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Projet de loi Économie circulaire : le Sénat arc-bouté contre la consigne pour recyclage

Lors de l'examen en séance du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, le Sénat a fait front uni ce 26 septembre pour s'opposer à la consigne pour le recyclage des bouteilles plastique. De nombreux amendements ont en outre été votés sur les dispositions du texte concernant l'information des consommateurs, la lutte contre le gaspillage ou encore la responsabilité des producteurs.

Au cours de l'examen en séance en première lecture du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, le Sénat a rejeté ce 26 septembre par 300 voix contre et 7 pour (36 abstentions) un amendement du gouvernement qui prévoyait d'instaurer un dispositif "encadré" pour la consigne des bouteilles en plastique à des fins de réemploi, de réutilisation et de recyclage (lire notre article du 24 septembre). Mais le Sénat a souhaité dès l'examen du texte en commission recentrer la consigne sur le réemploi et la réutilisation et s'est vivement opposé au recyclage, considéré comme "un non-sens environnemental, social et économique, car loin de réduire la consommation de plastique, elle la stimulera en lui donnant une fausse image écologique", a souligné la rapporteure, Marta de Cidrac (LR).

Échanges acerbes

Avant d'adopter par un vote sans appel (342 voix pour et zéro contre) l'article 8 bis réécrit par leurs soins, les sénateurs ont multiplié les échanges acerbes avec Brune Poirson. La secrétaire d'État auprès de la ministre de la Transition écologique a défendu en vain les garanties proposées aux collectivités : aucune consigne pour recyclage qui ne serait pas adossée à un dispositif de consigne pour réemploi ; assurance que les collectivités auraient un droit de regard sur les schémas d'implantation des machines de déconsignation et garantie qu'elles se verraient reverser les consignes des bouteilles qui se retrouveront dans le "bac jaune". "Ne laissons pas la voie ouverte aux industries de l'agro-alimentaire pour installer leurs machines à déconsignation où elles veulent", a-t-elle exhorté. "Nous devons réguler, nous devons contrôler le système pour mettre les collectivités au coeur du dispositif", a-t-elle insisté. "Nous pouvons nous mettre la tête dans le sable", mais "nos concitoyens veulent qu'on leur donne les moyens de lutter contre la dégradation de l'environnement".
"La consigne pour recyclage est profondément incompatible avec le principe de développement durable et contraire à l'intérêt général", a au contraire déclaré Marta de Cidrac (LR). "La consigne doit être exclusivement de réemploi", a affirmé Cécile Cukierman (CRCE à majorité communiste), fustigeant dans la consigne pour recyclage "une belle opération de green washing" qui permettrait aux industriels de "mettre la main sur une manne financière". "Le gouvernement s'acharne (...) en essayant de faire passer cette consigne à tout prix", a déploré Joël Bigot (PS), estimant qu'"elle n'a fait qu'obstruer les enjeux réels de l'économie circulaire".
"Je suis jeune, je suis un peu idiote, j'ai moins d'expérience que vous, je ne suis pas politique", a lancé ironiquement la secrétaire d'Etat aux sénateurs, provoquant l'ire du président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable Hervé Maurey (centriste). "Cessez d'être sur un registre de la caricature ou de l'invective", a-t-il déclaré. "N'essayez pas de nous ringardiser, ne nous tournez pas en ridicule", a également demandé le sénateur LR Jean-François Husson.

Création de nouvelles filières REP

Les débats ont été moins passionnés sur d'autres dispositions du texte. Le Sénat a ainsi voté ce 26 septembre la création de nouvelles filières à responsabilité élargie des producteurs (REP) pour les mégots de cigarettes, les lingettes pour usages corporels et domestiques, les articles de sport, de bricolage, les jouets, mais aussi les matériaux de construction (article 8). Selon Brune Poirson, le transfert des charges vers les filières économiques qui émettent les déchets ainsi que les mesures pour lutter contre les dépôts sauvages représenteront "un gain de 500 millions d'euros par an pour les collectivités". Les sénateurs ont étendu la filière REP des lingettes à l'ensemble des textiles sanitaires (couches, serviettes...). Le texte élargit par ailleurs le périmètre du principe pollueur-payeur à l'éco-conception des produits, au réemploi, à la réparation, à la réutilisation et à l'insertion par l'emploi. Le Sénat a sur ce point adopté un amendement transpartisan créant un fonds pour le réemploi solidaire, vers lequel serait orientée une partie des contributions gérées par les éco-organismes.
Par ailleurs, les sénateurs ont adopté deux amendements communistes visant à encourager le développement de la vente en vrac. Les deux dispositions ont reçu un avis favorable de Brune Poirson. Le premier amendement pourrait permettre de supprimer des emballages utilisés dans les commerces de ventes au détail (boucherie, poissonnerie...) ou dans la restauration à emporter. Il stipule que tout consommateur "peut demander à être servi dans un contenant apporté par ses soins, dans la mesure où ce dernier est visiblement propre et adapté à la nature du produit acheté". Cela sous réserve qu'un affichage soit mis en place dans le magasin afin d'informer le consommateur des règles, notamment d'hygiène, à respecter pour les contenants réutilisables. Le consommateur serait alors responsable de l'hygiène du contenant. L'objectif est de favoriser la vente en vrac en levant les inquiétudes des commerçants qui s'interrogent "légitimement" sur leur responsabilité en cas de contamination du produit due à une hygiène défectueuse du contenant, selon le groupe CRCE (à majorité communiste). "Le commerçant peut refuser le service si le contenant proposé est manifestement sale ou inadapté", précise encore le texte.
Le second amendement, modifié par le gouvernement, concerne les produits "sous SIQO" (signes d'identification de la qualité et de l'origine, comme le "label rouge"). La distribution en vrac de ces produits n'est pas toujours prévue dans leur cahier des charges. Selon le texte adopté, dès lors qu'un cahier des charges ne fixerait pas les conditions dans lesquelles la vente en vrac serait mise en oeuvre, il faudra le justifier ou le prévoir dans un délai de 3 ans.

