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Observatoire des inégalités : quels effets de la crise sanitaire et économique sur la pauvreté ?

L'Observatoire des inégalités a présenté ce 26 novembre la seconde édition de son "Rapport sur la pauvreté en France". Très attendu sur les conséquences de la crise, Louis Maurin, son président, a insisté sur "l'importance de faire le tri entre le court terme et le long terme" et de distinguer les différents degrés de pauvreté. Il estime que "les personnes les plus frappées ne sont pas forcément celles qui étaient en difficulté avant la crise". On devrait assister à une hausse de 10% des bénéficiaires du RSA. Le rapport met cette année l'accent sur les jeunes. L'Observatoire propose un revenu minimum unique, à ne  pas confondre avec le revenu universel.

L'Observatoire des inégalités a présenté, le 26 novembre, la seconde édition de son "Rapport sur la pauvreté en France" (pour la première édition, voir notre article du 17 octobre 2018). Ce document a été réalisé grâce à une campagne de financement participatif qui a réuni 500 contributeurs, mais aussi au soutien d'organismes comme le bureau d'études Compass, la fondation Abbé-Pierre et Macif-Mutualité. Conformément à son mode de fonctionnement et à sa volonté de faire œuvre pédagogique, l'Observatoire des inégalités ne produit pas de données en propre mais compile, analyse et met en perspective des données issues de diverses sources, même si l'Insee représente une bonne part de ces dernières (tout en faisant l'objet de critiques récurrentes).

Les personnes les plus touchées ne sont pas forcément celles en difficulté avant la crise sanitaire

Le premier rapport de 2018 mettait notamment l'accent sur le "retournement historique" à l'œuvre depuis les années 2000, avec des inégalités qui ne se réduisent plus, et soulignait la grande hétérogénéité des situations. Il plaidait alors, de façon argumentée mais aussi assez iconoclaste au regard du consensus du milieu associatif, pour un seuil de pauvreté à 50% du revenu médian (au lieu de 60%), ce qui réduit mécaniquement le nombre de personnes considérées comme pauvres. La seconde édition du rapport maintient ce choix et entend toujours "faire la part des choses dans un débat polarisé entre ceux qui, pour alerter, exagèrent la pauvreté dans notre pays et ceux qui ne veulent pas voir les difficultés sociales de certains de nos concitoyens".
Lors de la présentation du rapport, l'Observatoire était aussi très attendu sur les conséquences de la crise sanitaire et économique. Tout en précisant qu'"on est très démuni en termes de statistiques depuis mars", Louis Maurin, son président, a insisté sur "l'importance de faire le tri entre le court terme et le long terme" et sur la nécessité de faire une distinction entre les différents degrés de pauvreté. En termes de constat, Louis Maurin estime que "les personnes les plus frappées ne sont pas forcément celles qui étaient en difficulté avant la crise sanitaire. Le principal moteur de pauvreté avec la crise, c'est en effet la perte d'activité qui frappe les précaires, les intérimaires, les CDD. L'arrêt de l'activité touche également les non-salariés". 

"Plusieurs centaines de milliers de personnes" pourraient basculer dans la pauvreté.

Dans ce contexte, l'Observatoire estime à environ 10% la hausse de bénéficiaires du RSA résultant de la crise sanitaire et de ses conséquences, soit 200.000 foyers et 340.000 personnes. De même, on pourrait compter bientôt 600 à 800.000 chômeurs supplémentaires qui, bien entendu, ne basculeront pas tous dans la pauvreté grâce au système d'assurance chômage (même si la moitié des chômeurs actuels n'ont pas d'indemnisation). Les prévisions sont encore plus incertaines sur les travailleurs indépendants, qui n'ont pratiquement pas de couverture en cas de perte d'activité. Mais, même si seuls 10% d'entre eux étaient touchés, cela représenterait environ 300.000 personnes. Au final – et tout en se refusant à avancer un chiffre précis –, Louis Maurin juge que "plusieurs centaines de milliers de personnes" pourraient basculer dans la pauvreté. En revanche, il ne croit pas au chiffre d'un million de nouveaux pauvres, avancé par plusieurs associations.

"Les jeunes vont payer l’addition en matière d’emplois et de revenus"

Le rapport 2020 proprement dit met tout spécialement en exergue la situation des jeunes. "Le choix de traiter ce thème est antérieur à la pandémie de Covid-19", a précisé Anne Brunner, la directrice des études de l'Observatoire, "mais les jeunes font partie des plus exposés à la pauvreté et les plus touchés par la crise en cours". Elle insiste également sur la "pauvreté invisible des jeunes adultes". Pour Louis Maurin, "les jeunes vont payer l’addition en matière d’emplois et de revenus". 
Un seul chiffre suffit à mettre en évidence cette situation : la moitié des personnes pauvres ont moins de 30 ans. Par ailleurs, le taux de pauvreté des jeunes de 18 à 29 ans a progressé de plus de 50% entre 2002 et 2018, passant de 8% de la tranche d'âge à près de 13%. Parmi ces derniers, les plus vulnérables sont les jeunes les moins qualifiés issus des milieux populaires. Et, quoi qu'on en dise, la formation reste le meilleur rempart : 81% des pauvres (toutes tranches d'âges confondues) ont au mieux le bac. 
Même s'il n'hésite pas à provoquer un peu en affichant que "les enfants pauvres n'existent pas" – "Ces enfants vivent dans la pauvreté, mais ils ne sont pas pauvres par eux-mêmes : ils ne sont pas des enfants pauvres mais des enfants de pauvres" –, le rapport se penche également sur la situation des enfants. La pauvreté résulte alors le plus souvent du fait d'être élevé par un adulte seul : 39% des enfants de famille monoparentales vivent dans la pauvreté (au seuil de 60%, le seul disponible pour étudier la pauvreté des enfants), contre 15% des enfants élevés au sein d'un couple. L'Observatoire rappelle néanmoins que les enfants de pauvres sont beaucoup plus nombreux à vivre avec leurs deux parents qu'au sein d'une famille monoparentale. 

