Semestre européen : la Commission adresse ses recommandations à la France

La Commission européenne a présenté son paquet de printemps du Semestre européen, soit les recommandations économiques et budgétaires qu’elle propose au Conseil d’adresser aux États membres. La France se voit singulièrement invitée à accélérer le déploiement des énergies renouvelables et à revoir sa copie en matière d’éducation, dont elle déplore l’inefficacité et les disparités, notamment régionales. La Commission préconise une nouvelle fois de réformer un régime des retraites jugé complexe et coûteux, qui pèse sur une situation budgétaire plus que précaire. En la matière, un répit est toutefois donné avec le prolongement de la clause dérogatoire au pacte de stabilité jusqu’à fin 2023.

La Commission européenne a présenté ce 23 mai son paquet de printemps du Semestre européen, ce bulletin scolaire des États membres de l’UE comprenant, entre autres, un rapport sur la situation de chacun d’entre eux ainsi que des recommandations particulières qu’elle propose au Conseil de leur adresser.
Pour la France, au rang des bonnes appréciations, figure le fait que "la mise en œuvre du plan de relance est bien avancée". La Commission rappelle que la première demande de paiement formulée en décembre (voir notre article) a passé l’examen sans encombre. Pour autant, la Commission souligne que "la mise en œuvre réussie du mécanisme pour la reprise et la résilience (FRR) et des programmes de la politique de cohésion dépend également de la suppression des goulets d’étranglement qui entravent les investissements afin de soutenir la transition verte et numérique et un développement territorial équilibré".

Éducation : bonnet d’âne pour la France

En tête de ces "goulets", la Commission place le manque de main-d’œuvre qualifiée, pénurie d’autant plus aiguë qu’elle touche "notamment les emplois nécessitant des compétences techniques nécessaires à la transition verte et numérique". La Commission relève que "l’investissement actuel dans le perfectionnement et la requalification des travailleurs prend du temps à porter ses fruits". Elle juge en outre que "son efficacité est minée par le faible niveau de compétences de base de plus d’un cinquième des élèves de 15 ans". Le système éducatif français en prend pour son grade : "Les faibles performances en mathématiques - les élèves français obtenant les scores les plus faibles parmi les 22 pays participants de l’UE (...) - et en sciences sont particulièrement préoccupantes, compte tenu des pénuries de compétences techniques", s’alarme ainsi la Commission. Un constat que dressent régulièrement les différents classements internationaux en ce domaine, mais que l’arrivée d’élèves ukrainiens bien plus agiles que leurs camarades français a rendu particulièrement concret ces dernières semaines.

Au-delà, la Commission dénonce des "inégalités socio-économiques et régionales élevées dans le système éducatif français", qui peuvent selon elle être exacerbées par le faible taux de participations des enseignants français à la formation continue, par des ratios élèves-enseignants élevés ou encore par le fait que "les enseignants de sciences travaillant dans des zones défavorisées ont tendance à avoir des niveaux de certification inférieurs dans une plus large mesure que dans d’autres pays de l’UE".

De manière générale, le "rapport pays" (voir son annexe 15) de la Commission constate que "les disparités régionales se sont accentuées en France au cours de la dernière décennie. En termes de PIB par habitant 20 régions sur 27 s’éloignent de la moyenne de l’UE", en soulignant également la persistance de "fortes disparités" entre la métropole et les outre-mer, notamment en matière de pauvreté et de santé.

Énergie : la France ne doit pas s’endormir sur ses lauriers atomiques

La matière énergétique fait partie des points forts de l’élève français, la Commission ne pouvant que constater la moindre dépendance de la France vis-à-vis du pétrole, du gaz et du charbon russes par rapport à ses camarades de l’UE. Elle relève toutefois que ses bons résultats sont le fruit d’efforts passés, cette exposition plus limitée étant "en grande partie" due au fait "que le bouquet énergétique français repose principalement sur l’énergie nucléaire", la France disposant en outre "de quatre terminaux GNL permettant une source d’importations de gaz plus diversifiée". En revanche, elle pointe le manque d’investissements, la France étant le seul État membre à ne pas atteindre ses objectifs en matière d’énergies renouvelables, écart qui risque d’aller croissant dans la mesure où ces objectifs devraient être revus à la hausse avec le plan REPowerEU, qui s’invite comme prévu dans le Semestre européen (voir notre article du 18 mai). La Commission sollicite ainsi "un soutien supplémentaire aux interconnexions électriques transfrontalières", d’une "importance cruciale pour l’intégration d’une grande partie des énergies renouvelables". Elle recommande également "un soutien public accru" aux "pompes à chaleur à petite et à grande échelle et à l’énergie géothermique, y compris le soutien aux réseaux de chauffage urbain, ainsi que par le déploiement plus rapide de la (…) méthanisation et (…) autres biogaz durables tels que le biométhane".

