Projet de loi 3D : ce que prévoit le gouvernement

Une circulaire du Premier ministre, rendue publique par des syndicats, dessine les enjeux du futur projet de loi 3D qui fait l'objet actuellement d'une concertation territoriale. Les compétences des collectivités pourraient être élargies dans des domaines tels que le sport, la culture, les routes, les aides à la pierre, ou encore la santé en milieu scolaire.

Alors que la concertation territoriale sur le futur projet de loi "3D" (pour décentralisation, différenciation et déconcentration) bat son plein – des réunions ont déjà été organisées depuis le début de l'année, à Arras, Agen, Dijon, Châlons-en-Champagne, Metz et Pontivy –, on en sait un peu plus sur l'esprit dans lequel l'exécutif aborde le chantier. Ces derniers jours, des fédérations de la CGT et de la CFDT ont mis en ligne une circulaire du Premier ministre aux préfets (à télécharger ci-dessous), dont l'objet est de "déterminer les principes directeurs de la concertation" qui doit durer jusqu'au mois de mai (avec une interruption en mars en raison des élections municipales). Cette feuille de route de 53 pages, qu'Édouard Philippe a signée le 15 janvier, est une invitation à "repenser la manière dont la décentralisation doit être conçue". Avec pour guide les principes que le président de la République a posés lors de sa conférence de presse du 25 avril 2019. Sifflant la fin du Grand Débat national, Emmanuel Macron avait annoncé ce jour-là le lancement d'un "nouvel acte de décentralisation" qui se distinguerait des précédents, menés sous les gouvernements de Pierre Mauroy et Jean-Pierre Raffarin : il faudrait, avait-il dit, transférer aux collectivités la totalité d'une compétence (et pas seulement des "bouts"), ainsi que les financements et les responsabilités qui les accompagnent.

Emploi, sport, culture…

Le Premier ministre le redit : l'État est ouvert à la discussion sur d'éventuels transferts de compétences à la sphère publique locale. Dans les domaines, bien sûr, que le président de la République a évoqués, à savoir le logement, les transports et la transition écologique. D'autres transferts ne sont, toutefois, pas exclus, surtout "quand il existe de bonnes raisons d'estimer que la politique publique serait mieux exercée par une collectivité territoriale que l'État", souligne le Premier ministre. D'ailleurs, sans attendre les résultats de la concertation, il dresse une liste (non exhaustive) de ces compétences pour lesquelles l'État envisage une "nouvelle organisation" : "emploi, sport, culture, certaines des compétences scolaires, certaines des compétences sociales". Chaque item fait l'objet d'une "fiche technique" spécifique dans laquelle sont recensées des interrogations et des pistes d'évolution (voir notre encadré ci-dessous)..

Les domaines sélectionnés pourront faire l'objet de transferts aux collectivités territoriales. Mais cette option n'est en réalité qu'une parmi d'autres. Il existe tout un panel de modalités d'exercice des compétences, rappelle le Premier ministre. Qui cite la délégation de compétences, la contractualisation, ou encore "la participation à la gouvernance des acteurs, et donc, à l'élaboration de leurs choix stratégiques".

Étendre le pouvoir réglementaire local

Autant de solutions qui sont à choisir en fonction des spécificités de chaque territoire. "Les collectivités territoriales sont, pour de larges pans des services publics locaux, dans des situations différentes, qui appellent la mise en œuvre de solutions différentes", souligne le chef du gouvernement. Cela correspond au principe de différenciation que promouvra le projet de loi. Édouard Philippe n'entend pas en effet attendre la révision de la Constitution – laquelle est peut-être renvoyée aux calendes grecques – pour le faire. D'autant que, "dans le cadre constitutionnel actuel", il existe déjà "différentes manières" d'adapter le droit, fait-il remarquer. Sous certaines conditions, il est ainsi possible d'attribuer par la loi des compétences spécifiques à une collectivité territoriale, et d'en adapter les modalités d'exercice. L'assouplissement des règles de mise en œuvre des expérimentations locales est également à la portée du gouvernement. On saura à ce sujet qu'il entend simplifier les règles relatives à "l'entrée dans l'expérimentation". Ou encore de créer de nouvelles options, en fin d'expérimentation : la "généralisation" à seulement une partie des collectivités territoriales et "l'attribution de marges de manœuvre plus importantes au pouvoir réglementaire local".

C'est aussi dans le cadre du droit commun que le renforcement de la capacité locale à réglementer est envisagé, et ce "dans les champs de compétence actuels des collectivités territoriales". La concertation a donc pour vocation à identifier "les domaines pouvant justifier une plus grande utilisation" de ce pouvoir, "dans le respect des principes constitutionnels".

