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Prolongation des délais échus : le Covid-19, maître des horloges

L’expression prend ici tout son sens, juridictions et administrations se mettent donc au rythme de l’épidémie, en adaptant les procédures et les délais légaux pendant la période d’urgence sanitaire. Une ordonnance, parue ce 26 mars, prévoit la suspension de certains délais, notamment lorsque les démarches administratives prescrites par la loi n’auront pas pu être réalisées dans les temps. 

Sitôt la loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 adoptée, une première vague d’ordonnances - 25 au total - est parue au Journal officiel ce 26 mars. Présentée la veille, en conseil des ministres, par la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, l’ordonnance portant "sur l'aménagement des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et sur l'adaptation des procédures pendant cette même période" en fait partie.
"Afin de préserver les droits de tous, et de s'adapter aux contraintes du confinement et des plans de continuation d'activité des administrations, cette ordonnance permet que lorsque des démarches, quelle que soit leur forme (acte, formalité, inscription, etc.) dont l'absence d'accomplissement peut produire des effets juridiques tels qu'une sanction, une prescription ou la déchéance d'un droit, n'ont pas pu être réalisées pendant la période d'état d'urgence augmentée d'un mois, elles pourront l'être à l'issue de cette période dans le délai normalement prévu et au plus tard dans un délai de deux mois suivant la fin de cette période", a ainsi explicité la garde des Sceaux. Son application rétroactive à compter "du 12 mars 2020" est prévue expressément. Les délais concernés sont donc "ceux qui arrivent à échéance entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré, et le cas échéant prorogé (…)". 

Report d’échéance

Concrètement, leur prorogation débutera à compter de la fin de cette période, pour la durée qui était légalement impartie, mais dans la limite de deux mois. Toutefois, l’ordonnance ne prévoit pas de supprimer la réalisation de tout acte ou formalité dont le terme échoit dans la période visée, "elle permet simplement de considérer comme n'étant pas tardif l'acte réalisé dans le délai supplémentaire imparti", souligne le rapport de présentation. Toutes les matières sont visées par ce report d’échéance, qu’il s'agisse de l'administratif, du civil, du commercial, du fiscal ou encore du social. Le texte exclut cependant toute prorogation de délai en matière pénale, notamment, de mesures privatives de liberté, ainsi qu'en matière d’élections, d'inscription à une voie d'accès de la fonction publique ou à une formation dans un établissement d’enseignement et pour certaines obligations financières.
Par ailleurs, pour "préserver le recouvrement des recettes publiques", le report des formalités ne s’applique pas "aux déclarations servant à l'imposition et à l'assiette, à la liquidation et au recouvrement des impôts, droits et taxes" (art. 10). S'agissant des créances dont le recouvrement incombe aux comptables publics, les délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité ou déchéance d'un droit ou d'une action sont quant à eux "suspendus" pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire augmentée de trois mois. 

Quid des contrats

La précision selon laquelle sont concernés les actes "prescrits par la loi et le règlement" exclut les actes prévus par des stipulations contractuelles. S'agissant des contrats, les clauses de droit commun pourront néanmoins jouer, en particulier la force majeure. L’effet des astreintes et  clauses contractuelles visant à sanctionner l'inexécution du débiteur est en outre "paralysé" (art. 4).  L'article 5 prévoit également la prolongation des délais pour résilier ou dénoncer une convention.  

Prorogation des permis et agréments

À l’article 3, toute une série de mesures juridictionnelles ou administratives "dont l'effet est prorogé de plein droit" est listée. Il s'agit des mesures d'aide, d'accompagnement ou de soutien aux personnes en difficulté sociale, des mesures conservatoires, d'enquête, d'instruction, de conciliation ou de médiation, des mesures d'interdiction ou de suspension qui n'ont pas été prononcées à titre de sanction, ainsi que des autorisations, des permis et des agréments. Au premier chef, ceux relevant de l’urbanisme et de la construction. C’est toutefois dans le titre II de l’ordonnance que se concentrent les dispositions afférentes aux délais et procédures en matière administrative. Pour ce faire, une conception "extensive" de la notion d'autorité administrative est retenue, englobant administrations de l'État, collectivités territoriales, établissements publics administratifs, organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d'une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale. 

Suspension des délais d’instruction

Ainsi l'article 7 prévoit que des délais de l'action administrative sont suspendus, principalement ceux aux termes desquels une décision implicite peut naître dans le silence de l’administration. Typiquement, le "silence vaut accord" (SVA) des délais d’instruction. À titre d’exemple, les demandes formulées en matière d’urbanisme (déclaration de travaux, permis de construire, permis d’aménager, etc…) ainsi que les délais applicables aux déclarations présentées aux autorités administratives, par exemple une déclaration d’intention d’aliéner (DIA). Les mêmes règles s'appliquent aux délais impartis à l’administration pour vérifier le caractère complet d'un dossier ou pour solliciter des pièces complémentaires dans le cadre de l'instruction d'une demande ainsi qu'aux délais prévus pour la consultation ou la participation du public.
L’article 12 aménage aussi les procédures d'enquête publique, en privilégiant notamment les modalités dématérialisées. Enfin, certaines expérimentations en cours devraient être impactées. C’est la cas de celle menée dans les régions Hauts-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes - en application de la loi Essoc - limitant la durée globale des contrôles administratifs sur les PME. Là encore le temps suspend son vol…

 
Référence : rapport au président de la République et ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, JO du 26 mars 2020, textes n° 8 et 9.