Ponts : le patrimoine se dégrade, confirme l’Observatoire national des routes

Le rapport 2022 de l’Observatoire national de la route qui vient d’être rendu public confirme que l’état des ponts continue de se dégrader. Le phénomène est particulièrement prégnant au sein du bloc communal, comme l’attestent les premières données analysées par le Cerema dans le cadre du Programme national Ponts, dévoilées pour la première fois. Avec des budgets contraints en général, et l’augmentation du coût des travaux en particulier, il est à craindre que "l’inversion de la courbe" ne soit pas pour demain.

"Sécurité des ponts : le compte n’y est toujours pas", déplorait en juin dernier le Sénat (voir notre article du 20 juin), trois ans après son précédent rapport qui avait déjà sonné l’alerte (voir notre article du 27 juin 2019) suite à l’effondrement du pont Morandi, à Gênes, en août 2018. Le rapport 2022 de l’Observatoire national de la route (voir notre article du 28 janvier 2016) – dont les résultats sont toujours à prendre avec précaution, compte tenu de la faiblesse et de la volatilité des échantillons (voir notre article du 3 décembre 2021) – qui vient d’être publié conforte malheureusement l’analyse. Et ce, quels que soient les gestionnaires.

État et départements : une dégradation plus ou moins marquée

"L’état du patrimoine de ponts de l’État se dégrade régulièrement depuis 2017", déplore le rapport. Si 70,3% des ponts en nombre (64,8% en surface) étaient en bon état structurel en 2017, ils ne sont plus que 64,8% dans cet état en 2021 (46,3% en surface). L’analyse en surface laisse ainsi apparaître "un patrimoine dont la dégradation s’est fortement accentuée depuis 2017", ce qui "pourrait s’expliquer par la dégradation d’ouvrages de grande taille". Le pourcentage des ponts en très mauvais état (ceux de la classe 4, "dont l’altération de la structure peut conduire à une réduction de la capacité portante à court terme") a en effet doublé sur la période. Maigre consolation, en nombre de ponts, la classe 4 "semble relativement stable". L’ONR y voit le résultat d’"un investissement dans les réparations d’ouvrages les moins bien notés". La proportion d’ouvrages non évalués reste, elle, de 6% en nombre, et de 9% en surface.

S’agissant des départements, la dégradation des ouvrages les plus mal notés semble s’être stabilisée en 2021. Mais l’ONR observe que "la part des ouvrages en bon état structurel a diminué" – ils ne constituent qu’à peine plus de la moitié de ponts (idem en surface) de l’ensemble, faisant grossir la part des ouvrages "présentant des défauts nécessitant des travaux d’entretien spécialisés". L’analyse en surface fait également ressortir "un état global un peu moins bon". L’ONR relève en outre que "la proportion d’ouvrages non évalués en 2021 est estimée entre 9 et 10%". 

Bloc communal : une situation plus inquiétante encore

C’est pour le bloc communal que le résultat est le plus alarmant. Le rapport de l’ONR s’appuie pour la première fois sur les données recueillies et validées par le Cerema (au 6 septembre dernier) dans le cadre du "Programme national Ponts" (voir notre article du 21 septembre 2021). Elles concernent 5.152 communes et 15.033 ponts (et 7.809 murs). "Les résultats laissent apparaître un patrimoine relativement dégradé", note le rapport. Pour le moins, puisque "9% des ponts présentent des défauts majeurs de structure et près de 20% présentent des défauts de structure significatifs". Pis, "l’analyse en surface montre un patrimoine d’autant plus dégradé, avec plus de 40% des ouvrages qui présentent des défauts significatifs ou majeurs" (dont 23,7% des défauts "majeurs"), ceux de grande taille étant là encore a priori "ceux qui sont dans le moins bon état". Sans compter que ces résultats dissimulent de grandes disparités entre les familles de ponts : l’analyse en surface fait ainsi ressortir que 77,7% des ponts en béton précontraint (qui représentent 9,1% de la surface totale des ponts des communes analysées) présentent des "défauts majeurs" !

Afin d’affiner sa méthodologie, l’ONR a également adressé une enquête aux communes (51 réponses) et intercommunalités (5 réponses) de deux départements. Si la faible représentativité de l’échantillon invite là encore à la prudence, les résultats ne rassurent guère. "Près de 20% des ouvrages sont dans un état de dégradation avancée", pointe le rapport. L’enquête fait également apparaître que près de la moitié des répondants (47%) ne connaît pas l’évolution de l’état de leurs ouvrages d’art, 25,5% estimant qu’il se dégrade et 23,5% qu’il est stable (et donc moins de 4% pensent qu’il s’améliore). À la même question portant sur l’état de leurs chaussées, seulement 8% des répondants déclarent ne pas connaître son évolution, près de la moitié pensant (47%) qu’il est stable et 35% qu’il se dégrade.

De sombres perspectives

L’heure n’est donc pas à l’optimisme. L’ONR relève qu’après trois années de hausse, qui n’ont pour autant pas permis de rattraper le niveau de 2014, les dépenses d’investissement dans la voirie des administrations publiques ont baissé en 2020. Et c’est chez le bloc communal (hors métropoles) que cette baisse serait la plus importante, l’ONR relevant que l’État a continué d’investir en 2021 et que les départements ont globalement stabilisé leurs investissements, grâce à ceux portés par les "très grands" départements. "La crise sanitaire a pesé lourd sur les dépenses des communes qui ont certainement dû repousser une partie des travaux prévus", analyse le rapport. Un report dont il est à craindre qu’il ne soit appelé à durer "avec des prix qui augmentent et des budgets toujours plus corsetés", comme le relève Yves Krattinger, président de l’Institut des routes, des rues et des infrastructures pour la mobilité (Idrrim), partie prenante de l’ONR. Et quand bien même le niveau des investissements resterait stable, la forte augmentation des prix des travaux d’aménagement et d’entretien de voirie (près de 20 points d’indice en un an !) ne manquera pas de se traduire par une baisse des travaux effectivement réalisés. Dans l'immédiat, des financements supplémentaires viennent d'être votés au Parlement lors de l'examen du deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2022. La commission mixte paritaire a conservé plusieurs ouvertures de crédits proposées par le Sénat et destinées à accentuer les moyens dédiés aux infrastructures sur l’ensemble du territoire, pour la réfection des ponts (50 millions d’euros) et du réseau routier, notamment des petites communes (50 millions d’euros).