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Rencontres départements-CNSA : une question de curseur... en attendant le projet de loi

Les deuxièmes Rencontres nationales départements-CNSA sur les politiques de l'autonomie (grand âge et handicap) organisées le 3 décembre étaient centrées sur "les coopérations". Ou comment réussir une "organisation territoriale vertueuse" entre tous les acteurs et leurs compétences respectives, à commencer par l'Etat et les départements. Certains progrès semblent actés. La ministre Agnès Buzyn n'a pas dévoilé le contenu de son projet de loi mais a mis l'accent sur les enjeux liés au vieillissement. Les conférences des financeurs pourraient devenir "les véritables instances de gouvernance départementales du grand âge".

Dix-huit mois après la première édition (voir notre article ci-dessous du 31 mai 2018), les secondes Rencontres nationales départements-CNSA, organisées le 3 décembre à l'Institut Pasteur à Paris, sont un succès incontestable et confirment que cette manifestation s'impose désormais comme un rendez-vous incontournable du secteur, avec plus de 80 départements et une dizaine d'ARS présents, sans compter les parlementaires et les acteurs du secteur. Il est vrai que le thème retenu pour cette seconde édition – Politiques de l'autonomie et coopérations – justifiait la diversité dans la salle comme à la tribune.

"La coopération ça ne se décrète pas, ça se construit"

Mais pour Marie-Anne Montchamp, il faut remonter bien au-delà de mai 2018. Le thème trouve en fait son origine dans le drame de la canicule de l'été 2003, qui a montré les limites et les faiblesses d'un système cloisonné à l'excès. La présidente du conseil d'administration de la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie), et ancienne secrétaire d'État dans le champ social, voit aujourd'hui trois grands enjeux dans le système actuel de protection sociale : la personne bénéficiaire et ses accompagnants, le territoire – "parce que les réponses se fabriquent dans la contingence des territoires" – et une "solidarité réinterprétée dans un environnement recomposé", avec une exigence forte d'équité et des mécanismes de coopération parfois complexes. De façon plus large, Marie-Anne Montchamp constate un certain nombre de progrès depuis les premières rencontres, comme la généralisation du droit de vote pour les personnes handicapées ou l'instauration du congé de proche aidant.

Sur l'approche territoriale, Dominique Bussereau ne dit pas autre chose. Pour le président de l'Assemblée des départements de France (ADF), il est évident qu'il faut partir du local, car "la coopération ça ne se décrète pas, ça se construit", surtout dans un domaine de politiques partagées. Mais il faut remplir au moins deux conditions pour que ces coopérations réussissent : un engagement fort des différentes parties prenantes et un respect des compétences de chacun. En d'autres termes, il ne faut pas de tutelle, ni de "contractualisation descendante", pour ne pas dire condescendante. Dominique Bussereau a donné quelques exemples de ces coopérations réussies, comme les conférences des financeurs ou, dans le champ du handicap, la démarche de la réponse accompagnée pour tous. Là aussi, le président de l'ADF voit des progrès depuis la première conférence, comme l'évolution du conventionnement avec la CNSA.

Le principe de confiance

Pour sa part, Sophie Cluzel, qui participait l'après-midi même au comité interministériel du handicap présidé par Édouard Philippe en cette Journée mondiale des personnes handicapées, s'est centrée sur ce volet de la perte d'autonomie. La secrétaire d'État chargée des personnes handicapées a notamment insisté sur le principe de confiance qui doit régir les relations entre l'État et les collectivités, en prenant exemple sur la prévention des départs forcés en Belgique et sur le développement de l'habitat inclusif. Elle a aussi insisté la nécessité de faire monter en compétence tous les acteurs du handicap dans les territoires et d'aller encore plus loin en travaillant sur tout l'environnement de vie à travers des territoires 100% inclusifs.

Sophie Cluzel a aussi défendu les MDPH, quelque peu malmenées ces derniers temps, notamment par la Cour des comptes, tout en reconnaissant que, si elles sont aujourd'hui un lieu de référence, les MDPH peuvent être aussi parfois un point de frustration, avec des délais trop longs et un fonctionnement trop concentré. Le groupe de travail présidé par Corinne Secrétin, conseillère départementale de la Mayenne et référente handicap de l'ADF, devrait toutefois formuler prochainement des propositions d'évolution.

Différenciation versus volonté égalitaire

Pour évoquer ce thème "Politiques de l'autonomie et coopérations", la CNSA et l'ADF avaient organisé trois tables rondes thématiques consacrées respectivement à la façon de piloter les coopérations, à l'association des professionnels et des personnes concernées, ainsi qu'aux "clés de la réussite pour une organisation territoriale vertueuse". Les débats ont surtout mis en évidence la diversité des approches comme des réalités territoriales. Ils ont également confirmé la capacité d'innovation et d'adaptation des territoires – les départements préféreraient qu'on dise plutôt "départements" – en matière médicosociale.

