Tiers-lieux - Jacqueline Gourault : "Un emploi en moyenne par structure est en danger après la crise du Covid-19"

Début juin 2020, dix ministres étaient réunis pour le comité de pilotage du programme gouvernemental "Nouveaux lieux, nouveaux liens" afin évoquer la situation économique des tiers-lieux, fragilisés par la crise du Covid-19. Période de réserve électorale oblige, rien n'avait été communiqué à son issue. Localtis a recueilli auprès de sa présidente, la ministre Jacqueline Gourault, les principales pistes de mobilisation de l'État pour les tiers-lieux, sachant que près de "80% craignent l'après-crise". 

Localtis - Le gouvernement va-t-il débloquer des fonds supplémentaires pour soutenir les tiers-lieux suite à la situation économique délicate qu'ils traversent depuis la crise du Covid-19 ?
Jacqueline Gourault -
Le gouvernement a déjà annoncé sa mobilisation pour relancer l'économie et sauver l'emploi des Français. Les tiers-lieux sont des acteurs clefs de la croissance et de l'insertion professionnelle, mais aussi sociale et bénéficient des mesures de solidarité mises en œuvre par l’État. Plusieurs pistes sont à l'étude pour positionner les tiers-lieux comme "point de relais" des activités qui seront spécifiquement mises en œuvre pour la sortie de crise du Covid-19, et notamment l'inclusion numérique, le réemploi ou encore le recyclage de matériel informatique.

D'après l'enquête de France Tiers-Lieux, la perte globale de chiffre d'affaires de ces établissements solidaires est estimée à 111,5 millions d'euros pour l'année 2020, pour les 1.800 tiers-lieux installés sur le territoire...
Les tiers-lieux sont des acteurs économiques viables contrairement à l'idée souvent fausse que l'on se fait de ces lieux de vivre-ensemble. La crise économique engendrée par le Covid-19 a donc impacté fortement leurs activités. La situation économique des lieux a été fragilisée : 80% d'entre eux craignent l'après-crise. Ils ont perdu un chiffre d'affaires de 110 millions d’euros ce qui est très important pour une filière encore faible. La majorité a accédé au chômage partiel. Un emploi en moyenne par structure est en danger, notamment dans les structures récentes qui ne peuvent pas justifier de perte de chiffre d'affaires, ou restent prudentes pour demander le prêt garanti par l’État (PGE) par crainte de ne pas pouvoir rembourser.

Le 8 juin, le comité de pilotage a fait un point d'étape du programme. Quelles en sont les grandes lignes ?
Le comité de pilotage a tout d'abord été l'occasion de saluer la mobilisation exceptionnelle des tiers-lieux dans la gestion de crise locale du Covid. La fabrication de matériel médical par les makers, ainsi que leurs coopérations efficaces avec les soignants, a vraiment marqué les esprits. Cela a permis de donner à voir cet écosystème encore trop inconnu du grand public. Mais leur action décisive s'est aussi portée sur l'inclusion numérique, l'alimentation ou encore le maintien du lien social. C'est toute la force de cet écosystème transversal, pluridisciplinaire et qui s'inscrit au plus près des besoins des habitants.
Plus globalement, les ministres ont souligné combien les engagements des tiers-lieux permettaient de soutenir la relocalisation de la production, le lien social, la prise en compte de l'environnement sur la plupart des territoires, faisant de ce mouvement une nouvelle force au service de la citoyenneté, particulièrement active durant la crise sanitaire.

Le gouvernement dit vouloir "continuer d'accompagner leur développement, plus que jamais nécessaire". Dans ce contexte, de quelle manière ?
Le gouvernement a effectivement pris de forts engagements en faveur des tiers-lieux. La mobilisation de dix ministres lors du comité de pilotage en est l'illustration. Chaque ministère voit l'intérêt majeur d'inscrire ses priorités dans les nouvelles méthodes de travail des tiers-lieux pour bénéficier de leur agilité et de leur ancrage territorial.
Le programme "Nouveaux lieux, nouveaux liens" a été créé en janvier 2020, au sein de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), spécifiquement pour appuyer le déploiement des tiers-lieux en lien étroit avec les collectivités territoriales. Ce programme est en charge d'un appel à manifestation d'intérêt de 45 millions d'euros pour financer 300 Fabriques de territoire. L'équipe du programme concentre ensuite son action sur la mutualisation des outils, l'échange de méthodes entre tiers-lieux et surtout l'articulation des dispositifs publics au sein de ces lieux. C'est un travail de long terme et de précision, qui permettra une montée en charge progressive des activités des tiers-lieux comme relais de l'action collective, publique ou non, sur tout le territoire.

Quel est le rôle du fonds d'urgence "Makers contre le Covid-19" ?
Le fonds "Makers contre le Covid-19", actuellement abondé par la Fondation de France, permet de lever les menaces économiques qui pèsent sur les tiers-lieux et de faciliter l'action des collectifs de makers afin qu'ils puissent consacrer leur énergie à ce qui est le plus utile aujourd'hui : prototyper, fabriquer et organiser la distribution de matériel médical en urgence. L'existence de ce fonds est très significative car il objective, à travers la reconnaissance d'un acteur extérieur et de référence, le rôle de ceux qui apportent des solutions concrètes par le prototypage, la fabrication et la distribution de matériel médical. Il faut souligner, dans ce contexte, le rôle central de l'association France Tiers-Lieux dans le soutien et la valorisation des acteurs engagés dans les tiers-lieux.

Enfin pourquoi le gouvernement a-t-il décidé de stopper des fabricants de visières gratuites, selon une information publiée par le Courrier de l'Ouest, le 17 mai ?
La fabrication de visières gratuites n'a pas été interdite par le gouvernement. Depuis l'entrée en vigueur du confinement, des bénévoles ont fabriqué des visières de protection contre le Covid-19, dont la qualité a été validée par les responsables des établissements de santé ou des entreprises destinataires, mais ces fournitures n'ont pas fait l'objet de vérifications de conformité aux normes en vigueur. De nouvelles normes de conformité ont donc été mises en œuvre par la direction générale des entreprises (DGE). La fabrication non normée peut être maintenue à condition que les visières ne soient pas présentées comme un moyen de protection contre le Covid-19. Cette absence de mention permet de ne pas requalifier le don ou la vente à prix coûtant en concurrence déloyale, et de ne pas requalifier le bénévolat en travail dissimulé. Les "makers" et leurs représentants ont été en dialogue constant avec les services de l’État durant la crise sanitaire (ANCT, DGE, ANSM…) : le dialogue doit se poursuivre pour la simplification réglementaire et le développement de la fabrication numérique locale.