Politiques climatiques : les Français prêts à soutenir des mesures efficaces pour l'environnement et socialement équitables

Selon une étude publiée ce 12 juillet par le Conseil d'analyse économique (CAE), 80% des Français considèrent le changement climatique comme un problème important et 75% d'entre eux attendent des mesures ambitieuses en la matière. Mais à deux conditions : qu'elles soient efficaces sur le plan environnemental et qu'elles aient un effet redistributif vers les ménages les plus vulnérables. Le CAE livre plusieurs recommandations tenant compte de ces perceptions, à commencer par le renforcement des programmes permettant de déployer à grande échelle des alternatives aux énergies fossiles.

Le spectre de la crise des gilets jaunes est encore bien présent dans l'Hexagone, au vu des résultats d'une étude sur les Français et les politiques climatiques publiée ce 12 juillet par le Conseil d'analyse économique (CAE). S'appuyant sur les résultats pour la France d’une enquête internationale menée par l'OCDE dans vingt pays et administrée en ligne sur un échantillon représentatif de 2.006 Français, cette étude entend dresser un panorama détaillé des attitudes vis-à-vis du changement climatique et des politiques climatiques. S'agissant de ces politiques, elle s'est particulièrement intéressée à la manière dont pouvaient être perçus trois types de mesures : une taxe carbone avec transferts, l’interdiction des véhicules thermiques et un programme d’infrastructures vertes.

Changements de comportement : aux plus riches de montrer l'exemple...

Tout d'abord, pour quatre répondants sur cinq, le changement climatique est un problème important et même si la majorité pense qu'il ne les affectera personnellement que modérément, trois répondants sur quatre estiment que la France doit prendre des mesures pour lutter contre ce phénomène. "Les répondants se disent prêts à adopter certains comportements décarbonés, à partir du moment où ceux-ci représentent un substitut valable pour leurs modes de vie habituels", relèvent les auteurs de l'étude. 45% se disent largement prêts à adopter un véhicule électrique ou économe en énergie, par exemple. "Ainsi, plutôt qu’une limitation de leurs déplacements en voiture, les Français interrogés privilégient un changement d’équipement, constatent-ils. L'absence d’alternatives au transport individuel carboné apparaît comme un frein important : seuls 46% des répondants déclarent bénéficier d’une 'bonne' disponibilité de transports publics là où ils vivent, alors que 9 sur 10 indiquent utiliser la voiture ou la moto dans leur vie quotidienne." "Seule une minorité de répondants semble disposée à modifier en profondeur son mode de vie, du moins de son propre chef", note l'étude. Comparées aux pays à hauts revenus, les dispositions des Français à changer leurs modes de vie sont proches de la moyenne, même si les Français sont les plus réticents à l’adoption d’un véhicule moins polluant. Ainsi, "six répondants sur dix considèrent comme 'très important' que les plus riches changent aussi leur comportement pour qu’eux-mêmes soient disposés à changer le leur. Il importe aussi que leur entourage change également de comportement, d’obtenir un soutien financier suffisant, ou de voir mettre en œuvre des politiques climatiques ambitieuses", commentent les auteurs.

Acceptabilité de la tarification carbone : tout dépend du fléchage des recettes

Certaines mesures apparaissent comme très populaires : les investissements publics dans des infrastructures décarbonées, l’obligation de rénovation thermique assortie de subventions, ou l’interdiction des véhicules polluants dans les centres-villes. D’autres en revanche suscitent des avis partagés : la taxe carbone, l’interdiction des voitures thermiques ou une taxe sur la viande rouge. 
Le soutien des répondants à une mesure particulière s’explique par trois perceptions cruciales : l’effectivité des réductions d’émissions, les effets distributifs et les effets sur son propre ménage, souligne l'étude. L’enquête démontre en outre qu’informer les citoyens sur les effets des politiques climatiques, notamment distributifs, augmente le soutien à celles-ci. "Le design des politiques est aussi déterminant : ainsi, la tarification carbone est majoritairement acceptée lorsque ses recettes servent à financer des investissements verts et/ou des compensations financières pour les ménages vulnérables", note l'étude, la vulnérabilité des ménages s'appréciant en fonction du niveau des revenus et de la situation géographique.

