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Quel avenir pour les départements qui se sont spécialisés dans le médicosocial ?

Le cas de la Lozère est emblématique, avec un nombre de places en établissement pour personnes handicapées dimensionné pour accueillir des publics d'autres départements. Or l'Etat prévoit bien de "faire évoluer" cette offre.

A l'occasion de la séance de questions orales sans débat du 15 mai 2018 à l'Assemblée nationale, Pierre Morel-A-L'Huissier, député (UDI, Agir et Indépendants) de la Lozère, a soulevé une question rarement abordée, mais qui concerne pourtant un certain nombre de petits départements : celle de la dépendance économique d'un territoire au secteur médicosocial. On connaissait déjà le poids du secteur hospitalier : dans la plupart des villes moyennes et même des grandes villes, l'hôpital est très souvent le principal employeur. Mais, côté médicosocial, ce cas de figure existe aussi pour certains départements.

Une vocation historique dans le médicosocial

Le cas de la Lozère - département le moins peuplé de France avec 76.000 habitants et en lent déclin démographique - est particulièrement emblématique, mais on retrouve aussi des situations voisines dans d'autres départements présentant un profil sociodémographique similaire, comme la Corrèze. Si on en croit la CCI du Languedoc-Roussillon, dans ses "Chiffres clés de l'économie 2016", l'emploi tertiaire non marchand représente plus de 42% de l'emploi total en Lozère, soit une part nettement supérieur aux 30% de l'emploi tertiaire marchand. A titre d'exemple, ces chiffres sont respectivement de 35,5% et 49% dans l'Hérault voisin et de 36% et 45% sur l'ensemble de l'ancienne région Languedoc-Roussillon.
Certes, le médicosocial ne représente pas tout le secteur tertiaire non marchand de Lozère. Mais, comme l'explique Pierre Morel-A-L'Huissier, le département "a fait le choix, il y a soixante ans, d'accueillir les personnes en situation de handicap. [...] C'est la vocation de notre département, née de la volonté de l'abbé Oziol puis du docteur Jacques Blanc, ancien député de Lozère". Conséquence : "Nous disposons de toutes les réponses aujourd'hui, qu'il s'agisse d'Esat - établissements et services d'aide par le travail -, de MAS - maisons d'accueil spécialisées -, d'Itep - instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques -, d'IMPro - instituts médico-professionnels -, de foyers de vie, etc. Nous avons des réponses circonstanciées et adaptées à toutes les formes de handicap".

"Un casus belli si un seul lit pour handicapé quitte le département"

Ces établissements, totalement surdimensionnés par rapport aux besoins de la population départementale, accueillent donc depuis toujours des personnes originaires d'autres départements. Une forme de "relégation", qui ne correspond plus à l'approche actuelle de la prise en charge des personnes handicapées en établissements. On le voit, par exemple, avec la mise en cause récurrente de l'exil forcé en Belgique de certaines personnes handicapées du nord de la France, faute de places.
Aujourd'hui, l'agence régionale de santé (ARS) d'Occitanie envisage donc de redéployer des lits dans l'Hérault, le Gard ou d'autres départements. Mais, pour Pierre Morel-A-L'Huissier, il ne saurait en être question : "Je ne l'accepte pas, je le dis très clairement. Je ne transigerai pas sur cette vocation. Et ce n'est pas parce que le sanitaire et social est le premier employeur de la Lozère, mais parce que nous avons une excellence d'accueil, des équipes très spécialisées et qu'on peut répondre à tous les besoins. Il faut que l'Etat prenne ses responsabilités".
Le député de la Lozère est très clair : "Il y aura un casus belli si un seul lit pour handicapé quitte ce département. Nous tenons au choix fait il y a soixante ans. Nous disposons de toutes les réponses adaptées et il est hors de question que le gouvernement, pour des raisons de doctrine nouvelle - proximité, tout-inclusion... - remette en cause la vocation sanitaire et sociale de ce département". En d'autres termes, un conflit entre l'emploi local et le droit des personnes handicapées et de leur famille à être pris en charge près de chez eux...

Une réunion au ministère des Solidarités le 11 juin

Puisqu'il s'agit d'une question orale à l'Assemblée, il est donc supposé y avoir une réponse. En l'occurrence, celle-ci a été donnée par Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie et des Finances, mais qui restituait la réponse d'Agnès Buzyn, la ministre des Solidarités et de la Santé. Une réponse forcément assez vague, compte tenu des enjeux qui sous-tendent la question.
Une fois indiqué que "le gouvernement a parfaitement conscience des spécificités de ce département de montagne et de son contexte démographique", la ministre se contente d'annoncer qu'une réflexion est en cours, sous l'égide de l'ARS et du conseil départemental de la Lozère, "pour faire évoluer cette offre" médicosociale. Une réunion est d'ailleurs prévue, le 11 juin, au ministère avec l'ARS, la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), le conseil départemental et les parlementaires de la Lozère, "afin de finaliser la feuille de route de cette expérimentation". Sans préjuger des résultats de cette concertation, il sera sans doute difficile de concilier le maintien intégral de l'emploi médicosocial dans un département fragile et ce que le député de la Lozère appelle "des raisons de doctrine nouvelle : proximité, tout-inclusion...".

Références : Assemblée nationale, séance de questions orales sans débat du 15 mai 2018, question de Pierre Morel-A-L'Huissier, de la Lozère, et réponse, de Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie et des Finances (pour Agnès Buzyn, la ministre des Solidarités et de la Santé).

 

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