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Social / Santé : et maintenant, place aux projets de loi !

Loi Santé et plan "Ma santé 2022", travaux préparatoires au futur projet de loi "Grand âge et autonomie", plan Pauvreté, interrogations autour du revenu universel d'activité voulu par le chef de l'État, plan d'action et contributions parlementaires sur l'aide sociale à l'enfance, contractualisation avec les départements... Retour sur un semestre de réformes sanitaires et sociales engagées ou restant à concrétiser.

L'année 2019 avait débuté, sur un mode agité, par une grève d'ampleur inédite dans les Ehpad. Elle fut bientôt suivie par l'ouverture d'un autre front dans le secteur de l'aide sociale à l'enfance, dans le sillon d'une émission à charge sur la situation des jeunes majeurs, aussitôt relayée par une mission d'information de l'Assemblée, à charge elle aussi, dénonçant sans nuance la situation de l'ASE et les carences des départements. Le premier semestre 2019 s'est pourtant conclu de façon nettement plus apaisée, avec une concertation et un rapport sur la prise en charge de la perte d'autonomie qui ont suscité un très large consensus et un projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé, adopté à l'issue d'un parcours sans encombre. Entretemps, Agnès Buzyn, la ministre des Solidarités et de la Santé, a fait la preuve de sa capacité à mener de front plusieurs lourds dossiers – plan Santé, projet de loi Dépendance, plan Pauvreté et revenu universel d'activité, sans même parler de la réforme des retraites ! –, tout en y gagnant l'appui bienvenu de deux nouveaux secrétaires d'État : Christelle Dubos (à l'action sociale, en octobre 2018) et Adrien Taquet (à la protection de l'enfance, en janvier 2019).

Loi Santé : mission accomplie !

Côté santé, l'événement marquant de cette première moitié de l'année est sans conteste la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé (pour le contenu détaillé, voir notre article ci-dessous du 29 juillet 2019). Cette loi comprend toute une série de mesures impactant directement les collectivités territoriales, même s'il faudra attendre l'une des nombreuses ordonnances prévues pour en savoir plus sur certaines réformes : suppression du numerus clausus, réforme des études médicales, création des hôpitaux de proximité (ou plutôt labellisation à partir des établissements existants), modification du régime des autorisations d'activités et d'équipements lourds, reconnaissance du rôle des collectivités en matière de prévention, création d'un dispositif d'appui pour les parcours complexes, renforcement de la gouvernance des groupements hospitaliers de territoire (GHT), réforme des procédures d'autorisation et des modalités d'évaluation des établissements et services sociaux et médicosociaux (ESMS)...

Sur le sujet, très sensible pour les élus, de la lutte contre les déserts médicaux, la loi du 24 juillet ne bouleverse pas la donne. Force reste en effet aux partisans d'une approche incitative. Le texte comporte néanmoins plusieurs avancées significatives : élargissement du statut de médecin adjoint, légalisation de la situation des Padhue (praticiens à diplômes hors Union européenne), compétences étendues pour les pharmaciens, les infirmiers, les sages-femmes et les orthoptistes, création du télésoin pour les paramédicaux... Pour leur part, les tenants de mesures plus coercitives ont obtenu l'instauration, au cours de la dernière année du troisième cycle des études médicales, d'un stage obligatoire pour les étudiants en médecine général, d'une durée d’un semestre et en pratique ambulatoire.

Traitement de choix pour les médecins libéraux

La loi du 24 juillet 2019 et les ordonnances à suivre ne constituent qu'une partie des mesures annoncées dans le plan "Ma santé 2022", présenté par Emmanuel Macron le 18 septembre 2018 (voir notre article ci-dessous du même jour). Après des négociations laborieuses, l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) et la majorité des syndicats de professionnels de santé libéraux ont en effet trouvé un accord sur les modifications conventionnelles permettant la mise en œuvre de deux mesures phares du plan "Ma santé 2022" : l'accélération du déploiement des CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé) – prévues par la loi Touraine du 26 janvier 2016 mais encalminées depuis lors – et la création de 4.000 assistants médicaux sur la durée du quinquennat, une nouvelle profession qui doit libérer du temps médical pour les praticiens installés en ambulatoire (voir notre article ci-dessous du 19 juin 2019). Selon Agnès Buzyn, ces créations devraient libérer l'équivalent de 2.000 postes de médecins.

