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Société de confiance : le Sénat modifie une dernière fois le texte

Tout en rétablissant sa version sur de nombreux sujets clivants du projet de loi pour un État au service d'une société de confiance, à l’image du droit à l’erreur des collectivités territoriales, le Sénat a recherché des solutions de compromis susceptibles d’être retenues en dernière lecture par l’Assemblée.
 

Le Sénat a adopté, en nouvelle lecture, ce 25 juillet, le projet de loi pour un État au service d’une société de confiance. Après l'échec de la commission mixte paritaire (CMP), l'Assemblée nationale avait voté, le 26 juin dernier, une nouvelle version de ce texte visant à consacrer un "droit à l’erreur" pour les usagers et à simplifier l’action publique, notamment à travers une série d’expérimentations. Le caractère "attrape-tout" du projet de loi cumulé aux changements d'arbitrage du gouvernement - en particulier sur l’éolien en mer - ont rendu difficilement conciliables les positions des deux chambres sur de nombreux sujets. L’examen en séance en cette fin de session extraordinaire n’a que très peu fait bouger les lignes.
Réunie le 11 juillet, la commission spéciale s’était déjà employée à rétablir la position du Sénat sur les articles les plus clivants à travers l’adoption d’une trentaine d’amendements proposés par ses deux rapporteurs, Pascale Gruny (Aisne-LR) et Jean-Claude Luche (Aveyron-UC). Sur d’autres points - à l’exemple de l'expérimentation d'un référent unique dans les maisons de services au public - la recherche "de solutions équilibrées et de compromis susceptibles d'être retenus en dernière lecture par l’Assemblée" a malgré tout été privilégiée.

Droit à l’erreur des collectivités

A l’article 2, la série d’ajustements sur le dispositif du droit à l’erreur des usagers dans leurs relations avec l’administration est réintroduite. Il s’agit notamment de prévoir expressément que l'administration est tenue d'inviter l'usager à régulariser sa situation. Le texte rétablit également la définition de la fraude, par souci de parallélisme avec la définition de la mauvaise foi ajoutée par l’Assemblée, tout comme le délai maximum de six mois dans lequel l'administration doit procéder au contrôle.
Comme on pouvait s'y attendre, l'extension du bénéfice du droit à l'erreur aux collectivités territoriales ou de leurs groupements refait elle aussi surface. En commission, Pascale Gruny avait proposé une rédaction de compromis sur ce point de crispation, en limitant le bénéfice aux plus petites communes (moins de 3.500 habitants). C’est finalement la rédaction de l’article 2 bis A tel qu’il avait été adopté en première lecture par le Sénat, sans distinction entre les collectivités, qui l’a emporté contre l’avis du gouvernement.

Ouverture des données relatives aux valeurs foncières

Un terrain d’entente est trouvé à l’article 4 ter dont l’objet est de permettre à l’ensemble des acteurs de l’urbanisme, de l’aménagement foncier et de l’immobilier de disposer des données relatives aux mutations foncières. Le texte proposé préserve l’anonymat des propriétaires, tout en supprimant les exigences incompatibles avec un sytème d'open data.

Trop de rescrit tue le rescrit

Guidé par ce même souci de consensus, le Sénat a également adopté conforme l’article 9 - sur l’opposabilité des circulaires - faisant confiance au juge administratif pour requalifier, le cas échéant, les "fausses notes" en circulaires. Machine arrière en revanche sur les nombreuses procédures inédites de rescrits administratifs ajoutées par l’Assemblée en nouvelle lecture - dans le domaine des archives publiques ou pour répondre aux besoins des entreprises - "au mépris de la règle de l’entonnoir". Cet ajout, à un stade avancé de la procédure législative, "ne permet pas de contrôler le bien-fondé et la qualité de ces dispositions", a fait valoir Jean-Claude Luche. La suppression de l'article 11 - qui prévoyait d'expérimenter l'acceptation tacite de propositions de rescrit - procède de la même logique. A l'article 31, le dispositif initial proposé par le gouvernement sur le rescrit juridictionnel est lui maintenu. Mais son champ d’application est sécurisé dans la loi, sans renvoyer au décret, en mentionnant expressément les décisions administratives non règlementaires relatives aux déclarations d'utilité publique et aux déclarations d’insalubrité.