Le taux de pauvreté monte, mais reste l'un des plus faibles en Europe

Le rapport propose ensuite son "état des lieux de la pauvreté", dont le principal constat, déjà connu, est que la pauvreté augmente à nouveau, même si la France figure toujours parmi les pays comptant le moins de personnes pauvres. Seule la Finlande présente en effet un taux de pauvreté plus faible au sein de l'Union européenne. Après avoir nettement diminué de 1970 à 1980, les taux de pauvreté ont augmenté dans la première moitié des années 1980. Depuis 1985, le taux de pauvreté à 40% du revenu médian (correspondant à la grande pauvreté) est toutefois resté quasi stable (3,4% de la population et environ 2,2 millions de personnes en 2018). Celui à 50% du revenu médian – privilégié par l'Observatoire – a baissé jusqu'au milieu des années 2000, avant de repartir à la hausse et d'atteindre 8,3% de la population et 5,3 millions de personnes. Enfin, le taux de pauvreté à 60% du revenu médian a progressé depuis la crise de 2007 pour atteindre aujourd'hui 14,8% et 9,3 millions de personnes. Pour mémoire, les seuils de pauvreté pour ces trois taux sont respectivement de 708, 885 et 1.063 euros par mois.
D'autres chiffres sont également en forte hausse, comme celui du nombre de bénéficiaires de minima sociaux, en nette progression depuis 2007, passant de moins de 3 millions à plus de 3,7 millions. Mais cette progression est toutefois pour partie biaisée. Si la crise économique de 2007 a, bien sûr, joué dans le déclenchement de cette hausse, la revalorisation de plusieurs minima sociaux depuis cette date ("minimum vieillesse", RSA, AAH...) a également accru le nombre de bénéficiaires potentiels, sous l'effet mécanique du relèvement des plafonds de revenus.
Enfin, Louis Maurin a rappelé une réalité statistique qu'il conviendra de garder à l'esprit dans les prochains mois et les prochaines années : si la crise économique née de la pandémie de Covid-19 pèse sur les revenus des Français, elle pourrait diminuer le revenu médian, ce qui ferait alors mécaniquement baisser le nombre de pauvres, puisqu'il est calculé à partir de ce dernier... 

Non au revenu universel, oui au revenu minimum unique

Face aux tendances de ces dernière années et, plus encore, aux conséquences de la crise sanitaire et économique, l'Observatoire propose un revenu minimum unique, à ne surtout pas confondre avec le revenu universel. En effet, ce revenu minimum unique intègrerait toutes les allocations perçues, y compris les APL. Louis Maurel estime que ce revenu minimum unique pourrait être fixé au niveau du seuil de pauvreté à 50%, soit 900 euros par mois. Ce niveau correspond à une hausse moyenne des minima sociaux de 150 euros (les différences étant importantes entre les divers minima).
Le coût d'un tel dispositif était évalué, avant la pandémie, à 7 milliards d'euros. Avec les effets de la crise sanitaire et économique, le coût pourrait être désormais de l'ordre de 10 milliards d'euros. Pour donner un ordre de grandeur, Louis Maurin a rappelé que ce montant équivaut à la moitié de la perte de recettes budgétaire liée à la suppression de la taxe d'habitation. Il s'interroge donc sur ce qu'il faudrait pour se décider à agir sur ce point : "qu'il y ait de la casse comme avec les gilets jaunes ou que les classes moyennes soient touchées à leur tour ?".
Pourtant, et sans connaître encore le détail du dispositif, Louis Maurin reconnaît que l'annonce par Élisabeth Borne, le matin même, d'une "garantie de ressources de 900 euros par mois" jusqu'en février 2021 pour les personnes en situation précaire (saisonniers, intermittents, extras...) ayant travaillé plus de 60% du temps en 2019, pourrait marquer le début d'une convergence autour de ce montant de 900 euros (voir notre article de ce jour). 
Présent à la conférence de presse, Christophe Robert, le délégué général de la fondation Abbé-Pierre, s'est dit "à peu près d'accord" avec le niveau de 900 euros proposé par l'Observatoire. Il est en revanche, comme la plupart des associations, beaucoup plus réservé sur la prise en compte des APL. Pour lui, "les prestations ne sont pas nées de nulle part, elles correspondent à des politiques publiques". Il estime néanmoins qu'aujourd'hui, "la société est mûre pour un débat, mais il reste de nombreuses questions à trancher : ouverture aux moins de 25 ans, niveau du revenu, automaticité, de l'attribution...". Par ailleurs, même en instaurant un revenu minimum efficace, il resterait "le problème de ceux qui sont le plus loin de tout, et notamment les jeunes les plus précaires".

 

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