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Risques climatiques : des politiques d'indemnisation et de prévention à revoir en profondeur

La mission d'information du Sénat sur les risques climatiques constituée le 22 janvier dernier a publié son rapport ce 9 juillet. Adopté à l'unanimité des groupes politiques, celui-ci estime que les politiques actuelles de prévention et d'indemnisation des catastrophes naturelles ne sont pas à la hauteur du changement climatique. Il formule une cinquantaine de recommandations visant en particulier à proposer un système d'indemnisation plus efficace, à développer la culture du risque, à donner aux collectivités territoriales et aux particuliers les moyens de réduire leur vulnérabilité et à privilégier une reconstruction pérenne et durable.

"Nos politiques de prévention et d'indemnisation des catastrophes naturelles ne sont pas à la hauteur des dérèglements climatiques" : le constat dressé par la mission d'information du Sénat sur les risques climatiques dans son rapport publié ce 9 juillet est sans appel. Créée le 22 janvier dernier à la demande du groupe socialiste et républicain, la mission présidée par Michel Vaspart (LR-Côtes-d'Armor), avec comme rapporteure Nicole Bonnefoy (Socialiste-Charente) a entendu du 6 février au 4 juin une trentaine d'organismes représentant les différentes parties prenantes - administrations centrales, établissements publics, associations d'élus locaux, sinistrés, assureurs, juristes, climatologues…-, et effectué deux déplacements (en Charente, sur le thème de la sécheresse, et dans l'Aude, sur celui des inondations). Elle s'est aussi appuyée sur une consultation en ligne mise en place sur le site du Sénat du 9 avril au 17 mai, qui a recueilli près de 600 contributions.

Pour une démarche "résolument prospective"

La mission, qui a souhaité inscrire ses travaux dans une approche de terrain, en partant du vécu des sinistrés, a établi "trois constats majeurs", a souligné Nicole Bonnefoy. "Le premier est que l'impact du changement climatique sur le nombre et l'intensité des catastrophes naturelles est déjà perceptible et va encore s'aggraver", souligne le rapport, qui a été adopté à l'unanimité. Sécheresses, inondations, précipitations extrêmes, vagues de chaleurs : "D'ici 2050, le montant des sinistres liés aux catastrophes naturelles va augmenter de 50%, à cause du climat et de la concentration de la population dans des zones à risques", estime-t-il. "Les pluies extrêmes dans le sud-ouest de notre pays ont déjà augmenté de 20% depuis le milieu du XXe siècle et une sécheresse comme celle de 2003 devrait se produire tous les deux à trois ans d'ici à la fin du XXIe siècle, poursuit Nicole Bonnefoy. Nous allons donc devoir gérer des risques climatiques plus importants dans les prochaines décennies et il est indispensable d'anticiper ces évolutions en adoptant une démarche résolument prospective."

Système d'indemnisation jugé "incompréhensible et injuste"

Deuxième constat de la mission : le système d'indemnisation est aujourd'hui jugé "incompréhensible et injuste" pour de nombreux sinistrés. "Malgré des fondamentaux pertinents, le fonctionnement actuel du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles (CatNat) exclut beaucoup de sinistrés et son opacité nuit fortement à l'acceptabilité des décisions de non-reconnaissance", indique la rapporteure. Au désarroi des sinistrés face à des décisions de non-reconnaissance des dégâts qu'ils ont subis s'ajoutent souvent des difficultés ultérieures avec les assureurs lors de la phase d'indemnisation, notamment en matière de délais de déclaration des sinistres ou d'évaluation des dommages par les experts d'assurance. Le monde agricole souffre quant à lui d'une vulnérabilité particulière vis-à-vis des aléas climatiques comme en témoignent les ravages subis par les exploitants en cas d’événements de forte intensité (grêle, tempête, sécheresse…), relève encore la mission, et il existe actuellement un vrai déficit de protection des agriculteurs, avec des problèmes d’articulation entre la couverture assurantielle et le régime ad hoc des calamités agricoles.

