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Projet de loi Séparatisme : les ingérences étrangères mieux contrôlées

Écoles hors contrat, construction de mosquées, réunions non-mixtes... l'actualité récente s'est immiscée dans le projet de loi Séparatisme adopté par le Sénat le 12 avril. Travaillant sur le communautarisme depuis 2019, la chambre haute a largement durci le texte.

Strasbourg, Albertville et la Turquie sont les invitées de dernière minute du projet de loi Séparatisme, adopté par le Sénat lundi 12 avril (par 208 voix pour et 109 contre). Sans surprise, le texte a été nettement durci par la haute assemblée qui s’était clairement positionnée sur les questions du communautarisme dès l’année 2019. Au passage, le texte retrouve le terme "séparatisme" dans son intitulé et est renommé projet de loi "confortant le respect des principes de la République et de lutte contre le séparatisme". Mais le gouvernement lui-même a pris la plume pour faire adopter en fin d’examen deux amendements importants visant explicitement le Millî Görüs, cette organisation islamiste accusée d’être financée par la Turquie, qui régente quelque 500 mosquées en Europe.

L’un de ces amendements, déposé lundi soir, à la toute fin de l’examen, vise à lutter contre les ingérences étrangères par l’intermédiaire d’ouverture d’écoles hors contrat. Il permettra au préfet de s’opposer à l’ouverture d’un établissement scolaire "pour des motifs tirés des relations internationales de la France ou de la défense de sa souveraineté".  "Cet outil législatif nouveau permettra de s'opposer à l'ouverture d'écoles comme celle d'Albertville par le Millî Görüs", a indiqué le ministère de l'Intérieur dans un communiqué.

L’amendement déposé à la demande d'Emmanuel Macron est en effet une réaction à l’actualité récente concernant Albertville (Savoie). Le 7 avril, le tribunal administratif de Grenoble a obligé le maire sans étiquette Frédéric Burnier-Framboret de cette commune de 20.000 habitants à autoriser la construction d'une école primaire privée à l'initiative de la Confédération islamique Millî Görüs (CIMG). La municipalité avait refusé un permis de construire déposé en 2019 pour la construction de cette école islamique de 400 élèves. Le tribunal a tranché en faveur de la confédération, annulant la décision du maire en considérant que les motifs invoqués - portant sur le nombre limité de places de stationnement - n’étaient pas recevables. Il enjoint ainsi l’édile à délivrer un permis "dans un délai de deux mois".

Mosquée de Strasbourg

Une autre affaire a été au cœur des débats ces derniers jours : la subvention de 2,5 millions d’euros délivrée par la municipalité écologiste de Strasbourg toujours à l’association Millî Görüs pour lui permettre l’achèvement de la plus grande mosquée d’Europe baptisée Eyyub Sultan. Un financement possible en Alsace-Moselle, du fait du concordat. Mais ce qui pose problème, c’est le profil de l’association qui s’est refusée à signer la charte des principes de l’islam de France, s’est insurgé le ministre de l’Intérieur. Ce dernier a assuré que la maire de Strasbourg, Jeanne Barseghian, avait été alertée par la préfète des liens entre l’association et la Turquie. L’amendement gouvernemental voté par les sénateurs instaure ainsi une obligation d’information du préfet trois mois au préalable, avant toute subvention publique pour la construction d’un lieu de culte. Cette alerte permettra d’éviter "les ingérences étrangères et le financement des associations séparatistes" mais pourra aussi "permettre au préfet, le cas échéant, d'étudier, en lien avec les collectivités locales, la pertinence de ces aides au regard de l'ordre public", précise le ministère, dans un communiqué.

Listes communautaristes

Les sénateurs ont aussi adopté un amendement LR visant à mettre en place un avis du préfet pour tout permis de construire ou d’aménager portant "sur des constructions et installations destinés à servir à l’exercice d’un culte". Il s’agit de "faire tomber la pression qui repose sur les maires", notamment à l’approche des élections locales.

Autre thème cher aux sénateurs, notamment au chef de file LR Bruno Retailleau : l’interdiction des listes communautaristes lors des élections. Un amendement reprenant plusieurs dispositions d’une proposition de loi de 2019 prévoit d’interdire les listes et campagnes électorales ouvertement communautaristes. Il interdit également les emblèmes religieux sur les bulletins de vote et les documents de propagande électorale.

Une autre affaire s’est immiscée dans le débat : celle des réunions non-mixtes de l’Unef. Les sénateurs ont souhaité à cet égard permettre la dissolution d’associations qui interdisent à des personnes de participer à une réunion à raison de leur couleur, leur origine ou leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie ou une religion.

S’agissant des mariages, la chambre haute a créé un nouveau pouvoir de police pour le maire lui permettant d’interdire les drapeaux étrangers dans les mairies et leurs abords. "D’ores et déjà, et en l’absence de toute loi sur le sujet, de nombreuses municipalités (Lille, Strasbourg, Lyon, Nice, Toulouse, …) ont adopté des chartes de bonne conduite (pas de retard de plus d’un quart d’heure, silence lors de la cérémonie, pas de rodéos en ville, pas de drapeaux étrangers dans la salle des mariages et dans les abords de l’hôtel de ville…), sans que cela pose de problème particulier", arguent les auteurs de l'amendement.

Voile et burkini

Les sénateurs ont par ailleurs introduit l'interdiction du port du voile pour les personnes accompagnant les sorties scolaires, y compris les événements sportifs. Le règlement des piscines pourra interdire le port du burkini.

En revanche, concernant l’instruction en famille, les sénateurs se sont opposés au régime d’autorisation voulu par le gouvernement (voir notre article du 8 avril 2021).

Déjà adopté en première lecture par l’Assemblée en février, le texte doit à présent faire l’object d’un compromis en commission mixte paritaire (CMP).