Dix champs de compétences identifiés

La circulaire est complétée par dix fiches thématiques. Pour chacune d'entre elles sont rappelés les "objectifs de la politique publique" considérée, la répartition actuelle des compétences. S'en suivent un "diagnostic de la situation" et, in fine, une série de questions quant à la façon d'"améliorer  l'atteinte des objectifs". Nous  reprenons ici in extenso ces séries de questions. Celles-ci témoignent du fait que l'heure n'est plus seulement aux grandes questions de principe, que l'on est bien déjà entré dans le vif des sujets.

AIDES À LA PIERRE

"Faut-il différencier le traitement des aides à la pierre pour le parc social de celles du parc privé ?"
• Contractualisation
"De nouvelles collectivités locales sont-elles volontaires pour engager une nouvelle génération de délégations ? Cette délégation porterait sur l’instruction et la décision d’attribution des aides à la pierre dans le parc social et reposerait sur l’atteinte d’objectifs préalablement contractualisés avec l’Etat concernant la construction, la démolition et la réhabilitation du parc social."
• Décentralisation
"Peut-on imaginer le passage à un véritable transfert de compétence, et non d'une simple convention de délégation ? Quelle articulation faudrait-il alors prévoir avec l’article 55 de la loi SRU qui reconnaît aux préfets, dans le cadre de l’exercice du droit de préemption, la faculté de mobiliser des aides à la pierre au bénéfice de l’opération faisant l’objet de la préemption ?
Selon quelles modalités peut-on envisager cette décentralisation, notamment financières mais aussi du point de vue de l’atteinte globale d’objectifs de solidarité ? Et dans cette hypothèse, il convient de noter que le transfert porterait à la fois sur les aides à la pierre et l’attribution des logements sociaux, en particulier le Dalo. Quel niveau de collectivités pourrait se voir confier cette compétence ?"
• Différenciation
"À défaut d’envisager une décentralisation généralisée, qui n’est pas forcément souhaitée par toutes les collectivités, et alors que les délégations qui forment la référence historique ne forment pas un ensemble homogène, certaines d’entre elles seront-elles intéressées par une approche dans un cadre différencié, afin de servir des stratégies territoriales spécifiques en la matière ? Dans ce cadre, comment intégrer la différenciation dans une démarche orientée vers la performance ?"

SANTÉ EN MILIEU SCOLAIRE

• Décentralisation
"Une décentralisation vers les départements de la médecine scolaire permettrait-elle d’accroître sa performance grâce à un pilotage départemental ? Selon quelles modalités ? Le transfert des bilans de santé permettrait-il la constitution d’un bloc de compétence 'médecine préventive' cohérent au profit des départements ? Sinon, quelles autres actions de prévention individuelle et collective pourraient être décentralisées pour parachever cet ensemble ?
• Contractualisation
"Dans quelles conditions la départementalisation de la médecine scolaire pourra-t-elle se faire dans le respect de l’équité territoriale ? Une contractualisation État-départements sur des objectifs de résultat est-elle envisageable ?"

SPORT

• Dévolution du pouvoir réglementaire / simplification normative
"S’il semble a priori exclu de transférer aux collectivités le pouvoir réglementaire lié à la sécurité et la protection des usagers, prérogative régalienne de l’État, dans quelle mesure certaines dispositions du code des sports pourraient être exercées par les collectivités territoriales, qui disposeraient à ce titre d’un élargissement de leur pouvoir réglementaire ? A minima, comment réduire le poids des normes relatives au sport pesant sur les collectivités territoriales ?"

RESEAU ROUTIER NATIONAL

"Jusqu'où aller dans la décentralisation du réseau routier national : se limiter au réseau routier répondant à des problématiques d’aménagement du territoire ou inclure dans le processus l’ensemble du réseau non concédé ?
Dans quelle mesure peut-on envisager un transfert 'à la carte' de sections du RNN non concédé, en fonction des demandes des collectivités ?
Quels sont les territoires qui appelleront une organisation spécifique (ex : le réseau francilien) ?
Comment la matérialiser, via une expérimentation, une différenciation à droit constant ?
Quelles seront les prérogatives de l’Etat à préserver dans ce domaine afin de lui permettre d’assurer les fonctions de transit national et international, la gestion des événements exceptionnels, le contrôle des grands ouvrages et itinéraires de transit, la sécurité routière et la gestion des crises ?"

