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Réforme de l'AME : des mesures justifiées, selon le rapport de l'Igas et de l'IGF

Les mesures sur l'aide médicale d'État présentées le 6 novembre s'appuient très largement sur les conclusions d'un rapport d'inspections qui a analysé "l'hypothèse d'une migration pour soins" et formulé des propositions visant à "sécuriser" le dispositif et lutter contre la fraude et les abus tout en évitant le risque du renoncement aux soins. Ces mesures ont d'ores et déjà été inscrites dans le projet de loi de finances.

Les mesures sur l'aide médicale d'État (AME), présentées le 6 novembre par Édouard Philippe à l'issue du Comité interministériel sur l'immigration (voir notre article ci-dessous du même jour), s'appuient très largement sur les conclusions du rapport commandé, en juin dernier, par le Premier ministre à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et à l'Inspection générale des finances (IGF). La mission, qui a mobilisé pas moins de six membres de ces deux corps, avait pour objectif "d'évaluer les dispositifs de l'aide médicale d'État (AME) et des soins urgents et vitaux afin d'envisager une possible évolution de ces deux dispositifs, ayant notamment pour perspectives la maîtrise de la dépense publique et une plus grande convergence européenne des pratiques".

318.000 bénéficiaires et une dépense de 900 millions d'euros

Le rapport rappelle en effet que l'AME comprend deux composantes : l'AME de droit commun, qui couvre les étrangers en situation irrégulière pouvant justifier d'une résidence d'au moins trois mois en France et d'un faible niveau de ressources et le dispositif des soins urgents et vitaux, qui compense a posteriori les dépenses engagées par les hôpitaux pour l'octroi de soins à des étrangers en situation irrégulière non éligibles à l'AME (notamment arrivés depuis moins de trois mois).

Les rapporteurs indiquent également que l'AME bénéficiait, à la fin de 2018, à 318.106 étrangers en situation irrégulière – dont plus de la moitié sont rattachés à une CPAM d'Ile-de-France –, pour un coût total de 904 millions d'euros la même année. Le nombre de bénéficiaires est stable depuis 2015, contrairement à celui des demandeurs d'asile, qui bénéficient de la protection universelle maladie (PUMa) également réformée dans le cadre des annonces d'hier (voir notre article ci-dessous du 6 novembre 2019). En revanche, les dépenses d'AME ont progressé de 1,4% par an sur les cinq dernières années et elles sont sans doute sous-évaluées "en raison de la complexité des procédures administratives opposées aux hôpitaux pour obtenir le remboursement des soins aux étrangers en situation irrégulière et de la non prise en compte des frais de gestion".

Migration pour soins : "clairement pas un phénomène marginal"

Si la consommation de soins des bénéficiaires de l'AME "reflète logiquement les spécificités de cette population" (avec deux tiers de soins hospitaliers) les travaux de la mission "renforcent de façon convaincante l'hypothèse d'une migration pour soins, qui n'est clairement pas un phénomène marginal (plus d'un quart des étrangers en situation irrégulière citeraient les soins parmi les raisons de leur migration)". Le rapport relève ainsi que le "rythme de croissance des séances d'hémodialyse, chimiothérapie et radiothérapie est particulièrement élevé (plus de 10% par an) pour les bénéficiaires de l'AME ; il peut poser la question de la capacité actuelle du système de soins, et en particulier des centres lourds de dialyse, à assurer l'accueil de ces patients. Ces atypies sont confirmées par l'analyse d'un échantillon de dossiers médicaux anonymisés, qui suggère que pour 43% des patients AME en dialyse et 25% des patients AME en chimiothérapie oncologique il existe une suspicion de migration pour soins".

La mission se livre également à une comparaison avec les principaux pays européens, d'où il ressort que le système français est "l'un des plus généreux de l'Union européenne" et "aussi le plus transparent en termes de dépense publique", du fait du vote des dépenses par le Parlement.

Des propositions largement suivies par le gouvernement

Face à ces constats, le rapport formule 14 propositions, "qui portent sur la sécurisation du dispositif, pour limiter la fraude et les usages abusifs, et sur son amélioration, pour garantir un accès plus précoce aux soins et maîtriser les coûts de gestion". En phase avec la position d'Agnès Buzyn, ces propositions sont toutefois très encadrées, car "la mission recommande d'envisager avec prudence toute évolution de l'AME qui aurait pour effet d'augmenter le renoncement aux soins et de dégrader l'état de santé des populations ciblées". Comme la ministre des Solidarités et de la Santé, le rapport juge ainsi "peu pertinente" une nouvelle réduction du panier de soins de l'AME, y compris dans une perspective de diminution de la dépense publique.

