Paquet Climat : la fusée Fitfor55 à l’atterrissage

Cinq nouveaux textes du paquet Fitfor55 viennent d’être publiés au JO. Ils instaurent notamment le nouveau système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre portant sur le chauffage des bâtiments et les carburants du transport routier, à compter de 2027, et le fonds social pour le climat, destiné à limiter les impacts de ce nouveau dispositif pour les plus vulnérables, dont la France sera le deuxième bénéficiaire.

Lancé il y a près de deux ans (voir notre article du 15 juillet 2021) pour mettre en œuvre la loi européenne sur le climat (voir notre article du 28 juin 2021), l’escadrille Fitfor55 – paré pour la réduction de 55% des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à celles de 1990 – est à l’atterrissage. Un appontage en plusieurs temps, ce paquet étant composé de pas moins de 12 textes différents. Après le règlement sur la répartition de l’effort (voir notre article du 26 avril), cinq nouveaux textes viennent d’être publiés au Journal officiel de l’Union européenne, dont trois retiendront particulièrement l’attention.
 
La directive modifiant le système d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre dans l’Union (Seqe). Une révision vaste, qui vient notamment renforcer l’ampleur de la réduction des émissions des secteurs couverts (voir notre article du 4 janvier), réduisant la quantité de quotas disponibles afin de renchérir le coût du carbone et supprimant, non sans douleur (voir notre article du 22 juin 2022) progressivement les quotas gratuits alloués à certains secteurs soumis à une forte pression concurrentielle internationale. Le texte soumet également le transport maritime international au Seqe dès 2024 ou augmente le financement du fonds pour la modernisation (dédié aux dix États membres à faibles revenus) et du fonds pour l’innovation. Surtout, il institue à compter de 2027 un nouveau Seqe s’appliquant aux combustibles "des secteurs du bâtiment, du transport routier et d’autres secteurs" (i.e. les installations industrielles du secteur de l’énergie, de la production et transformation des métaux ferreux, de l’industrie minérale et des fabricants de pâte à papier, papier et carton non couvertes par le Seqe existant). Une mesure âprement débattue, que le président de la commission Envi du Parlement européen Pascal Canfin jugeait "inefficace" et "très risquée sur le plan social" (voir notre article du 15 juillet 2021), et face à laquelle la France se montrait réservée, pour les mêmes raisons (voir notre article du 15 décembre 2021). 
Ce nouveau Seqe sera créé en 2027, avec dérogation jusqu’en 2030 pour les États disposant déjà d’une taxe carbone. Sa mise en œuvre pourra toutefois être reportée d’un an "en cas de prix exceptionnellement élevés de l’énergie". Si en est exclue "la mise à la consommation de déchets dangereux ou municipaux utilisés comme carburant", le texte prévoit qu’au plus tard le 31 juillet 2026 la Commission évalue la possibilité d’inclure les installations d’incinération des déchets municipaux, et ce à partir de 2028. Le texte révise encore la réserve de stabilité du marché, notamment pour parer au risque potentiel de hausses excessives des prix au démarrage de ce nouveau Seqe. Notons que le texte modifie certaines dispositions relatives aux installations utilisant de la biomasse ou encourage les investissements nécessaires à la décarbonation du chauffage urbain, pour les seuls États membres "dont la part des émissions provenant du chauffage urbain est très élevée par rapport à la taille de l’économie" toutefois.
 