Renforcement des programmes finançant les alternatives aux énergies fossiles

Sur la base de cette enquête, le CAE propose plusieurs pistes de mesures. Il recommande en premier lieu d’établir un système d’enquêtes en continu pour mieux comprendre et suivre les considérations des citoyens. L'enquête annuelle de l'Ademe, qui comprendrait plus de questions sur les mesures climatiques, pourrait servir de modèle. Le CAE suggère également de fournir aux citoyens plus d’informations sur le fonctionnement et les effets des politiques climatiques. Cette mission pourrait être portée par une institution indépendante, en l'occurrence le Haut Conseil pour le climat (HCC) doté de moyens renforcés. Des simulateurs simples et interactifs pourraient aussi être offerts aux citoyens afin qu’ils puissent estimer l’effet des réformes proposées sur leur propre ménage.
Ensuite, à court terme, le CAE estime que la priorité doit être donnée au renforcement des programmes permettant d’offrir à chacun des alternatives aux énergies fossiles et ce, "en amont de toute future hausse de la tarification carbone". "Cette recommandation paraît d’autant plus indispensable au regard de la hausse récente des prix de l’énergie exacerbée par la situation géopolitique", souligne Stefanie Stantcheva, co-auteure de l'étude. Cela passe par l’augmentation des aides à destination des ménages vulnérables (rénovation énergétique des bâtiments et de ‘MaPrimeRénov’ pour favoriser les rénovations globales, investissements en équipements tels que les chaudières de nouvelle génération, véhicules électriques) et par l’accélération des investissements publics dans les infrastructures bas carbone (transports en commun, réseau ferroviaire, pistes cyclables, bornes de recharge pour véhicules électriques).

Priorité aux mesures de compensation ciblant les ménages vulnérables

À l’avenir, quand la tarification carbone aura augmenté, il faudrait s’engager à utiliser intégralement les nouvelles recettes liées à cette tarification pour financer des infrastructures et équipements bas carbone ainsi que pour compenser les ménages vulnérables via des transferts monétaires, estime le CAE. "Le soutien à la taxe carbone passe de 31% sans affectation des recettes à 54% lorsque ses recettes financent une compensation pour les ménages dépendants aux énergies fossiles et à 55% lorsqu’elles financent un versement pour les ménages les plus modestes, explique Stefanie Santcheva. Pour les protéger face aux prix élevés des énergies fossiles, la régulation par les prix (remise générale sur le prix de l'essence, gel du prix du gaz) n'est pas le bon instrument, car elle profite avant tout aux plus riches (qui consomment davantage d'énergie)."
Enfin, le CAE alerte sur les "limites" du principe payeur-pollueur. "Notre enquête a montré que la majorité de la population n’est pas prête à adopter un mode de vie compatible avec une baisse radicale des émissions si les plus aisés ne font pas de même, insiste-t-il. Les répondants ne sont pas seulement inquiets des effets redistributifs des politiques climatiques, mais expriment également des réticences très fortes face à la perspective que les plus riches puissent conserver certaines activités qui seraient rendues inabordables pour les classes moyennes. Ainsi, une large majorité des répondants préfère une interdiction pure et simple des voitures thermiques plutôt qu’un fort malus à l’achat d’une telle voiture." Pour les auteurs de l'étude, ces résultats suggèrent d’éviter que certaines mesures laissent la possibilité aux plus riches de payer pour polluer. "Ainsi, par exemple, dans le futur règlement sur les normes d’émissions de CO₂ qui vise un objectif de zéro émission pour les véhicules neufs dès 2035, il pourrait être préférable, pour être en phase avec l’opinion publique, de remplacer le malus pour émissions excédentaires par une interdiction de produire des véhicules thermiques à partir de cette date", avancent-ils.