En revanche, les propositions des rapporteurs privilégient la lutte contre la fraude et les abus, "qui fragilisent l'acceptabilité politique du dispositif". Parmi ces préconisations, plusieurs ont été reprises par le gouvernement (voir notre article ci-dessous du 6 novembre 2019), comme la vérification de la présence physique des demandeurs avec une remise présentielle de la carte d'AME, le croisement avec le fichier des visas (Visabio), diverses mesures de renforcement des contrôles (sur les ressources de l'hébergement...), l'instauration d'une visite de prévention...

Davantage que la mise sous entente préalable de certains soins non urgents, finalement retenue (voir aussi notre encadré ci-dessous), la mission préconisait plutôt un délai de carence de neuf mois pour la prise en charge de soins programmés non essentiels, avec dérogation possible en cas d'urgence avérée. De même, le gouvernement n'a pas retenu la mesure, déjà évoquée à plusieurs reprises lors des précédentes réformes de l'AME, consistant à transformer la carte AME en une carte à puce de type carte Vitale, permettant la télétransmission et le suivi des prescriptions et consommations pharmaceutiques.

Au-delà de ces recommandations techniques, la mission Igas-IGF délivre aussi un message plus politique en rappelant, en conclusion, que "l'AME n'est pas un outil de politique migratoire : si la couverture santé offerte aux étrangers en situation irrégulière participe sans doute de l'attractivité de notre pays pour les migrants, la volonté de réduire cette attractivité ne saurait justifier une restriction du dispositif en dehors des cas de fraude et d'usages abusifs".

Accès aux soins des migrants : les mesures gouvernementales inscrites dans le PLF

Agnès Buzyn a défendu ce jeudi 7 novembre des mesures de "responsabilité" devant l'Assemblée, où le gouvernement propose comme prévu une carence de trois mois pour l'accès à l'Aide médicale d'Etat (AME) des demandeurs d'asile, hors soins urgents.

L'exécutif présentait une série d'amendements dans le cadre de l'examen en séance des crédits de la mission Santé du projet de loi de finances (PLF) pour 2020 (deuxième partie). Des amendements correspondant aux mesures annoncées la veille par le Premier ministre... et dont les exposés sommaires se référent explicitement au rapport Igas-IGF.
Ils conduisent à une baisse de 15 millions d'euros de l'AME, ramenant son budget à 919 millions d'euros.
Pour l'AME, le gouvernement propose un accord "préalable" de la Sécurité sociale pour "certains soins" non urgents. Seront concernés "la chirurgie de la cataracte, les prothèses de genou ou de hanche et certains actes de kinésithérapies", a indiqué la ministre de la Santé. La liste des soins concernés et les conditions de mise en œuvre de la mesure seront définies par décret. Pour les immigrés arrivés avec un visa touristique, l'exécutif propose un délai de trois mois après l'expiration de leur visa pour accéder à l'AME et de renforcer le contrôle sur leur résidence en France. L'objectif est "d'éviter les demandes frauduleuses" par des personnes qui ne sont pas sur le territoire français, a redit la ministre. (voir l'amendement)
Enfin, il est bien prévu, comme annoncé, un délai de carence de trois mois pour la prise en charge des soins des demandeurs d'asile (la protection universelle maladie dite PUMa), sauf soins urgents. Sont exclus les soins "hospitaliers vitaux, les maladies infectieuses, les soins délivrés aux femmes enceintes et nouveaux nés, et le délai de carence n'est pas applicable aux enfants mineurs", a insisté Agnès Buzyn, qui défend des principes "d'humanité et de santé publique" mais aussi de "responsabilité" face au "dévoiement de certains dispositifs". (voir l'amendement)
La gauche a fustigé des mesures "injustes, choquantes". La ministre a dénoncé des "propos outranciers". Une dizaine de "marcheurs" devraient voter contre, comme Martine Wonner l'a indiqué dans l'hémicycle.  Chez les LR, Véronique Louwagie a jugé les propositions "largement insuffisantes" et appelé à "recentrer" l'AME "sur les soins vitaux et urgents".

C.M., avec AFP

 

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