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Plan de relance européen : les collectivités veulent être à la manoeuvre

En mettant l’accent sur les régions les plus touchées par la crise, le plan de relance européen doté de 750 milliards d’euros est par nature très territorialisé. Une bonne part de ce plan repose sur des subventions et sur un nouveau "mécanisme de facilité pour la reprise et la résilience". Reste à en préciser les clés de répartition et les modalités de gestion. Et à passer l’examen des États membres. Rendez-vous dès le 18 juin pour un sommet européen.

Le plan de relance européen présenté par la Commission le 27 mai est "historique", a salué le commissaire français au Marché intérieur, Thierry Breton, mardi 3 juin. "C’est la première fois que la Commission va pouvoir emprunter massivement sur les marchés avec des maturités à trente ans", a-t-il souligné devant les commissions des affaires économiques et des affaires européennes de l’Assemblée. Or selon lui c’est "l’intégrité du marché intérieur" qui se joue avec la crise qui a conduit à un "débat délétère" entre les pays "frugaux" (Pays-Bas, Autriche, Suède, Danemark) et les "non frugaux" (en gros, les pays latins). Ce premier grand emprunt de l'histoire de l'Union européenne permettra notamment à des pays comme l’Italie de bénéficier de taux très avantageux (liés à la note de la Commission sur les marchés) qu’elle n’aurait pas eus en agissant toute seule. L‘objectif est d’éviter un "spread", c’est-à-dire l’écart grandissant des taux entre partenaires de la zone euro qui déboucherait sur un "choc asymétrique" de la crise. Tous les pays vont devoir s'endetter. Mais "l’Italie va avoir à emprunter l’année prochaine 300 milliards d’euros", a rappelé le commissaire, le plan va "lui servir à emprunter à des taux favorables".

En 2012, François Hollande avait déjà avancé l’idée d’une mutualisation de la dette et mais s’était vu opposer un "nein" catégorique de la chancelière allemande. Les temps ont changé et l’Allemagne qui, il y a peu, faisait encore partie des pays frugaux, a opéré un virage à 180° en quelques jours (paradoxalement, la décision de la cour de Karlsruhe y est pour beaucoup) à travers la proposition franco-allemande de créer un fonds de relance de 500 milliards d’euros. C’est en partie cette proposition que la Commission a donc reprise.

500 milliards d'euros de subventions

Le plan de relance baptisé Next Generation EU, adossé au futur cadre financier pluriannuel 2021-2027, permettra donc à la Commission d’emprunter quelque 750 milliards d’euros sur les marchés. Sur le total, on retrouve les 500 milliards proposés par la France et l’Allemagne qui pour l’essentiel seront versés sous formes de subventions directes (433 milliards d’euros), le reste (67 milliards d’euros) abondera des programmes européens tels que Invest EU ou Horizon 2020, est venu préciser Thierry Breton.

À cela s’ajoute donc 250 milliards qui seront versés sous forme de prêts "consentis à des États qui pourraient avoir besoin d’une autre source de financement". L’ensemble s’inscrit dans un paquet global de quelque 1.850 milliards d’euros sur sept ans (dont les 1.100 milliards d’euros de budget sur la période).

Ces 750 milliards de budget supplémentaire seront acheminés vers les territoires qui en ont le plus besoin via les programmes européens existants ou nouveaux et seront remboursés par les futurs budget de l’UE sur une période longue, "pas avant 2028 et pas après 2058", précise la Commission. Voilà qui relance le débat sur les ressources propres de l’Europe. Car il en faudra pour rembourser la dette sachant qu’une bonne partie des Etats membres (notamment les frugaux) ne sont pas disposés à augmenter leur quote-part du budget européen. Quelques pistes sont déjà sur la table, comme l’hypothétique taxe Gafa (que la Commission préférerait toutefois voir traitée au niveau de l’OCDE) ou le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Cette taxe carbone "canada dry" permettra de taxer à l’entrée sur le marché intérieur des produits qui ne répondraient pas aux normes environnementale édictées dans le cadre du Pacte vert de l’UE, a expliqué Thierry Breton. Ce qui place l’Union européenne devant ses propres contradictions puisque le Pacte verte repose en grande partie sur la transition énergétique et l’extraction des terres rares (polluantes) qu’elle ne souhaite pas voir sur son sol…

Afin de démarrer au plus vite, la Commission propose d’ores et déjà de modifier le budget pluriannuel 2014-2020 pour débloquer 11,5 milliards d’euros dès cette année.

