enclenchées" et "produisent déjà des résultats", même si les rapporteurs reconnaissent que ceux-ci ne seront "pleinement visibles que dans quelques années". Ainsi, près de 58% des Scot se sont fixé un objectif de réduction de la consommation d'espace de 50% au moins. Le rapport présente également de nombreux exemples de communes et EPCI qui ont déjà "rétrozoné" en zones naturelles ou agricoles des centaines d'hectares auparavant classés "à urbaniser". Au niveau des projets individuels, les exigences d'évaluation environnementale et de compensation ont aussi été significativement renforcées. Et les opérations de densification, de recyclage foncier et de réhabilitation des bourgs existants "se multiplient". 

Privilégier l’échelon intercommunal

Afin de respecter ces trajectoires co-construites et le cycle de vie des projets locaux, il est tout d’abord impératif  de "territorialiser", selon le trio de sénateurs. Les taux d'artificialisation varient de 4 à 20% selon les régions, et les rythmes aussi. Des divergences qui s’expliquent, notamment par le degré d'urbanisation, le type d'activité économique, mais surtout par la pression foncière, subie de plein fouet par les territoires littoraux et les métropoles. Et ces différences sont encore plus marquées entre intercommunalités.
Plutôt que de fixer un objectif uniforme de 50% de réduction sur dix ans inscrit dans les Sraddet (schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires) décliné par secteurs selon des critères fixés par décret comme le prévoit le projet de loi "Climat et Résilience", les auteurs du rapport privilégient une échelle plus fine : celle des Scot et des PLU(i) et ce "en cohérence avec la répartition des compétences décentralisées".
D’autant que les débats à l'Assemblée témoignent déjà, soulignent-t-ils, "de ce qu'elle appelle, pour être ne serait-ce qu'applicable, toute une série de dérogations, d'exceptions, de listes de critères sans cesse complétées et revues". Cet objectif uniforme "désavantagerait significativement les collectivités qui s'étaient déjà engagées dans des réductions volontaires et ayant déjà obtenu des résultats", donnant une "prime aux moins vertueux" et "pénalisant les territoires ruraux", insiste le rapport. Sans parler "des milliers de modifications dans les délais extrêmement courts" au mépris du cycle de vie des documents d’urbanisme, que le rapport évoque également au titre des "effets de bord".

Une conception en silo

Le groupe de travail relève par ailleurs que la lutte contre l'artificialisation peut mettre les collectivités face à de vrais dilemmes. L'enjeu est donc aussi celui de son "articulation" avec les autres objectifs de politique publique. "Il est impensable de chercher à la réduire sans traiter le vrai sujet de la rareté du foncier, sans prendre en compte les objectifs en matière de logement", remarque Jean-Baptiste Blanc, également rapporteur sur la partie artificialisation des sols du projet de loi "Climat et Résilience". D’après le rapport, ce pourrait être chaque année "un manque à construire de plus de 100.000 logements" si l'on applique l'objectif de réduction proposé par le gouvernement (dont 88% de logements individuels, soit plus du tiers des logements construits chaque année). Sachant que dans certaines zones déjà particulièrement denses ou tendues, le logement nouveau ne pourra pas être réalisé sur des terres déjà artificialisées. Des objectifs "mal calibrés" de limitation de l'artificialisation pourraient ainsi aggraver le déséquilibre entre offre et demande de logements, voire compromettre l'atteinte des objectifs de la loi dite "SRU" en matière de logement social.
Et "quelles seront les marges de manoeuvre dans les communes soumises à la fois à la loi Montagne, la loi Littoral, la loi SRU, et à des objectifs très ambitieux de lutte contre l'artificialisation ?", s’interroge Anne-Catherine Loisier, alertée par les maires sur l'empilement de législations, "dont les effets cumulés pourraient conduire à "geler' le développement de certains territoires".
Le rapport recommande aussi de faire une revue des "injonctions contradictoires" de politique publique. La fiscalité du logement et de l’urbanisme par exemple, a souvent des effets incitatifs à l'artificialisation. A l'inverse, il ne faudrait pas réduire à néant les efforts en faveur des zones de revitalisation rurale, note-t-il. 

Dernier kilomètre

L’autre clef pour atteindre les objectifs ambitieux de protection des sols réside dans "l'accompagnement des projets et des acteurs, tant financier qu'en matière d’ingénierie". "Il ne suffit pas de fixer un objectif surplombant aux collectivités, il faut s'assurer que les moyens sont là", alerte encore Jean-Baptiste Blanc. Accompagner, "c'est évoquer les outils réglementaires qui doivent être complétés, voire inventés, pour répondre aux besoins des maires", s’explique-t-il, épinglant en particulier la définition des sols artificialisés proposée dans le projet de loi, jugée "inopérante et incompréhensible pour les maires".
Le rapport propose notamment de renforcer la logique de bilan et d’évaluation des documents d’urbanisme. Le ciblage du zonage pourrait être "affiné", pour mieux identifier par exemple les zones à "désartificialiser" ou à réhabiliter. Parmi les autres idées avancées figurent aussi l'amélioration du recours aux établissements publics fonciers (EPF), la pérennisation du fonds friches créé dans le cadre du plan de relance, la mobilisation d'incitations fiscales pour les opérations vertueuses, l'extension des programmes partenariaux tels que "Action coeur de ville" et "Petites Villes de demain" à de nouveaux territoires, ou encore le renforcement des aides à l'élaboration des documents d’urbanisme. 

 

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