Territoires éducatifs ruraux, un premier bilan mitigé

Une note d'étape de l'inspection générale de l'Éducation, du Sport et de la Recherche pointe les premières réussites et les premières carences des territoires éducatifs ruraux expérimentés dans trois académies. Elle met aussi en avant le manque de financement spécifique de l'État dans ce dispositif.

Une expérimentation qui peine à se déployer dans toutes ses dimensions mais qui recueille l’intérêt et l’adhésion des collectivités locales même si celles-ci déplorent l'absence de financement. C'est ainsi qu'apparaît le premier bilan des territoires éducatifs ruraux (TER) dont l'inspection générale de l'Éducation, du Sport et de la Recherche (IGESR) vient seulement de publier une "note d'étape"… datant de juillet 2021.

Les TER sont une expérimentation lancée en janvier 2021 dans les académies de Normandie, Nancy-Metz et Amiens. Leur but ? Constituer un réseau de coopérations autour de l'école comme point d'ancrage territorial, au service d'un projet éducatif porteur d'ambition pour les élèves et leurs familles, et vecteur de rayonnement pour le territoire concerné. Dans l'esprit de Nathalie Élimas, ex-secrétaire d'État à l'Éducation prioritaire, qui en fut à l'origine, il s'agissait tout simplement de faire des TER le pendant rural de ce qui avait été entrepris à partir de la rentrée 2019 avec les cités éducatives dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Autrement dit, une vaste alliance éducative rassemblant préfecture, Éducation nationale, collectivités locales, tissu associatif et familles au service de la réussite scolaire et socioculturelle des enfants dans des territoires fragilisés. Car si les résultats scolaires ne sont pas, comme c'est le cas dans les QPV, particulièrement préoccupants pour leurs élèves, les territoires ruraux pâtissent d'une ambition scolaire et d'orientation plus faible qu'en milieu urbain ou périurbain. Ainsi, le taux de non-poursuite d'études s'élève à 23,6% dans les territoires ruraux éloignés, contre 15% en moyenne nationale.

Dès leur origine, les TER se sont fixé trois objectifs : mobiliser un réseau de coopérations locales autour de l’école ; garantir aux jeunes ruraux un véritable pouvoir d’agir sur leur propre avenir ; et mieux accompagner les personnels afin de renforcer l’attractivité et la professionnalisation de l’école rurale.

Des coopérations locales en action

Pour ce qui est du premier objectif, la note de l'IGESR estime que le début de mise en œuvre de l’expérimentation au premier semestre de l’année 2021 a d’ores et déjà permis d'en "engager significativement la réalisation" et que cette étape "est incontestablement positive". Dans l'académie d'Amiens, la mobilisation des acteurs a notamment pris appui sur les communautés de communes déjà très présentes sur le premier degré, mais aussi sur des associations sportives et culturelles, dont certaines "sont clairement identifiées, venant sans doute confirmer des engagements déjà existants". Pour l'académie de Nancy-Metz, la note précise que "l’analyse des contrats éducatifs des TER montre combien les parents sont une clé de réussite des projets". Dans l'académie de Normandie, il ressort qu'à "chaque fois que cela [a été] possible, la dynamique nouvelle des TER a pris appui sur les partenariats existants". À titre d'exemple, la note indique que "dans la Manche, les deux TER se sont appuyés sur le projet éducatif social local (PESL), collaboration institutionnelle qui garantit l’articulation et l’harmonisation des politiques éducatives et sociales dans les domaines, notamment, de la parentalité, de la petite enfance, de l’enfance et de la jeunesse".

Parmi les points positifs mis en avant, on note encore qu'en Lorraine, "le projet des TER constitue une formidable opportunité pour limiter la juxtaposition des dispositifs". Cette logique de dépassement des dispositifs existants n'est d'ailleurs pas sans évoquer celle qui a prévalu à la naissance des cités éducatives. "Le modèle de fonctionnement des cités éducatives […] a pu montrer qu’il n’est pas un dispositif de plus mais un facilitateur de mobilisation collective", pouvait-on lire dans le premier rapport qui leur a été consacré (lire notre article du 16 juillet 2021). Réussite donc, mais loin d'être sui generis. Les TER ont souvent mis en lumière ce qui fonctionnait déjà.

