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Pas de différenciation territoriale sans "changement des mentalités", y compris de la part des élus locaux

S'il implique une nouvelle manière de "fabriquer" les lois et les règlements, le principe de différenciation territoriale qui figure dans le projet de révision constitutionnelle nécessitera pour sa bonne application "une révolution des mentalités", y compris de la part des élus locaux. C'est ce qui ressort des échanges tenus lors d'un récent colloque sur le sujet.

 

La mise en œuvre du principe de différenciation territoriale, que le Parlement s'apprête à inscrire dans la Constitution, nécessitera "une révolution culturelle" de l'ensemble des élus, nationaux et locaux, ont pointé les participants d'un colloque que la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation au sein de l'Assemblée nationale a organisé le 13 mars.
Avec une loi qui, dans ses modalités, est actuellement la même pour tous, on aboutit à la "paralysie", a critiqué Françoise Gatel, sénatrice d'Ille-et-Vilaine. Elle en veut pour preuve la loi Elan du 23 novembre 2018, un texte "plein de bonnes intentions", mais qui entend, depuis Paris, "répondre à l'ambition du logement pour tous sur l'ensemble de la France." Résultat de cette démarche "jacobine" : "On est dans l'incapacité de faire", a lancé l'ancienne maire de Châteaugiron. "Tous les élus, y compris les élus locaux, nous devrions plaider coupables, a-t-elle dit : parfois nous exigeons que la loi vienne régler une situation locale. Ce faisant, nous polluons le reste du territoire." Selon elle, il faut renoncer à cette mauvaise habitude "en intégrant la différenciation", autrement dit "la territorialisation", dans la loi.

Pouvoir réglementaire local

Ce principe consiste à offrir aux collectivités territoriales la possibilité de déroger aux normes. Il peut s'agir aussi pour le législateur de "ne pas entrer dans un trop grand détail", lors de l'élaboration des textes législatifs, a estimé Géraldine Chavrier, professeure de droit public à l’Université Paris 1. Pour donner des marges de manœuvre aux acteurs locaux, les parlementaires pourraient, par ailleurs, renvoyer moins systématiquement la mise en œuvre des lois à un décret du Premier ministre, mais davantage au pouvoir réglementaire local et ce, en s'appuyant sur une jurisprudence du Conseil constitutionnel de 2002, a-t-elle suggéré. C'est donc déjà en partie possible, comme l'illustre, selon l'universitaire, l'exemple des aides des collectivités territoriales aux entreprises. Alors que jusque-là, les aides directes attribuées par les régions aux entreprises devaient être les mêmes d'une région à une autre, le législateur a décidé, en 2002, que la délibération de l'assemblée régionale définit les formes d'aides directes aux entreprises. En découle la faculté pour les régions de verser des aides en prenant en compte leurs spécificités. Bref, cela revient à faire de la différenciation.
Mais, en plus d'une nouvelle méthode pour "fabriquer" les lois et les règlements, il faut "une révolution culturelle" de la part des acteurs publics, en particulier de ceux qui "sont censés préserver l'égalité et l'unité de la nation", a plaidé l'un des participants, dans la salle. Ce n'est pas le moindre défi, a-t-il dit, se souvenant de "la résistance masquée" opposée par "la technostructure" à la préparation d'un code de la montagne regroupant l'ensemble des textes législatifs et réglementaires spécifiques aux massifs de montagne.

"La réforme n'autorisera pas tout et n'importe quoi"

De telles réticences demeurant vives, les parlementaires devront "déminer le terrain" dans le cadre de l'adoption de la révision constitutionnelle, a conseillé Géraldine Chavrier. Ils devront "clairement dire quelles sont les limites de la différenciation" et "rassurer en faisant le lien avec le principe d'égalité". Des conseils reçus cinq sur cinq par Arnaud Viala, député de l’Aveyron et co-auteur du récent rapport de la délégation sur "les possibilités ouvertes par l’inscription dans la Constitution d’un droit à la différenciation." Une réforme qui, selon lui, n'entraînera pas de big bang de l'action publique locale. Elle élargira, certes, les facultés d'action des collectivités territoriales, mais "elle n’autorisera pas 'tout et n’importe quoi'", a estimé le député.
Les élus locaux, eux aussi, doivent opérer "un changement complet des mentalités", a estimé Loïg Chesnais-Girard, président du conseil régional de Bretagne. En jugeant que si la collectivité régionale n'applique pas la différenciation à ses propres politiques, elle va faire fausse route, parce que ses territoires sont très divers.

"Les élus locaux devront assumer leurs responsabilités"

Il est bon que les élus locaux revendiquent des libertés, mais ils doivent être prêts à assumer leurs responsabilités, a souligné pour sa part Françoise Gatel. L'ancienne vice-présidente de l'Association des maires de France a dénoncé, lorsque certaines politiques font des mécontents, la propension actuelle des élus locaux à accuser le préfet, puisque ce dernier "impose" les décisions.
L'examen à l'Assemblée nationale du projet de loi constitutionnelle "pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace", qui a été interrompu en juillet dernier en raison de "l'affaire Benalla", devrait se poursuivre "avant l'été", a-t-on appris auprès du président de la délégation, le député du Gers Jean-René Cazeneuve. L'inscription de la différenciation territoriale dans la Constitution est prévue à l'article 15 du projet de texte.