Une réglementation rigide et mouvante qui pénalise collectivités et investisseurs

La France est de même conviée à assouplir "une réglementation restrictive et des barrières administratives et d’autorisation élevées" dont souffrent l’éolien et le photovoltaïque. Particulièrement visés, une réglementation des implantations autour des radars météorologiques, militaires et de l’aviation civile, qui "fait que 45% des nouveaux projets ont du mal à trouver des emplacements appropriés" et, plus largement, "un processus d’approbation impliquant administrations nationales, régionales et locales qui emporte que les demandes fréquentes de mise à jour des documents d’urbanisme doivent également être répercutées dans les documents de niveau inférieur, ce qui entraîne des charges administratives supplémentaires". La Commission préconise ainsi à la France "d’allouer davantage de ressources humaines et financières" aux administrations déconcentrées ainsi que dans les autorités compétentes et les gestionnaires de réseau, "en associant plus étroitement les administrations régionales et locales à l’aménagement du territoire et en accélérant l’application des procédures d’appel d’offres". Elle appelle également de ses vœux le renforcement des mécanismes de participation du public et de décentralisation, qui réduirait les plaintes des tiers, et un "cadre réglementaire stable au niveau national, qui offrirait plus de certitude aux investisseurs, en particulier pour la planification à long terme".

Retraites : un système brouillon et coûteux à revoir

Faute de suite donnée à ses précédentes recommandations, la Commission revient par ailleurs à la charge sur la réforme des retraites, jugeant l’actuel système "complexe" – "plus de 40 régimes coexistants" et coûteux. Un "coût élevé" que la Commission explique par "un taux de remplacement relativement élevé (c’est-à-dire une pension par rapport au salaire annuel final), à l’espérance de vie, à un âge effectif de la retraite relativement précoce (environ 62 ans) et à un nombre élevé de bénéficiaires de pensions par rapport à la population totale". Non sans rappeler qu’en "présentant les objectifs du plan de relance et de résilience français, le gouvernement a confirmé son engagement à poursuivre une réforme ambitieuse" de ce système, la Commission estime que cette dernière, "en unifiant les différents régimes, contribuerait à améliorer sa transparence et son équité, tout en entraînant des effets positifs sur la mobilité de la main-d’œuvre et l’efficacité de la répartition de la main-d’œuvre, et pourrait soutenir la viabilité budgétaire".

Une situation budgétaire inquiétante

Côté budget précisément, la Commission ne dissimule pas ses inquiétudes, alors que la France détient le ratio dépenses publiques/PIB le plus élevé de l’UE : "Les dépenses publiques totales élevées, dont les dépenses de retraite sont l’un des principaux postes, contribuent à l’accumulation de la dette publique malgré une lourde charge fiscale, ce qui conduit la France à faire face à des risques élevés de viabilité budgétaire à moyen terme", avertit-elle. Elle invite en conséquence l’Hexagone à une "politique budgétaire prudente en 2023, en maîtrisant les dépenses primaires courantes financées au niveau national".
Sans surprise, la France fait partie des 18 États membres à faire l’objet d’un rapport pour des taux de déficit et de dette non conformes au traité. Elle émarge en outre au rang des 12 États membres faisant l’objet d’un bilan approfondi du fait de leurs déséquilibres macroéconomiques. Outre un endettement – aussi bien public que privé – élevé, "qui limite la capacité à réagir à d’éventuels chocs", la Commission s’inquiète notamment d’une balance commerciale en déséquilibre (tourisme et aéronautique ayant particulièrement souffert de la crise du Covid) et déplore une croissance de la productivité plus faible que la moyenne de la zone euro.

Respect des critères de l’UE : un nouveau répit

En matière budgétaire, la France bénéficie toutefois d’un nouveau répit. La Commission a en effet annoncé ce jour sa décision de prolonger la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance jusqu’à la fin de 2023. Du provisoire que d’aucuns aimeraient voir définitif, à l’image de l’ancien Premier ministre belge et membre du Comité des régions, Elio Di Rupo : "Il ne peut s’agir que d’une première étape. Cette clause a permis aux villes et aux régions d’utiliser leurs budgets publics pendant la pandémie. Sans changement fondamental, les contraintes budgétaires européennes empêcheront la mobilisation d’investissements publics pour surmonter ces défis sociaux, écologiques et économiques", explique-t-il en insistant sur le fait que "la gouvernance économique européenne doit être adaptée aux nouvelles réalités de nos territoires et de nos régions". La Commission a promis qu’elle définirait "dès la rentrée, et largement à temps pour 2023", des orientations sur d’éventuelles modifications de ces critères.