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Habitat - Préemption d'un logement : diviser le prix attendu par deux n'est pas une spoliation, mais...

Dans un arrêt du 5 juillet 2018, la Cour de cassation donne une interprétation très large de droit de préemption exercé par une commune. En l'occurrence, la ville de Paris décide, le 26 août 2014, d'exercer son droit de préemption sur un bien appartenant à la société civile immobilière (SCI) X... et qui venait de faire l'objet d'une déclaration d'intention d'aliéner auprès des services municipaux. L'objectif affiché par la ville pour justifier la préemption est de transformer ce logement de 30 m2 en logement social.

De 150.000 à 85.000 euros

Lors de la préemption, le compromis de vente signé par la SCI X... prévoit un prix de 150.000 euros. Mais le commissaire du gouvernement évalue la valeur du bien à 83.461,28 euros, montant arrondi à 85.000 euros, soit à peine plus de la moitié de la valeur prévue pour la vente. S'estimant lésée, la SCI X... saisit dans un premier temps le tribunal administratif de Paris, qui donne raison à la ville. Elle saisit alors les juridictions civiles, en invoquant une "atteinte disproportionnée à son droit de propriété" et l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Mais la cour d'appel de Paris rejette sa demande, en estimant que "les règles de fixation du prix posées par les articles L.211-5 et L.213-4 du Code de l'urbanisme n'occasionnaient pas à la SCI une atteinte disproportionnée à son droit de propriété".

La "bonne utilisation des deniers publics"

Saisie à son tour, la Cour de cassation rejette le pourvoi contre la décision de la cour d'appel et condamne la SCI aux dépens. L'arrêt relève en particulier "que les règles de fixation du prix du bien sur lequel s'exerce le droit de préemption traduisent le souci de la bonne utilisation des deniers publics et permettent la poursuite de l'objectif d'intérêt public de réalisation de logements locatifs sociaux".
La Cour de cassation rappelle aussi "que le propriétaire du bien est en mesure de faire fixer par le juge la valeur de ce bien, au jour du jugement, en produisant aux débats des termes de comparaison pertinents, et reste libre, si la valeur fixée par le juge ne lui convient pas, de renoncer à la transaction envisagée et de conserver son bien" (ce qui ne tient pas vraiment compte de la nécessité de vendre dans laquelle peuvent se trouver certains propriétaires, notamment lorsqu'ils changent de logement).
Conclusion de la Cour de cassation : "la cour d'appel en a déduit à bon droit que ces règles, qui assurent un juste équilibre entre les intérêts et droits en cause et ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété, n'étaient pas contraires aux dispositions de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales".

Et pourtant, "une plus-value importante"

La décision peut sembler étonnante, au regard de l'ampleur de la décote lors de la préemption (85.000 euros au lieu de 150.000 euros), mais aussi au vu de la très faible valeur du bien (150.000 euros et plus encore 85.000 euros pouvant être considérés comme des prix très faibles pour l'achat d'un logement à Paris, même de 30 m2).
Même si, comme à l'accoutumée, le jugement de la Cour de cassation n'est pas très bavard sur les circonstances de l'espèce, on peut néanmoins glaner quelques informations dans le jugement de la cour d'appel. Ainsi, il apparaît que le logement en question est situé dans le quartier de la porte de La Chapelle, qui peut être considéré comme l'un des moins attractifs de Paris. De même, on apprend que le logement est "doté d'un confort minimal (absence de WC intérieur, simple droit d'accès à un WC de palier)", et qu'il fait également l'objet d'un loyer régi par la loi du 1er septembre 1948.
Enfin, il apparaît que la somme de 85.000 euros proposée dans le cadre de la préemption "est très supérieure au prix d'achat de 60.000 euros du bien par l'appelante, le 16 janvier 2013, ce qui permet à la propriétaire de dégager une plus-value importante en un bref laps de temps, incompatible avec la spoliation qu'elle dénonce".

Références : Cour de cassation, troisième chambre civile, arrêt n°17-20033 du 5 juillet 2018, ville de Paris, société civile immobilière X.

 

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