Politique de prévention "complexe, inachevée et sous-dotée"

Le troisième constat établi par le rapport est que la politique de prévention est "complexe, inachevée et sous-dotée". Ainsi, l’ensemble des communes à risques n’ont toujours pas été couvertes par un plan de prévention des risques naturels (PPRN). C'est notamment le cas pour l'aléa submersion marine puisque sur 303 communes du littoral considérées comme les plus exposées, seules 162 sont couvertes par un PPR approuvé, soit 53%. En outre, souligne la mission, la mise en oeuvre des programmes d’actions de prévention des inondations (Papi) est particulièrement longue et complexe, au point de décourager les élus locaux. Autre problème : à peine la moitié des communes ayant à élaborer un plan communal de sauvegarde (PCS) s’en sont effectivement dotées alors que ce document est particulièrement important en cas de catastrophe naturelle.
Par ailleurs, estime le rapport, "les risques climatiques ont été insuffisamment intégrés à l’aménagement du territoire". "Historiquement, le problème des sols argileux n’a pas du tout été pris en compte dans la conception des maisons individuelles, relève-t-il. De nombreuses constructions restent, en outre, autorisées dans des zones à risques. Quant au recul du trait de côte, il s’agit d’un véritable impensé de la politique d’aménagement du territoire."
Enfin, le plafonnement des ressources affectées au fonds de prévention des risques naturels majeurs (fonds Barnier), créé en 1995 pour financer le déplacement de certains bâtiments construits en zones inondables, en subventionnant jusqu'à 100% du coût de l'acquisition pour la démolition ou la condamnation des biens est jugé par la mission comme "un vrai dévoiement de la contribution versée par les assurés, guidé par des considérations budgétaires de court terme". Le fonds a fait l'objet de 200 millions d'euros de ponctions entre 2016 et 2018 pour boucler le budget de l'État, s'insurgent les sénateurs. "Il s'agit d'une erreur majeure, limitant fortement l’ambition de la politique de prévention, en contradiction totale avec les conséquences du changement climatique", clament-ils.

Moderniser le régime CatNat

Pour "relever durablement le défi du changement climatique", la mission sénatoriale juge donc "indispensable" de moderniser les politiques de prévention et d'indemnisation. Le rapport formule ainsi une cinquantaine de propositions répondants à "dix objectifs prioritaires qui portent d'une part sur les systèmes d'indemnisation, et d'autre part sur les mesures de prévention".
"La majorité des parties prenantes considèrent que les grands principes du système d’indemnisation, fondé sur un principe de solidarité entre tous les assurés, sont à conserver mais qu’une réforme est indispensable pour moderniser durablement le régime CatNat à l’heure du changement climatique", souligne le rapport. Les principales évolutions proposées consistent à formaliser la méthode retenue pour apprécier l'intensité anormale d'un phénomène naturel, à préciser le rôle et la composition de la commission interministérielle chargée de rendre un avis à ce sujet et à revoir le dispositif des franchises, qui conduisent à pénaliser excessivement certains assurés (particuliers vivant dans un territoire dépourvu de PPRN, commerçants et artisans, petites collectivités territoriales). En outre, souligne la mission, "il serait intéressant d'envisager la création d'une clause d'appel en cas de non-reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, fondée sur une expertise indépendante de terrain".

Renforcer l'accompagnement des élus locaux

Un deuxième axe vise à renforcer l'accompagnement des élus locaux. "Les élus sont en effet en première ligne face aux catastrophes naturelles mais beaucoup se disent démunis et mal formés face à des phénomènes d'une telle ampleur", souligne la rapporteure. La mission propose donc d'améliorer l'assistance apportée par les services préfectoraux aux maires des communes concernées, de mettre en place dans chaque département une "cellule de soutien" composée d'élus locaux chargés d'accompagner les maires confrontés à des catastrophes naturelles et de diffuser un guide des démarches à effectuer dans l'après-crise.
Le rapport préconise également de "clarifier et sécuriser les relations entre assurés et assureurs". Il s'agit de "donner des délais raisonnables aux particuliers pour déclarer leurs sinistres, d’harmoniser les pratiques des experts et de garantir des réparations durables et pérennes face à de nouveaux aléas climatiques". Ainsi, le délai imparti aux sinistrés pour déclarer leurs dommages pourrait être porté de dix à trente jours et le code des assurances devrait être complété par un article précisant que l'assurance doit garantir une réparation pérenne et durable. La mission propose aussi d'harmoniser les pratiques et les référentiels en vigueur pour les experts d'assurance et d'assurés et d'intégrer les frais de relogement d'urgence dans le périmètre de la garantie CatNat.
Pour mieux protéger le secteur agricole, le rapport préconise notamment d'assouplir les critères d'éligibilité au régime des calamités agricoles, de sanctuariser les ressources du fonds qui lui est consacré – le fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA) et d'accroître le soutien financier à la souscription de contrats d'assurance-récolte.
Le second volet de propositions de la mission porte sur la politique de prévention. Il faut faire du fonds Barnier le "bras armé" de cette politique, insiste la mission, qui appelle à renforcer ses missions et à améliorer son efficacité. "A ce titre, il est crucial de déplafonner rapidement les recettes affectées au fonds pour disposer de nouvelles marges de manœuvre budgétaire", souligne Nicole Bonnefoy. Le rôle du conseil de gestion du fonds devrait aussi être renforcé en lui donnant une mission plus stratégique. Il faudrait aussi donner davantage de souplesse dans l'utilisation des crédits, avancent les sénateurs, en suppriment les dispositifs de sous-plafonds spécifiques à certaines mesures éligibles.

