Quartiers prioritaires : "un rôle de sas et de tremplin" à valoriser davantage

"Comment savoir si cela fonctionne si on ne regarde que le territoire et pas les personnes ?" Dans un rapport publié le 19 juillet 2022, trois sénatrices appellent à adopter une vision plus dynamique de la politique de la ville en ajoutant à l'objectif de réduction des inégalités territoriales un objectif de mobilité sociale des habitants – y compris en dehors du quartier. Pour valoriser ce "rôle de sas et de tremplin", il importe de "mesurer les effets de la politique de la ville sur les trajectoires individuelles" et de renforcer en conséquence les moyens d'évaluation.

Dans un rapport d'information publié le 19 juillet 2022 au nom de la commission des affaires économiques, trois sénatrices appellent à adopter "un nouveau regard sur la politique de la ville afin de reconnaître son rôle de tremplin pour les habitants". "Il est important de prendre en compte que, depuis 20 ans environ, la politique de la ville s’est essentiellement focalisée sur la résorption d’écarts territoriaux plutôt que sur les habitants", soulignent les sénatrices Viviane Artigalas (SER, Hautes-Pyrénées), Dominique Estrosi Sassone (LR, Alpes-Maritimes) et Valérie Létard (UC, Nord).

Si l'objectif de réduction des inégalités territoriales est essentiel et produit des résultats, la "normalisation" des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) est probablement un "horizon inatteignable", suggère le rapport. Faut-il en conclure pour autant à un échec de la politique de la ville ? Certainement pas, pour les sénatrices qui dénoncent une "myopie" collective et interpellent : "comment savoir si cela fonctionne si on ne regarde que le territoire et pas les personnes ?"

Des études de cohorte pour mesurer la mobilité sociale et résidentielle des habitants

"A 'regarder la photo et non le film', les difficultés des quartiers et non l’histoire des habitants, une partie de la réalité échappe à l’analyse", poursuivent-elles.  "Les quartiers populaires sont un sas qui permet grâce à la politique de la ville d’aller voler ailleurs", résume Gilles Leproust, maire d’Allonnes et président de Ville & Banlieue, cité dans le rapport. 

Les sénatrices appellent donc à "adopter une vision dynamique de la politique de la ville" en intégrant dans les objectifs définis par la loi Lamy de 2014 "la facilitation des trajectoires ascendantes des habitants y compris en dehors des quartiers prioritaires". En d'autres termes, la mobilité sociale et géographique d'un habitant est aussi une réussite du quartier d'origine et de la politique de la ville. "Bien qu’il manque des études de cohorte pour confirmer les témoignages et les analyses sociologiques", cette mobilité existe et doit être valorisée, selon le rapport.

Ainsi, les sénatrices recommandent de renforcer les moyens d'évaluation de la politique de la ville, estimant même que l’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV) est actuellement en "état de mort cérébrale" faute d'effectifs suffisants. A travers des études de cohortes, il est nécessaire de "mesurer les effets de la politique de la ville sur les trajectoires individuelles, la mobilité sociale, économique et résidentielle".

Expérimenter la délégation des crédits aux collectivités volontaires

Les moyens nationaux de la politique de la ville doivent être confortés, plaident encore les sénatrices. Cela passe selon elles par la convocation rapide, puis tous les six mois, d'un Comité interministériel des villes (CIV), par une loi de programmation dédiée et par la relance des conventions d'objectifs par ministère "pour assurer la mobilisation du droit commun". Autre proposition : "expérimenter la délégation des crédits de la politique de la ville aux collectivités qui le souhaitent et soumettre ce dispositif à évaluation".

Pour soutenir les associations, les sénatrices appellent, comme les acteurs de la politique de la ville eux-mêmes, à limiter le recours aux appels à projets à des programmes d'innovation et à privilégier le conventionnement pluriannuel. Plusieurs recommandations portent également sur la promotion de l'entrepreneuriat dans les quartiers, et notamment de l'entrepreneuriat des femmes.  

Les sénatrices déclarent enfin avoir "recueilli des témoignages majoritairement négatifs sur le fonctionnement" des conseils citoyens. Constitués après la signature des contrats de ville, les conseils citoyens n'ont pas pu participer à l'élaboration de ces contrats comme la loi le prévoyait, ce qui "constituerait une sorte de faute originelle". Une réforme est demandée pour que ces instances de concertation correspondent mieux aux réalités locales. Le rapport préconise notamment de remplacer le pouvoir de saisine du préfet par un pouvoir d'"interpellation" de la commune ou de l'agglomération compétente, et de donner aux conseils citoyens les moyens de "conduire des projets concrets".