Ces assistants seront financés par une aide de l'assurance maladie d'un montant, pour un temps plein, de 36.000 et 27.000 euros les deux premières années, puis de 21.000 euros en régime de croisière. Pour leur part, les CPTS bénéficieront d'une aide au fonctionnement allant de 185.000 à 380.000 euros par an, selon le nombre d'habitants du territoire couvert. Les CPTS doivent notamment faciliter l'accès à un médecin traitant, améliorer la prise en charge des soins non programmés en ville (en lien direct avec la question de l'encombrement des urgences) et renforcer l'engagement des médecins libéraux dans le champ de la prévention.

Dépendance : une réforme à dix milliards d'euros ?

En revanche, pas encore de loi du côté de la prise en charge de la dépendance, mais une étape décisive vers l'élaboration du projet de loi attendu, avec le rapport de Dominique Libault – président du Haut Conseil du financement de la protection sociale et ancien directeur de la sécurité sociale de 2003 à 2012 – sur la prise en charge de la dépendance (voir notre article ci-dessous du 28 mars 2019). Élaboré à l'issue d'une très large concertation et d'une "consultation citoyenne" sur le plan Grand âge et autonomie, qui a rencontré un succès inattendu, ce document très fouillé de 230 pages fait l'objet d'un très large consensus. Il formule pas moins de 175 propositions pour prévenir et prendre en charge la dépendance et favoriser l'autonomie et le maintien à domicile.

Parmi celles-ci, le rapport conforte plutôt le rôle du département, "chef de file de l'action sociale auprès de la personne âgée, [qui] doit assumer une fonction d'ensemblier des réponses de proximité, portées notamment par les communes et intercommunalités", mais qui doit aussi "réinvestir les aspects non strictement médicosociaux de la politique du grand âge, dans le respect des compétences des autres niveaux de collectivités". Une sorte de copilotage qui passerait par la création d'une "conférence départementale du grand âge".

Reste bien sûr la question du financement, qui représente une difficulté de taille. Le rapport Libault évalue en effet à 9,2 milliards d'euros la dépense annuelle supplémentaire à financer à l'horizon 2030 pour faire face à la montée du nombre de personnes très âgées, avec notamment la perspective d'un doublement du nombre de personnes dépendantes d'ici à 2050. Sur ce point le rapport, ne tranche pas – sauf pour écarter l'idée d'une assurance privée obligatoire – mais propose, dans un premier temps, soit l'instauration d'une seconde journée de solidarité, soit l'augmentation des droits sur les donations et sur les successions "importantes". À partir de 2024 (date d'extinction de la dette sociale gérée par la Cades), il préconise la création d'un nouveau prélèvement social dédié utilisant l'assiette de CRDS. Sur cette question ultrasensible du financement, le gouvernement est resté jusqu'à présent muet, sauf pour admettre qu'un effort supplémentaire sera indispensable.

Des aidants toujours pas très aidés

Le projet de loi "Grand âge et autonomie" devrait être présenté d'ici à la fin de l'année. Jusqu'à présent, Agnès Buzyn s'est contentée d'indiquer qu'elle retenait "trois leviers, trois priorités" : "la qualité des prises en charge et le renforcement de la prévention, en établissement comme dans les services à domicile" (avec notamment "une augmentation forte, programmée et continue de la présence humaine auprès de la personne âgée"), une baisse du reste à charge en établissement et, enfin, une revalorisation des métiers du grand âge, afin d'"augmenter drastiquement l'attractivité du secteur". Ce dernier point fait d'ailleurs l'objet d'une mission confiée à l'ancienne ministre du Travail Myriam El Khomri (voir notre article ci-dessous du 4 juillet 2019).