Invendus non alimentaires et alimentaires

Autre disposition votée par les sénateurs ce 25 septembre : l'interdiction de destruction des invendus non-alimentaires, "une première mondiale", selon Brune Poirson. "Chaque année, près d'un milliard d'euros de produits non alimentaires non vendus sont détruits", a souligné la secrétaire d'Etat. Les lois Garot et Egalim encadrent déjà strictement les invendus alimentaires, mais rien n'était prévu jusqu'ici pour les invendus non-alimentaires, produits d'hygiène ou de beauté, textiles et chaussures, produits électroménagers...
Le projet de loi crée une obligation de réemploi (incluant le don), de réutilisation ou recyclage des invendus de produits non alimentaires neufs, par les producteurs, importateurs et distributeurs, y compris pour la vente à distance. L'objectif est qu'ils ne finissent plus à la décharge ni qu'ils soient incinérés. Un principe d'exception est prévu pour les produits dont le réemploi ou le recyclage comportent un risque pour la santé ou la sécurité.
Les sénateurs ont ajouté au texte initial un barème de sanctions (amende allant jusqu'à 3.000 euros pour une personne physique et 15.000 euros pour une personne morale). Ils ont en outre adopté, avec un avis favorable du gouvernement, un amendement PS prévoyant une peine complémentaire d'affichage ou de diffusion de la sanction.
Concernant les invendus alimentaires, ils ont adopté, avec un avis favorable du gouvernement, un amendement de la sénatrice CRCE (à majorité communiste) Esther Benbassa rehaussant à 10.000 euros (contre 3.750 euros) l'amende forfaitaire sanctionnant la destruction de denrées alimentaires consommables. A également été adopté un amendement centriste qui vise à obliger les professionnels vendant sur les marchés à proposer aux associations caritatives les denrées invendues encore propres à la consommation (article additionnel avant l'article 5). Contre l'avis du gouvernement, le Sénat a également adopté des amendements visant à encadrer par décret les dates limites de consommation et les dates de durabilité minimale affichées sur les produits alimentaires, par grandes familles de produits.

