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Premier baromètre des mobilités du quotidien : des fractures sociales et territoriales encore très marquées

Malgré une prise de conscience environnementale de plus en plus partagée, les Français sont encore loin d'être égaux en matière de transports, confirme le premier baromètre des mobilités du quotidien que viennent de publier la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l'homme et la plateforme Wimoov. Plus on s'éloigne des grands pôles urbains, plus on est dépendant de la voiture pour se déplacer et plus le budget transports est élevé, confirme cette étude qui repose sur une enquête nationale auprès de 4.000 personnes et sur trois études de terrain menées dans des territoires à faible densité de population.

Plus d'un an après le déclenchement du mouvement des Gilets jaunes, le premier Baromètre des mobilités du quotidien que viennent de publier la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l'homme (FNH) et la plateforme Wimoov avec le soutien de partenaires tels que l'Association des petites villes de France (APVF) et la Banque des Territoires met une nouvelle fois en exergue les fortes inégalités territoriales et sociales en termes de déplacements. Ce baromètre, qui repose sur une enquête nationale menée auprès de 4.000 personnes et sur des études de terrain dans trois territoires à faible densité de population* sera reconduit chaque année afin de "mesurer l'efficacité de la loi d'orientation des mobilités (LOM) à l'aune de l'évolution des pratiques des Français vers une mobilité durable et inclusive", soulignent ses promoteurs.

Usage captif de la voiture individuelle

Cette édition 2019 montre d'abord la prééminence de la voiture individuelle dans les déplacements : elle constitue toujours le mode de transport principal de 72% des Français. À l'exception notable de Paris où elle n'est plus utilisée comme mode de déplacement principal que par 9% des habitants, elle domine partout ailleurs, même dans les villes centres des grandes métropoles et les grands pôles urbains (47% des sondés l'utilisent comme principal mode de transport dans les premières et 66% dans les seconds).
Plus on s'éloigne des grandes aires urbaines, plus on l'utilise : elle est le principal mode de déplacement de 81% des habitants des petits et moyens pôles urbains, de 88% de ceux des couronnes périurbaines et de 89% de ceux des communes isolées. En outre, 31% des automobilistes roulent avec un véhicule de plus de 10 ans (58% parmi les foyers les plus modestes) et seuls un tiers des automobilistes réduiraient beaucoup ou arrêteraient d'utiliser leur voiture en cas de hausse du carburant.
55% des personnes interrogées déclarent ne pas avoir le choix de leur mode de déplacement et parmi elles, 84% utilisent principalement la voiture. Ces deux dernières années, 32% des sondés ont même accru leur utilisation de la voiture (39% dans les zones à faible densité).
Si le baromètre montre que l'usage "captif" de la voiture prédomine en dehors des grandes agglomérations, il témoigne aussi d'une aspiration au changement et d'une prise de conscience généralisée des enjeux environnementaux – 52% des sondés jugent la situation "très préoccupante", estimant qu'il est urgent d'agir, tandis que 27% la jugent "alarmante" et craignent qu'il soit déjà trop tard. La prise de conscience est particulièrement forte chez les jeunes, 60% des 18-24 ans considérant que les déplacements contribuent "beaucoup" à la dégradation de l'environnement. Mais si 38% des automobilistes des villes centres des grandes métropoles pensent réduire leur usage de la voiture d'ici 10 ans, il n'en va pas de même dans les territoires où l'usage contraint de la voiture est très fort. Au cours des dix prochaines années, près de la moitié des sondés envisagent toutefois de passer à la voiture électrique même si le premier frein mentionné reste le prix d'achat. 59% se disent aussi favorables à la fin de la vente des véhicules à énergie fossile d'ici 2040 – mesure prévue par la LOM – mais cette disposition est jugée négativement par la majorité des sondés des petits et moyens pôles urbains et des communes isolées.

Coûts de déplacements jugés trop élevés

Près d'un Français sur deux admet pouvoir réaliser tout ou partie de ses trajets quotidiens à vélo. Outre la trop longue distance, le principal frein à l'usage du vélo est pour 47% des sondés l'absence d'infrastructures adaptées et sécurisées. 77% des habitants des communes peu denses déclarent en outre ne pas pouvoir accéder à pied à des transports collectifs. Quant à l'usage du numérique en mobilité, il se heurte à un "gap générationnel" encore très important, les 18-24 ans étant les plus enclins à utiliser leur smartphone pour calculer un itinéraire (63%) contre respectivement 25% et 24% des 55-64 ans et des 65-75 ans.
Parmi les principaux freins à la mobilité ressentis par la population, le coût associé aux déplacements arrive en tête pour 50% des Français, tous territoires confondus, et pèse en premier lieu sur les plus modestes. Alors que le budget mensuel moyen alloué aux déplacements est de 109 euros, il est considéré comme "élevé" par deux/tiers d'entre eux. Les communes rurales, périurbaines ou isolées cumulent absence de choix du mode de transport et coût élevé en matière de mobilité. Pour les habitants des communes rurales, le budget transport est en moyenne 50% plus élevé (141 euros mensuels contre 90 euros pour les urbains).
Outre le facteur pécuniaire, la peur constitue aussi un frein à la mobilité. C'est notamment le cas pour les plus jeunes (29% des 18-24 ans craignent un incident pendant leur trajet), et les ménages modestes qui sont 26% à le redouter.