CHALEUR RENOUVELABLE ET ECONOMIE CIRCULAIRE

"Si les missions d’expertise remplies par l'Ademe n’ont pas vocation à être décentralisées, il apparaît que la région pourrait disposer de leviers accrus au regard de sa responsabilité de chef de file en matière de développement durable et d’énergie, et alors même qu’elle apporte son concours à certains projets."
• Gouvernance
"Faut-il davantage associer les collectivités territoriales, en particulier les régions, à la gouvernance locale de l’Ademe ?"
• Contractualisation
"Faut-il contractualiser avec les régions des objectifs dans ce domaine, dont l'atteinte serait soutenue notamment par les crédits budgétaires de l'Ademe délégués aux régions ?
Par exemple, mettre en place une contractualisation intégrée avec les régions pour déléguer la gestion d’une partie des crédits de l’Ademe (partie du Fonds Chaleur et du Fonds Économie circulaire, pour 100 M€/an), dans le cadre des CPER par exemple, et pour contribuer à certains objectifs nationaux définis dans ces contrats (production d’énergie renouvelable, tonnage de déchets recyclés…). À titre d’exemples, les chaufferies biomasse de petite et moyenne puissance, le solaire thermique, la méthanisation, la lutte contre le gaspillage alimentaire, la collecte des biodéchets, ainsi que les observatoires, pourront ainsi rentrer dans le périmètre délégué."

CULTURE

"La conduite des politiques culturelles en France suit la longue histoire de la décentralisation et de la déconcentration. Le champ culturel fonctionne déjà par coconstruction entre l’Etat et les
collectivités, tant pour l’élaboration des politiques culturelles que pour leur mise en œuvre.
Les mois ou années à venir doivent permettre d’améliorer les décisions dans ces processus de coconstruction des politiques avec des Drac plus en responsabilité d’action et de décision, au plus près des acteurs et des territoires. Il conviendra d’articuler la présente concertation avec celle menée au sein du Conseil des territoires pour la culture (au niveau national et dans ses déclinaisons territoriales). Elle pourra aborder l’évolution de l’organisation et des modalités de pilotage des politiques culturelles. Elle devra permettre de définir de façon collégiale, dans un tour de table élargi, les pistes d’évolutions et leurs modalités de mise en œuvre.
Les questions suivantes peuvent guider les discussions avec les collectivités territoriales :
• Délégation – Différenciation
La délégation de compétence en cours en Bretagne a-t-elle apporté des évolutions significatives tant pour la région, que pour l’Etat et l’ensemble des acteurs de la filière concernée ? Cet outil est-il pertinent pour les politiques culturelles ? Sur le modèle de la Bretagne, d’autres Régions seraient-elles volontaires pour se voir déléguer la gestion des aides dans le secteur des industries culturelles ? 
Comment renforcer la territorialisation des politiques culturelles et mieux répondre aux attentes d’accompagnement de proximité, d’assouplissement et de différenciation dans la mise en œuvre des dispositifs d’intervention ?
• Décentralisation
Sans remettre en cause les compétences de chaque nature de collectivité, sur certains dossiers pour lesquels différents types de collectivités sont associées avec l’Etat, est-il souhaitable de confier un pilotage par l’une d’entre elles dans une logique de chef de filât ?
• Gouvernance
Est-il envisageable de modifier la gouvernance des fonds régionaux d'art contemporain (FRAC) pour mieux intégrer le rôle des collectivités et en particulier des régions ?
Comment renforcer la coconstruction des politiques culturelles dans le cadre du Conseil des
territoires pour la culture (au niveau national et dans ses déclinaisons territoriales) ?
Quelle forme doit prendre la déclinaison locale du CTC (niveau de granularité, modalités d’action…) ?
Quelles missions et finalités doivent être définies pour le CTC au niveau national et au niveau des CTC locaux ? Comment organiser l’articulation des missions de l’instance nationale et des instances locales ?
Les commissions culture des CTAP sont-elles des outils adaptés et pertinents ? Comment les inciter à se généraliser ?
• Contractualisation
Comment inscrire les dispositifs contractuels mis en place par le ministère de la Culture dans des pactes et contrats territoriaux au service d’une stratégie de développement territorial ?
Comment formaliser dans les conventions la nécessaire solidarité territoriale et la prise en compte des priorités ministérielles ?
Comment répondre aux objectifs d’accompagnement de proximité, d’assouplissement et de différenciation dans la mise en œuvre des dispositifs par le biais de la contractualisation ?"