560 milliards "pour la reprise et la résilience"

Indépendamment de leur nature (subventions ou prêts), les 750 milliards d’euros du fonds Next Generation EU seront investis via plusieurs véhicules. Une enveloppe de 560 milliards abondera un nouveau "mécanisme de facilité pour la reprise et la résilience". Ce qui en fera le premier poste budgétaire, avant la politique de cohésion et la politique agricole commune. Cette somme financera les investissements et les réformes des États, y compris les transitions écologique et numérique. Elle se répartit elle-même en 350 milliards d’euros de subventions et 210 de prêts. "Le soutien sera à la disposition de tous les États membres, mais concentré sur ceux qui ont été les plus touchés et où les besoins en matière de résilience sont les plus importants", souligne la Commission. À noter que le mécanisme sera adossé au Semestre européen, autrement dit aux recommandations de réformes adressées par la Commission aux États chaque année.

La politique de cohésion bénéficiera d’une rallonge de 55 milliards d’euros au titre de la nouvelle initiative React-EU et se voit du même coup prolongée jusqu'en 2022. La répartition se fera en fonction de l’impact socio-économique de la crise (notamment le taux de chômage des jeunes).

Par ailleurs, le fonds pour la transition juste, qui constituait avant la crise la principale nouveauté du programme de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, sera abondé de 40 milliards d’euros supplémentaires pour aider les régions et les entreprises à changer de modèle énergétique.

Enfin, le Feader (fonds européen agricole pour le développement rural), autrement appelé "second pilier de la PAC", est renforcé à hauteur de 15 milliards d’euros. De quoi compenser la forte baisse prévue initialement dans la proposition de budget présenté en mai 2018 par la Commission européenne. Ces investissements doivent permettre de "reterritorialiser la production alimentaire", de "privilégier l’installation de jeunes agriculteurs" et d’"accompagner les transitions agroécologiques", ont aussitôt demandé les chambres d’agriculture qui présentaient leurs propres propositions de relance, ce mercredi 3 juin.

La Commission entend aussi attirer les investissements privés, à travers le renforcement du mécanisme Invest EU (amené à prendre la suite du plan Juncker) dont la capacité devrait passer de 38 à 72 milliards d’euros. Elle entend enfin tirer les enseignements de la crise sur les graves défaillances apparues en matière de santé. Un nouveau programme de santé doté de 9,4 milliards d’euros est envisagé.

"Qu'une partie soit gérée directement par les collectivités"

Ce plan de relance, qui doit être approuvé par le Conseil européen au mois de juillet, a été plébiscité par les représentants des collectivités. Mais il reste à transformer l'essai. Pour l’Association française du Conseil des communes et régions d’Europe (Afccre), ces mesures "constituent un tournant historique" et "semblent à la mesure des multiples défis posés par la crise sanitaire". L’association demande aux États membres, dans un communiqué du 28 mai, de les approuver au plus vite (un sommet du 18 juin devrait déjà annoncer la couleur). Mais l’Afccre propose aussi "qu'une partie de ces fonds soit directement gérée par les collectivités territoriales", "celles-ci ayant démontré, dans la programmation actuelle, leur capacité à assurer une gestion rigoureuse et efficace des fonds européens structurels et d’investissement". "Nous demandons par ailleurs que les collectivités territoriales qui sont directement concernées par les thématiques liées à la résilience économique et sociale et aux transitions vertes et numériques soient associées à la mise en œuvre et à la gouvernance de ces propositions et des programmes."

Le Comité des régions pousse dans le même sens. "Il est essentiel que le plan de relance de l'Union se décline très vite localement. Ce sont nos régions et nos villes qui connaissent le mieux les secteurs et les territoires", plaide la présidente de la commission de la politique de cohésion territoriale et du budget de l’UE, la Française Isabelle Boudineau (vice-présidente de la Nouvelle-Aquitaine), dans un communiqué du 27 mai. Car "les besoins économiques et sociaux ne sont pas les mêmes à Toulouse, dans la Creuse ou dans le bassin lorrain". "La balle est maintenant dans le camp des États membres."