Renoncements à l'emploi ou à la vie sociale

Pour 1 Français sur 3, la fatigue liée aux conditions de transport est pointée comme un obstacle aux déplacements quotidiens, un constat que partagent surtout les habitants des grandes agglomérations et les publics précaires. Ces contraintes se traduisent par des renoncements, note le baromètre. Les difficultés à se déplacer poussent 43% des publics défavorisés (contre 17% des ménages les plus aisés) à refuser un emploi. Ce problème touche l'ensemble du territoire mais il se manifeste plus fortement dans les grandes agglomérations (jusqu'à 31% à Paris) et touche davantage les personnes dépendant des transports collectifs (38%) alors que 24% seulement des habitants des communes rurales ont renoncé à un emploi en raison d'un problème de transport. Pour les plus modestes, les contraintes se cumulent et alimentent le renoncement non seulement à un emploi mais à une vie sociale, souligne l'étude. 1 personne sur 4 déclare ainsi ne pas sortir de chez elle plus de 2 à 3 fois par semaine.
Les résultats du baromètre expriment aussi un besoin de moins "subir" la mobilité et en particulier les déplacements domicile-travail. Alors que le télétravail ne concerne aujourd'hui que 6% des actifs, deux actifs sur trois estiment qu'un jour ou deux par semaine constituerait le rythme idéal de télétravail, selon le sondage. Plus des deux tiers des actifs ayant la possibilité de télétravailler assurent aussi qu'ils auraient recours à des tiers-lieux pour réduire leur temps de transport si ceux-ci existaient.

Besoins d'articulation entre acteurs sur le terrain

Les résultats de l'enquête nationale et des études de terrain conduisent à des constats partagés. Le sentiment de mobilité contrainte malgré des volontés de changement apparaît dans les deux cas. Les "autosolistes attachés et/ou dépendants" se disent conscients des enjeux environnementaux, et n'hésitent pas à exprimer un sentiment d’incohérence voire de culpabilité. Les usagers des modes actifs le sont plus "par défaut" que par conviction en raison de freins économiques, psychosociaux et de leur ancrage géographique. Mais les études de terrain font ressortir une satisfaction à l’égard des offres de mobilité connues, des envies de changer et des capacités d’entraide et de débrouillardise.
Si les actions de mobilité durable et inclusive peinent encore à être coordonnées, elles sont perçues comme compatibles et complémentaires par ceux chargés de les mettre en œuvre. Mais pour les acteurs locaux, "la difficulté à évaluer quantitativement les impacts d'un service ou d'une infrastructure constitue une limite pour rendre compte de l'adéquation entre l'offre et la demande mais aussi pour justifier leur mise à l'agenda politique et par extension leur financement." Malgré tout, ils commencent à inscrire leurs actions dans une logique partenariale et à les articuler avec d’autres enjeux (inclusion et lutte contre l'isolement, développement économique, décarbonation).

La LOM encore méconnue

Enfin, la plupart des acteurs rencontrés dans les trois territoires étudiés n'ont qu'une très faible connaissance de la LOM et de ses implications mais en attendent une meilleure lisibilité des enjeux et des solutions de mobilité. Ils souhaitent ainsi que soit clarifiée la répartition des compétences et le devenir des actions sur les territoires aujourd'hui "zones blanches" de la mobilité. Ils sont aussi demandeurs d'une meilleure dynamique entre acteurs pour que l'articulation entre mobilité durable et mobilité inclusive trouve une traduction opérationnelle dans les territoires.  Quant au développement de l’électromobilité, il fait aujourd'hui débat entre les acteurs locaux qui ont déjà mis en œuvre ou envisagent de déployer un maillage de bornes de recharge électrique et ceux qui doutent de cette solution à la fois pour répondre aux besoins quotidiens des habitants et aux enjeux de lutte contre la pollution.


*Enquête réalisée en ligne du 6 au 15 novembre 2019 par l'institut d'études ObsoCo auprès d'un panel de 4.000 personnes représentatives de la population française âgées de 18 à 75 ans et études de territoire menées par Chronos dans la communauté de communes du Sud Avesnois (Nord), la communauté de communes du Jovinien (Yonne) et la commune nouvelle des Hauts d'Anjou (Maine-et-Loire) selon une méthode d'immersion favorisant les échanges avec les usagers et acteurs locaux.