ZONAGE DES POLITIQUES FISCALES DU LOGEMENT

• Décentralisation
"Les collectivités sont-elles volontaires, dans un esprit comparable au 'Pinel breton', pour assumer la définition du zonage des politiques fiscales sous contrainte budgétaire ? Quel niveau de collectivités privilégier pour participer à la définition du zonage, dans un objectif de lisibilité et de performance (régions, intercommunalités, métropoles) ? Le cas échéant, est-il envisageable d’associer différents niveaux de collectivités ?
Plusieurs scénarios pourraient être envisagés :
1) 'Scénario du guichet' : Faut-il attribuer à un niveau de collectivités (EPCI ou région ?) un montant correspondant à la dépense fiscale par rapport à une référence historique, dont elle assurerait la distribution aux particuliers ?
2) 'Scénario de dépense fiscale maintenue' : faut-il permettre à la collectivité sur la base de critères fixés par la loi le choix de définir le périmètre des logements éligibles et de moduler les plafonds de loyers sachant que la dépense fiscale resterait gérée par la DGFIP ? Le cas échéant, si la collectivité définit un zonage qui conduit à dépasser l’enveloppe par rapport à une référence historique, elle se voit refacturer ou rembourser dans le cas contraire. Le dispositif pourrait également fonctionner sur la base de contingentement.
• Différenciation
À défaut d’envisager une décentralisation généralisée, certaines d’entre elles seront-elles intéressées par une décentralisation dans un cadre différencié ?
• Expérimentation
À défaut d’une décentralisation (généralisée ou dans un cadre différencié), quelles autres collectivités seraient volontaires pour mener une expérimentation à partir des trois scénarios mentionnés ci-dessus ?"

BIODIVERSITE

• Décentralisation
- "Peut-on envisager des transferts des services déconcentrés vers les régions sur le champ de la gestion des sites Natura 2000 terrestres ? Les compétences concernées pourraient être la fonction d’autorité administrative en lieu et place du préfet de département, à savoir la création du comité de pilotage Natura 2000, voire la désignation des sites, et, à défaut de collectivité locale volontaire, l’élaboration et la mise en œuvre du document d’objectifs, voire l’approbation du document d’objectifs, tout en prévoyant un co-financement en contrepartie des fonds européens et une instruction financière des contrats par les régions. Eu égard aux enjeux en matière de contentieux européen, il conviendrait que l’État exerce un contrôle de légalité avec possibilité d’action récursoire en cas de contentieux."
- "Peut-on envisager une décentralisation de la labellisation des Parcs naturels régionaux (PNR) ?"
- "Peut-on envisager de donner à la région une place renforcée dans l’animation du comité régional de la biodiversité (CRB) ?"
• Dévolution du pouvoir réglementaire
"Confier aux acteurs territoriaux la définition et l’inscription de 'sites d’intérêt local', en complément de la labellisation opérée par l’Etat ?"

VOIES NAVIGABLES ET PORTS FLUVIAUX

• Décentralisation
"Un transfert de propriété étant réalisable 'à droit constant', des collectivités sont-elles volontaires pour engager une décentralisation du domaine public fluvial et des ports fluviaux ?
Quel échelon de collectivité privilégier (régional pour favoriser des logiques d’itinéraires, départemental pour favoriser la proximité, quelle collectivité pour les lacs, ...) ?
En cas de transfert, les collectivités doivent elles conserver la triple mission de gestion de la circulation, de gestion hydraulique et d’aménagement du territoire. ? A défaut, le transfert devrait a minima exclure le DPF [domaine public fluvial] qui a une vocation de transport fret national notamment ?
Comment accompagner au mieux les collectivités dans la réalisation de ce transfert, pour faire face notamment aux conséquences budgétaires et en matière de ressources humaines ?
Concernant les ports fluviaux, quelles sont les collectivités volontaires, et selon quels schémas à privilégier ? (décentralisation ou création de syndicat mixte ouverts, compte-tenu des améliorations apportées par le projet de loi d’orientation des mobilités en matière de transfert de propriété en faveur des syndicats mixtes ouverts)."

RESEAU FERRE NATIONAL ET TRAINS D’EQUILIBRE DU TERRITOIRE

"Il est (...) envisageable de transférer la gestion d’une partie du réseau ferré national avec les moyens humains et techniques correspondants.
Dans une optique de décentralisation, quelle pourrait être l’étendue du réseau transféré ? Dans quelles conditions les régions seraient-elles prêtes à gérer les 4.000 km de lignes les moins circulées?
Comment traiter les enjeux financiers ?"

 

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