Amplifier la politique d'aménagement durable dans les territoires

La mission appelle aussi à "amplifier la politique de prévention et d'aménagement durable dans les territoires". "Il faut en particulier achever la politique d'élaboration des PPRN et lancer une phase d'actualisation des plans déjà approuvés, en tenant compte de l'amélioration des connaissances en matière de risques, détaille la rapporteure. Il est également indispensable d'accélérer la labellisation des Papi et de simplifier les procédures applicables aux actions réalisées dans le cadre d'un Papi labellisé". En complément, une troisième série de mesures vise plus particulièrement à accompagner les élus locaux dans leurs démarches de prévention, poursuit la rapporteure. "Cela passe notamment par une meilleure formation des élus, une systématisation des retours d'expérience entre collectivités territoriales ainsi que par une campagne de sensibilisation et d'assistance à l'initiative des préfectures pour que chaque commune ayant à élaborer un PCS puisse rapidement s'en doter", illustre-t-elle.
Un quatrième axe en matière de prévention vise à faire émerger une "culture du risque" dans la population, souligne la mission. "Il faut changer d'approche face aux aléas climatiques en passant du 'lutter contre' au 'vivre avec', explique la rapporteure. Une telle évolution suppose de généraliser la connaissance des risques, des outils de prévention et des comportements à adopter en cas de catastrophe naturelle". Parmi les mesures de sensibilisation préconisées figurent une expérimentation pour créer un diagnostic CatNat permettant de mesurer la résilience d'un logement, l'organisation d'une campagne nationale de sensibilisation de la population sur le retrait-gonflement des argiles – 4 millions de maisons sont potentiellement exposées à ce risque qui provoque de graves fissures – ainsi que la création d'une journée nationale de la prévention et de la gestion des catastrophes naturelles, avec un temps réservé dans les établissements scolaires.

Accroître le soutien du fonds Barnier pour les particuliers

Enfin, le dernier axe en matière de prévention vise à soutenir davantage les efforts pour réduire la vulnérabilité. "Il s'agit essentiellement d'accroître le soutien financier apporté par le fonds Barnier aux travaux des particuliers et de rechercher une complémentarité entre ces subventions, les indemnisations versées au titre du régime CatNat et un crédit d'impôt spécifique qui pourrait être mis en place pour améliorer la résilience des habitations face aux aléas climatiques, explique Nicole Bonnefoy. Il me semble également important d'envisager la création d'un volet spécifique à la sécheresse au sein du fonds pour aider à la réalisation de travaux contre ce phénomène d'une ampleur toute particulière." "En résumé, conclut la rapporteure, il s'agit tout simplement de rendre le fonds Barnier aux assurés pour in fine réduire les besoins d'indemnisation, sachant qu'un euro investi dans la prévention permet d'économiser sept euros d'indemnisation."
Pour "faire vivre ce rapport", les ministres concernés seront invités à "un débat en séance publique" d'ici la fin de l'année, a dit le président de la commission, Michel Vaspart. Les propositions du Sénat pourraient faire l'objet d'amendements dans un projet de loi, et en l'absence d'un texte, la commission pourra faire une proposition de loi reprenant les recommandations du rapport, a-t-il ajouté.