Libérer les élèves ruraux

Concernant les deux autres objectifs, la note juge que leur déploiement "reste encore à poursuivre". Mais à des degrés divers. Ainsi l’objectif 2 – "garantir aux jeunes ruraux un véritable pouvoir d’agir sur leur propre avenir" – est "très clairement celui qui a été le plus travaillé au stade actuel de la définition et de la construction" même si les pistes de développement ont beaucoup varié d'un territoire à l'autre. Dans l'académie d'Amiens, les pistes privilégiées sont la fluidification des transports, la réflexion sur les parcours éducatifs et plus précisément les questions d’orientation, et enfin la sécurisation des transitions scolaires. Dans l'académie de Nancy-Metz, l'objectif de mobilité s'articule autour de trois axes : vertical (accompagnement à la construction d’un projet professionnel affranchi des contraintes de la ruralité, cordées de la réussite, etc.), horizontal (élargissement de l’éventail de l’offre éducative et offre informelle enrichie dans le domaine culturel) et transversal (développement de l’autonomie des élèves). En Normandie, le champ de l’accompagnement à l’orientation, de la promotion de l’ambition scolaire et de la mobilité des élèves a été "tout particulièrement investi par les TER". Même si la note signale "la préoccupation d’un élu (maire d’une commune d’un TER) soulignant la nécessité d’être attentif à ce que le travail sur l’ambition scolaire ne consiste pas à 'vider les territoires' de leurs meilleures ressources".

Quant à l'objectif 3, qui relève plus de dynamiques internes à l'Éducation nationale, il "demande encore à être véritablement investi dans ses dimensions opérationnelles" et "cela demandera sans doute une impulsion et un accompagnement renforcés des acteurs académiques", pointe la note.

Des actions sans financement

Reste le nerf de la guerre… La note rappelle "l’absence d’engagement de moyens spécifiques" de la part de l'État et souligne que cela "implique des arbitrages en lien avec les spécificités de chaque TER". En l'occurrence, elle relève quatre principaux leviers utilisés pour pallier cette absence : le transfert de moyens existants, la concentration de moyens, la mutualisation de moyens et la recherche de moyens complémentaires par des logiques partenariales. Les inspecteurs de l'IGESR considèrent toutefois que "la logique d’optimisation des moyens existants a aussi ses limites, notamment par comparaison avec le dispositif des cités éducatives", et estime que "l’affichage de crédits dédiés constituerait aussi un signal politique important en direction des partenaires du monde rural, et tout particulièrement dans la perspective d’une pérennisation des coopérations renforcées autour des TER entre les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l’État". Une position illustrée par le cas normand où "il est fait le constat que les collectivités territoriales partenaires du dispositif sont peu enclines à attribuer des crédits à la mise en œuvre du territoire éducatif rural si l’État ne prévoit pas des financements spécifiquement dédiés". Ce manque de financement est d'autant plus criant que les cités éducatives bénéficient de leur côté d'une enveloppe de près de 100 millions d’euros de crédits du ministère chargé de la ville sur la période 2020-2022.

Les préconisations de cette note d'étape ne reviennent cependant pas sur la question des moyens financiers. Elles se contentent dans l'ensemble de viser à l'effectivité ou au renforcement des principes qui ont prévalu à la mise en place de l'expérimentation (prendre en compte au départ du projet la place donnée aux collectivités territoriales dans le pilotage local des projets, approfondir l’axe relatif à la garantie d’une offre de formation riche et diversifiée, etc.). On remarque néanmoins la dernière préconisation, qui vise à "consolider l’existant dans les territoires expérimentaux avant d’envisager un déploiement du modèle". Or on sait déjà que ce ne sera pas le cas. En septembre 2021, le ministère de l'Éducation nationale annonçait l'extension de l'expérimentation à 7 académies et 37 territoires supplémentaires…