La première table ronde, sur les modalités de la coopération, a aussi fait ressortir la question du "curseur". Curseur territorial tout d'abord : pour les départements, le répondant local est clairement à chercher du côté des EPCI – qui correspondent mieux à la notion de bassin de vie – plutôt que des communes. Curseur aussi à placer entre l'acceptation d'une différenciation des politiques et des dispositifs et une volonté égalitaire profondément ancrée chez les Français comme au sein de la sphère publique. En Ile-de-France, par exemple, il n'est pas facile de faire accepter qu'en matière de handicap, le territoire prioritaire, c'est Paris...

Schématologie et Pacte de Cahors

Curseur surtout à placer entre les compétences de l'État et celles des collectivités, en l'occurrence les départements. Sur ce point, les ARS, représentées en tribune par le directeur général de celle d'Île-de-France, ont essuyé un certain nombre de critiques, en particulier sur la pertinence de leur implication dans le champ de la perte d'autonomie. Des critiques qui ne sont pas elles-mêmes exemptes de contradictions, avec un balancement permanent entre la demande d'un État stratège et la revendication d'une plus grande proximité avec les territoires (compliquée, il est vrai par la taille de certaines régions depuis la loi Notr). L'accord se fait toutefois sur la nécessité d'une clarification des compétences et des dispositifs dans le champ de la perte d'autonomie et sur une plus large autonomie accordée aux politiques départementales.

Un certain nombre de thématiques récurrentes n'ont d'ailleurs pas manqué de faire surface, comme les insuffisances de l'ingénierie territoriale, les abus de la "schématologie" ou la contestation du Pacte de Cahors sur la maîtrise des dépenses, avec la demande que la progression des dépenses médicosociales des départements soit alignée sur celle de l'Ondam.

"Nous irons ensemble dans le mur"

L'intervention d'Agnès Buzyn était particulièrement attendue. Lors de la première édition des Rencontres, elle avait en effet présenté sa feuille de route "pour relever le défi du vieillissement à court et moyen terme" (voir notre article ci-dessous du 31 mai 2018). Mais la ministre des Solidarités et de la Santé n'a rien dévoilé du futur projet de loi, pourtant très avancé. A l'approche du "mur du 5 décembre" et de ses suites éventuelles, les annonces sont mises sous le boisseau. Et une fois cette période passée, Édouard Philippe, voire Emmanuel Macron, pourraient bien se réserver les annonces éventuelles.

En attendant, Agnès Buzyn s'est donc contentée de dresser le tableau de "la révolution qui s'annonce" avec le vieillissement et la perspective de près de 5 millions de Français de plus de 85 ans en 2030. Pour la première fois, elle fait le lien entre les enjeux de ce vieillissement et celui des enjeux climatiques, dont on sait désormais l'impact potentiel sur les personnes fragilisées.

La ministre a également confirmé certains éléments issus du rapport Libault ou de celui du Myriam El Khomri sur les métiers du social, comme la nécessité de doubler rapidement les effectifs d'aides-soignants et d'accompagnants à domicile entrant en formation, alors que le métier ne cesse de perdre en attractivité. Pour Agnès Buzyn, "il y a là une impasse criante, que nous ne résoudrons qu'en transformant les métiers et les organisations. Il faut donner envie de s'y engager ; car sans ces professionnels, nous irons ensemble dans le mur". Pour cela, il faudra aussi répondre aux attentes des professionnels en termes de carrières et d'organisation du travail.

Un laboratoire pour imaginer l'Ehpad de demain

Parce que les établissements resteront nécessaires, Agnès Buzyn entend pousser à une diversification des lieux d'accueil, afin de mailler tout le territoire. C'est le sens de la mission récemment confiée à Denis Piveteau. Afin d'"inventer l'établissement de demain, pour les personnes qui seront les moins autonomes", la ministre annonce son souhait de créer "un laboratoire pour réfléchir aux grandes lignes de ce que doit être l'établissement de demain". Ce laboratoire devrait réunir "des personnes issues d'horizons différents : des conseils départementaux, des designers, des architectes, des soignants, des personnes âgées, des proches aidants".

Agnès Buzyn a également évoqué une possible évolution des conférences des financeurs, qui pourraient devenir "les véritables instances de gouvernance départementales du grand âge". Sans surprise, elle a également réaffirmé que "c'est parce que le conseil départemental est le garant, pour nos concitoyens, de l'information, de l'orientation et de la disponibilité immédiate d'une offre d'accompagnement, qu'il est véritablement le chef de file de la politique du grand âge au niveau local". Il reste maintenant à voir comment ce principe se traduira dans le futur projet de loi, alors que d'autres réformes récentes, comme celles de la protection de l'enfance, ont plutôt marqué une tendance à la recentralisation.

 

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