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Social / Citoyens - Rapport Taché : des propositions pour le volet "intégration" du projet de loi Asile et Immigration

A la veille de la présentation du projet de loi sur l'asile et l'immigration, le rapport du député Aurélien Taché sur la politique d'intégration lance un ensemble de 72 propositions, dont beaucoup misent sur le contrat d'intégration républicaine (CIR) conclu entre l'Etat et tout primo-arrivant. Très net renforcement des heures d'enseignement du français et de formation civique, insertion professionnelle plus précoce, "accompagnement global" y compris en matière de logement, accès aux emplois publics, création d'une agence… Un comité interministériel validera dans les prochaines semaines les suites que l'exécutif donnera à ce rapport.

Aurélien Taché, député (LREM) du Val-d'Oise, a remis le 19 février son rapport intitulé "Pour une politique ambitieuse d'intégration des étrangers arrivant en France". Le même jour, lors d'un déplacement à Lyon en compagnie de Gérard Collomb, Edouard Philippe a prononcé un discours sur la politique d'immigration. Le tout juste avant la présentation en conseil des ministres prévue ce 21 février, du projet de loi sur l'asile et l'immigration. Cet enchaînement ne doit rien au hasard. Les propositions du rapport Taché - déjà connues du gouvernement - doivent en effet, pour partie, alimenter le volet "intégration" de ce texte, dont la discussion au Parlement pourrait se révéler agitée.

Deux dérives "qui nous ont menés à cette impasse politique"

Le rapport d'Aurélien Taché et ses 72 propositions - rédigés avec le concours de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l'Inspection générale de l'administration (IGA) - s'appuient sur un constat "unanime parmi les acteurs de terrain" : "L'insertion linguistique, économique et sociale des personnes que nous accueillons est insuffisante." Il pointe deux dérives "qui nous ont menés à cette impasse politique". La première tient au "manque de cohérence de la politique migratoire française", avec en particulier une réduction continue des moyens consacrés à l'intégration alors que les flux demeuraient relativement stables.
La seconde est "l'absence de réponse sérieuse dans le camp progressiste aux questionnements légitimes autour de l'identité et les postures idéologiques réactionnaires des conservateurs sur ce sujet, qui nous ont conduits à la situation actuelle, dans laquelle on glose inlassablement autour du 'vivre-ensemble', sans jamais se donner les moyens de 'faire-ensemble'".
Le rapport rappelle que "le seul dispositif en faveur spécifiquement de l'intégration des étrangers est le contrat d'intégration républicaine (CIR), conclu entre l'Etat et tout primo-arrivant souhaitant s'installer durablement en France". Or ce dispositif se limite à un maximum de 200 heures de français et douze heures de formation civique.

Une forte hausse pour l'enseignement du français et du civisme

Face à ce constat de carence et considérant qu'"il est temps d'assumer une véritable politique publique d'intégration, ambitieuse et exigeante", le rapport propose un ensemble de mesures, regroupées en plusieurs grandes thématiques. Sur l'apprentissage de la langue, facteur décisif d'intégration, il préconise ainsi de doubler le volume horaire prévu dans le CIR, le portant ainsi à 400 heures. Ce volume pourrait même passer à 600 heures pour les publics les plus en difficulté. Dans le même esprit, l'enseignement du français aux réfugiés devrait débuter dès la demande d'asile, sans attendre les résultats de cette dernière, afin d'éviter une période de latence "extrêmement préjudiciable pour les demandeurs d'asile comme pour la société française".
Sur le volet civique, Aurélien Taché recommande de multiplier le volume horaire par cinq, en le portant de 12 à 60 heures, afin de favoriser "le partage de nos valeurs démocratiques". Il s'agirait aussi de revoir complètement le contenu de cet enseignement. Dans une récente interview au JDD, Aurélien Taché s'étonnait en effet qu'on apprenne aux nouveaux arrivants, dans ce court laps de temps, "l'ordonnance de Villers-Cotterêts, Clovis, le Front populaire... ou encore la hiérarchie des normes, qui n'est pas vraiment la première chose à savoir en arrivant en France".
Il conviendra par ailleurs de s'assurer que la forte hausse préconisée des volumes horaires soit accessible aux femmes, en développant des solutions pour la gardes des enfants.