En attendant, la concertation autour du rapport Libault et la préparation du projet de loi ont fait une victime collatérale : la loi du 22 mai 2019 visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants. Issu d'une proposition sénatoriale très consensuelle et à la portée assez ambitieuse – avec en particulier l'instauration d'un congé rémunéré pour les proches aidants ayant une activité professionnelle –, le texte s'est trouvé, à la demande du gouvernement, vidé de son contenu et réduit à une poignée de mesures très secondaires, afin de ne pas interférer avec la concertation en cours.

Ce n'est toutefois que partie remise, puisque Agnès Buzyn a récemment annoncé la mise en place d'une rémunération des proches aidants salariés (voir notre article ci-dessous du 4 juillet 2019). Il ne devrait même pas être nécessaire d'attendre la loi Grand âge et autonomie, car la mesure pourrait figurer dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020.

Du plan Pauvreté au revenu universel d'activité

À la différence des plans "Ma santé 2022" et "Grand âge et autonomie", le plan Pauvreté souffre depuis l'origine d'un manque de lisibilité. Initialement annoncé par Emmanuel Macron comme une "stratégie de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes" – autour du thème, cher au chef de l'État, de la lutte contre la "reproductibilité sociale" de la pauvreté (voir notre article ci-dessous du 17 octobre 2017) –, le plan a progressivement évolué vers une approche plus large.

Dans un premier temps, les annonces et les débats se sont toutefois centrés sur la finalité et la méthode (voir notre article ci-dessous du 13 juin 2018) – mais en étant toutefois fortement obérées par la polémique simultanée sur le "pognon de dingue" des aides sociales –, avant qu'Emmanuel Macron annonce finalement, en septembre dernier, une "stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté" (voir notre article ci-dessous du 13 septembre 2018). Un plan centré désormais sur un accompagnement renforcé vers l'emploi à travers un futur "service public de l'insertion" et, surtout, sur la création d'un "revenu universel d'activité" (RUA). L'idée initiale de l'automne 2017 n'est toutefois pas complètement oubliée, avec l'accent mis sur la petite enfance et les jeunes.

Après différents rapports sur le RSA – et après avoir écarté le projet "concurrent" d'expérimentation d'un revenu de base, porté par 18 départements à majorité socialiste (voir notre article ci-dessous du 7 février 2019) –, le RUA commence à prendre tournure. La nomination, en novembre 2017, d'Olivier Noblecourt comme délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes (le titre est resté malgré le changement de périmètre) a été suivie, en janvier dernier, de celle de François Lenglart comme rapporteur général à la réforme du revenu universel d'activité (voir notre article ci-dessous du 24 janvier 2019), avant que soit mis en place un "comité d'orientation stratégique" du RUA (voir notre article ci-dessous du 15 mars 2019) et que soit lancée une concertation nationale sur le sujet durant tout le second semestre 2019 (voir notre article ci-dessous du 4 juin 2019). Autant de démarches qui doivent alimenter le contenu de la future "loi d'émancipation sociale" promise pour 2020 par Emmanuel Macron.

En attendant ce texte à la date encore incertaine, d'autres mesures plus ponctuelles sont néanmoins venu améliorer la lutte contre la pauvreté, comme la suppression progressive du reste à charge sur les frais dentaires, d'optique et de prothèses ou la récente fusion entre la CMU-C et l'aide à la complémentaire santé (ACS, voir notre article ci-dessous du 25 juin 2019).

Le saut d'obstacles du revenu universel d'activité

Si la démarche de mise en place du RUA peut sembler longue, c'est que les difficultés à surmonter ne sont pas minces. Face à l'échec patent d'un dispositif de même type en Grande-Bretagne, un certain flou règne encore sur les choix à faire. Les incertitudes portent sur de nombreux sujets. Le premier est celui du périmètre du RUA. S'il semble acquis qu'il englobera le RSA, l'ASS, le "minimum vieillesse" et peut être aussi l'AAH (malgré l'hostilité des associations), la question est beaucoup plus incertaine pour les APL. L'USH et le secteur du logement social sont en effet vent debout contre une telle perspective et en feront l'un des thèmes centraux de leur congrès à la fin du mois de septembre.