• Le règlement instituant un fonds social pour le climat, créé pour limiter les impacts de ce nouveau Seqe sur "les groupes vulnérables les plus exposés à la précarité en matière d’énergie ou de transport, particulièrement les ménages", les particularités géographiques des "îles, régions et territoires ultrapériphériques, zones rurales ou isolées, zones périphériques moins accessibles, zones montagneuses ou zones qui sont à la traîne" pouvant également être prises en compte pour les usagers des transports. Le texte donne pour la première fois une définition de la précarité en matière de transport, i.e. "l’incapacité ou la difficulté pour les individus et les ménages de faire face aux coûts des transports privés ou publics, ou leur manque d’accès ou leur accès limité aux transports nécessaires pour accéder aux services et activités socio-économiques essentiels, compte tenu du contexte national et spatial".
Ce fonds est doté d’un montant maximal de 65 milliards d’euros en prix courants pour la période du 1er janvier 2026 au 31 décembre 2032 (sans dépasser 4 milliards pour 2026, puis environ 10 milliards pour les années suivantes). Il sera alimenté par les fruits du Seqe, existant d’abord, puis du nouveau ensuite. La dotation de chaque État membre est calculée en fonction de sa population exposée au risque de pauvreté vivant dans des zones rurales, des émissions de CO2 de ses ménages, du pourcentage de ses ménages exposés au risque de pauvreté ayant des arriérés sur leurs factures de consommation courante, de sa population totale, de son revenu national brut par habitant (en standard de pouvoir d’achat) et de ses émissions de GES. Elle sera pour la France au maximum de 7,276 milliards pour la période 2026-2032 (réduite à 5,9 milliards en cas de report d’un an de l’instauration du nouveau Seqe), soit 11,19% du total. Ce qui fait d’elle le second bénéficiaire du dispositif, après la Pologne (17,60%).
Pour bénéficier de cette dotation, les États membres devront présenter à la Commission un "plan social pour le climat" au plus tard le 30 juin 2025, devant comporter un volet consacré aux investissements pour fournir aux plus vulnérables des ressources pour renforcer l’efficacité énergétique des bâtiments, "y compris par l’intégration de la production et du stockage d’énergies renouvelables", et pour décarboner leurs moyens de chauffage et de transport, le tout notamment "au moyen de chèques, de subventions ou de prêts à taux zéro". Ce plan pourra également inclure une aide directe temporaire au revenu pour atténuer les effets négatifs à court terme sur les revenus de l’augmentation du prix des combustibles fossiles. Il pourra notamment "favoriser l’accès à des logements abordables et économes en énergie, y compris des logements sociaux". Il plan devra être soumis à consultation publique, notamment avec les collectivités, et devra inclure la manière dont les contributions des parties prenantes ont été prises en compte.
Les États membres devront contribuer à au moins 25% des coûts totaux estimés de leurs plans.
Le fonds est mis en œuvre par la Commission en gestion directe. Les États membres pourront demander à y transférer jusqu’à 15% de leur dotation annuelle maximale aux fonds en gestion partagée, à l’exception des programmes relevant de l’objectif "Coopération territoriale européenne" (Interreg). Ils pourront également confier aux autorités de gestion des programmes de la politique de cohésion l’exécution de mesures et d’investissements bénéficient du fonds.
 
• Le règlement établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), qui vise à désamorcer le risque de "fuite de carbone" qui pourrait résulter d’une délocalisation de la production dans des pays aux normes environnementales moins strictes et d’une augmentation de produits importés fortement carbonés et moins chers, neutralisant ainsi la réduction opérée dans l’Union. Concrètement, pour rétablir l’égalité des coûts de production, l’importateur devra acheter des certificats MACF équivalents aux quotas de CO2 que le producteur européen doit acquérir dans le cadre du système d’échange de quotas d’émission (le Seqe) pour couvrir ses émissions. Ce mécanisme sera progressivement mis en place à compter de 2025. Il vise pour l’heure la sidérurgie, le ciment, les engrais, l’aluminium, l’hydrogène et l’électricité.

Ont également été publiés la directive révisée concernant la contribution de l’aviation à l’objectif de réduction des GES, qui réduit notamment l’allocation de quotas gratuits, et le règlement prévoyant l’inclusion des activités de transport maritime dans le Seqe.

Références :  directive (UE) 2023/959 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 modifiant la directive 2003/87/CE établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans l’Union et la décision (UE) 2015/1814 concernant la création et le fonctionnement d’une réserve de stabilité du marché pour le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre de l’Union (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE) ; règlement (UE) 2023/955 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 instituant un Fonds social pour le climat et modifiant le règlement (UE) 2021/1060 ; règlement (UE) 2023/956 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 établissant un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ; directive (UE) 2023/958 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 modifiant la directive 2003/87/CE en ce qui concerne la contribution de l’aviation à l’objectif de réduction des émissions dans tous les secteurs de l’économie de l’Union et la mise en œuvre appropriée d’un mécanisme de marché mondial ; règlement (UE) 2023/957 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 modifiant le règlement (UE) 2015/757 afin de prévoir l’inclusion des activités de transport maritime dans le système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne et la surveillance, la déclaration et la vérification des émissions d’autres gaz à effet de serre et des émissions d’autres types de navires.