Sports et éducation : histoire d'un mariage arrangé

Le ministère des Sports est désormais sous la tutelle de l'Éducation nationale. Une décision qui n'a rien de surprenant. Elle s'inscrit dans la continuité d'une politique entamée depuis deux ans.

L'annonce de la composition du gouvernement de Jean Castex a été faite lundi 6 juillet. Jean-Michel Blanquer a été nommé ministre de l'Éducation, de la Jeunesse et des Sports. Roxana Maracineanu est devenue "simple" ministre déléguée chargée des sports. Le monde du sport a peu goûté la mise sous tutelle de son ministère.
Cette situation s'inscrit pourtant dans un continuum historique. Depuis 1921 et la création du premier sous-secrétariat d'État chargé de l'Éducation physique, les Sports n'ont bénéficié d'un ministère de plein exercice que de façon épisodique. De 2014 à 2017, ils étaient encore sous la tutelle du ministère de la Ville et ne bénéficiaient que d'un secrétariat d'État. Le rapprochement avec l'Éducation nationale est lui aussi une vieille antienne. Le lien historique entre les deux secteurs remonte aux années 1920. Il s'est renouvelé à quatre reprises sous la Ve République. La dernière fois de 1988 à 1991. Dans la longue durée, ce rapprochement n'est pas une surprise. Sur le court terme, il l'est encore moins… 

2S2C, ou le loup dans la bergerie

Revenons un peu en arrière. Février 2019. Jean-Michel Blanquer et Roxana Maracineanu, déjà, annoncent leur ambition commune : des après-midi libérés pour la pratique du sport à l'école. Un appel à projets est lancé au printemps suivant. Sa formulation est éclairante : il s'agit de privilégier "la place des enseignements de l'éducation physique et sportive (EPS) et de la pratique sportive associative". Pratique sportive associative ? Les clubs ! Pour les enseignants d'EPS, cela revient à faire entrer le loup dans la bergerie. Le loup s'en lèche les babines. Cela fait des années que le monde associatif sportif se heurte à la résistance des enseignants d'EPS. Le cahier des charges de l'appel à projets précise encore : il est possible de "proposer des temps réservés à des activités artistiques et culturelles en complément". Et ajoute au chapitre "Dialogue, concertation et partenariat" : "Développer les partenariats avec le monde sportif et les collectivités territoriales pour proposer des activités sportives l'après-midi." Ou encore : "Dialoguer avec les collectivités territoriales pour une utilisation optimisée des installations sportives et l'organisation des transports." Cela ne vous rappelle rien ?
Le dispositif 2S2C (sport, santé, culture, civisme) n'est pas apparu par hasard un beau matin d'avril 2020. Ce n'est pas une mesurette de sortie de crise sanitaire imaginée à la va-vite pour occuper les enfants que l'école ne pouvait accueillir en classe restreinte. Tout était prêt depuis plus d'un an. Et il y a fort à parier qu'après une mise en place timide en fin d'année scolaire, le 2S2C a, lui, de forte chance de connaître une deuxième vague en septembre. C'est tout le sens du rapprochement entre les deux ministères. Mais ce n'est pas le seul indice laissé par le gouvernement…

Délégations régionales

En janvier dernier, Roxana Maracineanu annonce la constitution de délégations régionales académiques à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (Drajes) auprès des recteurs de régions académiques. Dès le 10 juin, on pouvait lire sur le site du ministère de l'Éducation nationale : "Le rapprochement entre la Jeunesse et les Sports et l'Éducation nationale vise à réunir l'ensemble des compétences du ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse en matière de vie associative, de jeunesse, de citoyenneté et d'engagement ainsi que les savoir-faire présents sur les territoires mais dont les compétences étaient jusqu'ici exercées dans deux réseaux distincts. [Cela] permettra également de rapprocher aux niveaux départemental et régional les politiques portées par le ministère des Sports et celles portées par le ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse." Au niveau déconcentré, cela va se traduire d'une façon aussi concrète que nette : les agents qui exercent les missions de sport, de jeunesse, d'éducation populaire et de vie associative ainsi que les agents qui soutiennent ces missions intégreront les services académiques au 1er janvier 2021. Le 10 juin toujours : "Au niveau central, la direction des Sports et la direction de la Jeunesse, de l'Éducation populaire et de la Vie associative, aujourd'hui soutenues par le secrétariat général des ministères sociaux, seront soutenues à compter du 1er janvier 2021 par le secrétariat général du ministère de l'Éducation nationale." Ces mesures étaient prises sur une base d'un texte : la circulaire du 12 juin 2019 relative à la mise en œuvre de la réforme de l'organisation territoriale de l'État. Laquelle prévoit de "recentrer les missions Sport, Jeunesse et Vie associative, [et de] les rapprocher de l'Éducation nationale". Vous avez dit préméditation ?

Des limites de la tutelle

Autre pierre à l'édifice : celle apportée par un décret du 27 septembre 2019 portant création de l'inspection générale de l'Éducation, du Sport et de la Recherche (IGESR). Son but ? "Articuler mieux encore les politiques publiques à l'école, de la maternelle au doctorat, touchant aussi bien l'éducation, la formation et l'épanouissement de la jeunesse, l'engagement des élèves et des étudiants dans le sport, la vie associative ou encore la lecture publique, avec les politiques contribuant au lien social et à l'équilibre des territoires".
À la lecture de ces textes, le doute n'est plus permis. L'idée de rapprocher les deux ministères – et de mettre l'un sous la tutelle de l'autre – ne date pas de la nomination de Jean Castex au poste de Premier ministre. Loin s'en faut.
Pourtant, la tutelle aura ses limites, qui se dessinent déjà. Tout d'abord, le principal texte de l'actuel quinquennat en matière de sports – la loi Sport et société – est déjà dans les tuyaux. Elle ne portera pas la marque de Jean-Michel Blanquer. Reste l'important chantier de Paris 2024. Le Premier ministre en personne, grand connaisseur du dossier pour en avoir été le délégué interministériel, gardera, ne serait-ce que pour des raisons d'efficacité, un regard constant sur le dossier. Jean-Michel Blanquer pourrait, là encore, rester éloigné des débats. N'a-t-il pas déjà beaucoup à faire avec le plus grand des ministères, tant en termes de budget que d'effectifs ? Malgré la tutelle, la confiance renouvelée en Roxana Maracineanu devrait lui laisser les mains libres pour traiter en toute autonomie les dossiers 100% sport.