Lutte contre l'obsolescence programmée

Au chapitre des mesures anti-gaspi, les sénateurs ont aussi voté ce 25 septembre un amendement PS visant à rendre obligatoire à compter du 1er janvier 2022 un "compteur d'usage" sur les gros appareils ménagers et équipements informatiques. A l'instar du compteur kilométrique des voitures, ce dispositif enregistre le temps d'utilisation du produit (lave-linge, téléviseur, smartphone...) tout au long de sa vie. La mesure peut être exprimée en heures, en cycles, en nombre d'utilisations ponctuelles... Le compteur devra être visible par le consommateur, précise l'amendement. Celui-ci pourra ainsi contrôler et évaluer la durée de vie des produits, y compris lorsqu'il achète un appareil d'occasion, plaident ses auteurs. L'amendement a été adopté à main levée, par un vote serré, contre l'avis du gouvernement et de la commission. La commission avait jugé "prématurée" la généralisation d'un tel dispositif et avait simplement demandé au gouvernement la remise d'un rapport "pour mesurer les impacts sociaux, écologiques et économiques" qu'aurait sa mise en place.
Pour lutter contre l'obsolescence programmée, le Sénat a également adopté, toujours contre l'avis du gouvernement et de la commission, une série d'amendements qui entendent interdire les pratiques, "y compris logicielle", visant à rendre impossible la réparation des produits, notamment les smartphones, ordinateurs et tablettes, hors des circuits agréés (article additionnel après l'art.4 ter). Contre l'obsolescence logicielle, un autre amendement adopté vise à obliger les fabricants de téléphones mobiles et tablettes tactiles à proposer des mises à jour compatibles pour chacun de leurs modèles jusqu'à 10 ans après leur mise sur le marché.
Les sénateurs ont en outre donné leur feu vert, le 24 septembre au soir, à l'indice de "réparabilité" prévu dans le projet de loi pour les équipements électriques et électroniques. Le texte impose aux fabricants et vendeurs de communiquer aux consommateurs, à partir du 1er janvier 2021, une information "simple", sur le modèle de l'étiquette énergie, quant à la "réparabilité" des équipements électriques et électroniques. L'indice prendrait la forme d'une note sur dix, établie sur la base de cinq critères, dont la disponibilité de la documentation technique et des pièces détachées et l'accessibilité et la démontabilité des pièces.
"Le but c'est d'aider le consommateur à faire un choix éclairé", a souligné la secrétaire d'État à la Transition écologique, Brune Poirson. "C'est aussi un moyen d'avoir des gains de pouvoir d'achat pour certains consommateurs", a-t-elle ajouté. Les modalités d'application seront fixées par décret en Conseil d'État. Les sénateurs ont prévu la possibilité d'une dématérialisation de l'information.
Le Sénat a également voté l'article rendant obligatoire l'information sur la disponibilité des pièces détachées nécessaires à la réparation des équipements électriques, électroniques et des biens d'ameublement. Le gouvernement souhaitait abaisser de deux mois à 20 jours le délai de fourniture des pièces détachées par le fabricant ou l'importateur. Le Sénat a relevé ce délai à 30 jours.
L'examen du texte s'est poursuivi ce 27 septembre. Localtis reviendra dans sa prochaine édition sur ces débats.

Les autres amendements votés par les sénateurs

Parmi les principaux amendements également votés en séance les 25 et 26 septembre, les sénateurs ont prévu que si plusieurs éléments d'un produit ou des déchets issus d'un produit font l’objet de modalités de tri différentes, ces modalités sont détaillées élément par élément (article 3).
Ils ont voulu favoriser la réparation et la réutilisation du matériel médical en rendant disponibles les pièces détachées de ces produits sur 10 ans (art 4). Ils ont intégré une initiation à la réparation, à la mécanique et à l’entretien des produits au collège, afin que cette sensibilisation puisse se réaliser notamment lors des enseignements de technologie (art 4 bis).
Dans le cadre de la lutte contre le gaspillage, un amendement vise à donner en priorité les produits dits nécessaires à des associations de lutte contre la précarité (art 5). Les sénateurs ont aussi voulu favoriser le réemploi du matériel médical qui peut être reconditionné et réutilisé (art. add. après art. 5).
Un amendement prévoit en outre de donner la priorité aux pneumatiques rechapables ou rechapés, dans le cadre du renouvellement des flottes de véhicules ou des pneumatiques seuls des services de l’État, de leurs opérateurs et des collectivités (art. add. après art 6 bis).
Les sénateurs ont aussi voté deux amendements engageant l’ensemble des entreprises françaises mettant des produits sur le marché dans une démarche d’éco-conception pour réduire les produits non recyclables mis sur le marché. Ils ont également prévu que les données relatives à la gestion des déchets qui font l’objet d’une convention entre un éco-organisme et une collectivité sont rendues publiques (art. 7).
Ils ont souhaité que soient prises en compte les spécificités des collectivités d'outre-mer en matière de gestion des déchets et ils ont voulu appliquer le principe pollueur-payeur aux producteurs de gommes à mâcher synthétiques non biodégradables. Ils ont aussi créé une éco-contribution sur les produits non recyclables et non soumis à une filière REP ainsi qu'un fonds spécifique pour le réemploi solidaire, "contribuant par le biais de concours financiers au développement et au fonctionnement d’associations œuvrant à la sensibilisation à l’environnement, à la prévention des déchets notamment par le réemploi et au traitement des déchets par la réutilisation", et prévoyant une contribution financière des éco – organismes. Les éco-organismes seront aussi tenus de déclarer leur flux de déchets vers l’étranger afin d’améliorer la traçabilité de ces flux (art. 8).
Ils ont aussi prévu la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement, tous les cinq ans, sur la stratégie nationale de lutte contre les déchets en bord de route (art. add. après art. 8).
Ils ont voulu favoriser la réutilisation des eaux usées traitées afin d'éviter d’utiliser de l’eau potable pour certains usages, en y intégrant la question des eaux de pluie (art. 8 ter).
Ils ont également voté pour accélérer l’installation des corbeilles de tri dans l’espace public en s’appuyant sur le renouvellement naturel des corbeilles de propreté (art.9).