Mais d'autres questions se posent également : la nature des contreparties évoquées par Emmanuel Macron et le lien avec l'activité ou la reprise d'activité (quid du minimum vieillesse et de l'AAH ?), les règles de cumul avec d'autres prestations, l'individualisation ou non du RUA (revenu individuel ou computation familiale), la définition éventuelle d'un seuil de "revenu décent"... Sans oublier bien sûr la question du coût. Si le gouvernement indique que le RUA ne se traduira pas par la dégradation de certaines situations individuelles, il affirme en revanche que la réforme se fera à enveloppe constante par rapport aux dispositifs actuels. Mais, sans toucher au niveau des prestations, une telle stabilité semble difficilement compatible avec l'un des objectifs majeurs du RUA : lutter contre le non recours aux droits.

Pendant ce temps, sentant venir une "renationalisation" de l'insertion (à défaut du RSA), les départements, après avoir envisagé un système d'activités bénévoles à l'initiative du Haut-Rhin, s'activent désormais en multipliant plutôt les dispositifs permettant de cumuler RSA et revenus d'activité (voir nos articles ci-dessous du 1er et du 8 juillet 2019).

Coup de chaud sur l'aide sociale à l'enfance

A un niveau moins stratégique, mais sur un sujet très sensible pour les départements, les six mois écoulés ont été marqués par une vive polémique sur l'aide sociale à l'enfance (ASE) et sur la politique des départements en la matière. Comme déjà signalé, la polémique a débuté par un reportage à charge sur l'abandon supposé des jeunes majeurs par les départements, avec des témoignages effectivement poignants mais qui ne reflètent pas nécessairement toute la réalité.

Devant l'émotion qui a suivi, les départements ont échappé de peu à la mise en place d'une commission d'enquête de l'Assemblée nationale, finalement transformée en une mission sur les jeunes majeurs confiée à la présidente de la commission des affaires sociales et en une mission d'information sur l'ASE (mais décidée par la conférence des présidents pour lui donner davantage de solennité). Le rapport qui vient d'être publié est conforme à l'esprit initial de la démarche et s'apparente plutôt à un réquisitoire sur quasiment tous les aspects de l'ASE (voir notre article ci-dessous du 24 juillet 2019).

Mais ce rapport tombe clairement à contretemps. Sous l'impulsion du Premier ministre, l'État a en effet lancé une contractualisation avec les départements autour du plan Pauvreté, qui intègre, parmi ses priorités, des actions en faveur d'une meilleure prise en charge des jeunes majeurs (voir notre article ci-dessous du 21 février 2019). Pour sa part le nouveau secrétaire d'État à la protection de l'enfance, Adrien Taquet, a proposé, devant les Assises de la protection de l'enfance à Marseille, un plan d'action qui ne remet pas fondamentalement en cause le rôle et l'action des départements mais propose plutôt quelques ajustements (voir notre article ci-dessous du 4 juillet 2019). L'existence de ce plan - élaboré conjointement avec l'ADF -, mais aussi celle d'un secrétaire d'État chargé d'un domaine pourtant presque intégralement décentralisé, témoignent cependant d'un retour de l'État dans ce secteur.

Consolation néanmoins pour les départements : le premier semestre 2019 a vu le Conseil constitutionnel valider à la fois les tests osseux et le fichier des mineurs non accompagnés (voir nos article ci-dessous du 22 mars et du 26 juillet 2019), mais aussi l'État apporter un soutien financier – légèrement – plus important à la phase initiale d'évaluation et de prise en charge des départements (voir nos articles ci-dessous du 2 et du 18 juillet 2019).

 

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