Certificats d’information : une information sur "étagère"

Contrairement au rescrit qui peut nécessiter un délai de réponse important, il s’agit dans la majorité des cas, pour le certificat d’information, de délivrer à l'usager une information disponible "sur étagère". Le délai maximal de délivrance est en conséquence à nouveau ramené de cinq à trois mois (art. 12). La suppression de l’article 12 bis - sur l’expérimentation de la cristallisation du certificat d’information - est par ailleurs maintenue.

Maisons de services au public, petite enfance, aidants…

Si les réserves sur l’expérimentation d'un référent unique doté d'un pouvoir de décision dans les maisons de services au public n’ont pas été complètement dissipées, le Sénat propose plutôt que de supprimer l’article 15 bis une rédaction de compromis, en exigeant  "l'accord de tous les participants signataires de la convention-cadre".
Pas de concession en revanche pour l’habilitation à réformer par ordonnance les règles régissant les modes d'accueil du jeune enfant (art. 26 bis). La suppression de ce cavalier législatif est à nouveau votée. Le Sénat autorise le relayage du proche aidant (art. 29) - pourtant lui aussi très éloigné du texte - moyennant un encadrement de cette expérimentation.

Lobbies : compromis sur le report

Une autre avancée est saluée à l’article 38, à la faveur de la rédaction de l’Assemblée. Le report - de trois ans, soit au 1er juillet 2021 - de l'inclusion des responsables publics locaux dans le champ d'application du répertoire numérique des représentants d’intérêts constitue "un compromis acceptable". Le Sénat n'est pas revenu sur l’exclusion des associations cultuelles de ce registre, malgré les vifs échanges ayant animé les débats sur ce sujet.

Chambres d’agriculture : pas d’accord, pas d’expérimentation

A l’article 19, le Sénat revient là encore à la rédaction qu’il avait adopté, s’agissant notamment de l'accord des chambres d'agriculture départementales préalablement à toute expérimentation de transfert de compétences ou de personnels vers les chambres régionales.

Dialogue environnemental : maintien de l’enquête publique

L’expérimentation d'une procédure de consultation du public par voie électronique en substitution de l'enquête publique pour l’ensemble des projets soumis à évaluation environnementale est retranchée du texte (art. 33). Même opposition du Sénat à la ratification en catimini de l'ordonnance relative à l'autorisation environnementale, en ce qu’elle prive le Parlement "de la possibilité de procéder à son examen et d'y apporter, si besoin, des modifications". Le dispositif visant à lutter contre les recours abusifs formés par les associations à l'encontre des décisions relatives aux projets soumis à autorisation environnementale est quant à lui rétabli (art. 35 ter).

Eolien offshore : fin du feuilleton?

L’article 34 au coeur de l’échec de la CMP aura fait couler beaucoup d’encre. Prenant acte du résultat de la négociation avec les lauréats, le Sénat a finalement décidé de ne pas modifier le texte. Le développement des six parcs a été confirmé, avec un engagement des industriels à réduire de 30% les tarifs de mise en service, permettant, selon le gouvernement, de faire baisser le coût du soutien public de 40%, soit environ 15 milliards d'euros sur les vingt ans des contrats d’achat. Pour autant, la façon dont le gouvernement aura mené ce dossier continue d’interpeller sur plusieurs points, y compris sur la forme. Jean-Claude Luche épingle ainsi "un amendement tombé du ciel", sans considération des fortes incertitudes qu'il a créées pour la filière et pour les territoires concernés. Le feuilleton pourrait donc rebondir devant le Conseil constitutionnel.  "La plus grande opacité" demeure en outre sur les conditions de cette négociation, relève le rapporteur, tout en soulignant qu"une annulation restera possible jusqu'à la signature du contrat d’achat". 

Les rapports n’ont pas la cote

Le Sénat confirme son profond rejet pour les rapports, en supprimant du texte la plupart des demandes en ce sens. C’est le cas des divers rapports annuels portant sur huit thèmes en lien avec le projet de loi prévus à l’article 40. Et selon la même logique aux articles 41 - rapports d'évaluation des expérimentations prévues par le projet de loi - et 42 - s’agissant cette fois des ordonnances. Même sort enfin à l’article 46 chargeant la Cour des comptes de rapports d'évaluation comptable et financière relatifs à la mise en oeuvre des dispositifs du projet de loi. Seul le rapport sur l’application du principe selon lequel le silence de l’administration vaut acceptation (art. 43) trouve grâce auprès du Sénat.