Une insertion professionnelle "la plus précoce possible"

Sur la question de l'insertion, le rapport se prononce en faveur d'une insertion professionnelle "la plus précoce possible". Pour cela, la phase d'orientation devrait être intégrée au CIR, qui "doit devenir la première étape du parcours d'intégration vers l'activité, l'autonomie et la participation à la vie de la société française". Le rapporteur suggère aussi de "lutter contre les ruptures de parcours d'intégration", ce qui "implique un travail interministériel coordonné pour garantir la lisibilité des parcours d'intégration et la continuité des droits". Sur ce point, la création d'un "portail national réunissant l'ensemble des informations et services proposés par les services publics, les associations et la société civile en faveur de l'intégration" permettrait aux nouveaux arrivants de mieux se repérer dans un environnement complexe.
Parallèlement, Aurélien Taché propose de mettre en place "un accompagnement global, incluant notamment l'accès au logement et à l'emploi, d'une durée moyenne d'un an". Au passage, l'accès au logement est pointé du doigt comme "un facteur de blocage de trop nombreux parcours d'intégration", mais sans solutions très convaincantes. Il suggère toutefois de rétablir la prime de 1.000 euros pour les communes proposant un logement et de créer un "crédit d'impôt solidarité" pour les personnes acceptant d'héberger gratuitement un étranger.

Vers une suppression de la condition de nationalité dans la fonction publique ?

Sur l'accès à l'emploi, les propositions du rapporteur innovent également. Il recommande ainsi de supprimer la condition de nationalité qui s'impose aux ressortissants hors Union européenne pour accéder aux emplois publics. Seuls resteraient soumis à cette condition les emplois à caractère régalien, comme ceux de la police ou de la justice.
Dans le même esprit, les demandeurs d'asile seraient autorisés à travailler six mois - et non plus neuf mois - après le dépôt de leur demande. Ce délai de six mois - qui pourrait même être réduit "au cas par cas" - correspond de toute façon au nouveau délai demandé par le chef de l'Etat pour le rendu de la décision sur une demande d'asile. De façon cohérente, la taxe (de 72 à 300 euros) due par les employeurs pour l'embauche d'un bénéficiaire d'une protection internationale serait supprimée.
Une accession facilitée à l'emploi suppose également la passation d'accords avec les branches professionnelles et les grandes entreprises et par des reconnaissances, au moins partielles, de qualifications.

Accès à la nationalité : la motivation et la réussite plutôt que la durée

Enfin, sur la question sensible de l'octroi de la nationalité française, Aurélien Taché préconise "un accès à la nationalité reposant davantage sur la motivation et la réussite du parcours d'intégration", plutôt que sur la durée du séjour. Aujourd'hui, il faut en moyenne douze ans pour obtenir la nationalité française (qui repose toutefois sur une démarche volontaire à effectuer par l'intéressé).
Le rapport préconise aussi de mettre en œuvre une simplification et une dématérialisation des renouvellements de titres de séjour, tout en généralisant leur pluriannualité.

Gouvernance : vers la fin du monopole de l'Intérieur ?

En termes de gouvernance, le monopole de fait du ministère de l'Intérieur sur les questions d'asile, d'immigration et d'intégration serait remis en cause, au profit d'une approche interministérielle autour d'une "agence dédiée à l'intégration des étrangers", qui engloberait et élargirait les missions actuelles de l'Ofpra (ce qui pourrait toutefois poser quelques problèmes juridiques, compte tenu du statut très particulier de ces dernières).
Enfin, démarche inhabituelle dans ce type de rapport, Aurélien Taché chiffre à 607 millions d'euros le coût des mesures proposées, dont 177 millions pour le renforcement de l'enseignement du français.

Un comité interministériel sur le rapport "dans les prochaines semaines"

Dans son discours de Lyon du 19 février, lors de la remise du rapport, Edouard Philippe s'est gardé de déflorer les mesures du projet de loi Asile et Immigration. Il a toutefois affirmé à Aurélien Taché : "Le gouvernement partage votre constat et reprendra à son compte les grands axes de vos propositions." En évoquant notamment l'inscription du CIR dans un parcours plus global, la précocité de l'insertion professionnelle, l'amélioration de l'accompagnement dans l'accès aux droits et au logement, ou encore la dimension interministérielle de la politique d'intégration.
Un comité interministériel à l'intégration, réuni "dans les prochaines semaines", validera les suites à donner au rapport. En attendant, "le projet de loi qui sera présenté mercredi ne propose pas, de façon générale, de modifier les conditions dans lesquelles on peut demander, puis obtenir ou se voir refuser le droit au séjour dans notre pays", a prévenu le Premier ministre, poursuivant : "Il permet de mieux appliquer des principes et des règles qui existent déjà. Et de sortir de la situation actuelle où on accueille mal ceux à qui on doit l'accueil, on n'éloigne pas ceux qui n'ont aucun titre à rester en France."