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Vingt-cinq propositions pour renouveler l'habitat individuel et encourager une densification douce

Un groupe de travail - constitué de représentants des architectes, constructeurs, géomètres-experts, Scot, promoteurs, urbanistes, aménageurs... - a présenté ce 16 décembre son rapport "Pour une vision renouvelée de l'habitat individuel", au lendemain de sa remise à Emmanuelle Wargon. Parmi ses constats : le logement individuel organisé constitue "un angle mort de la politique du logement". Les propositions sont organisées autour de cinq grands thèmes : les documents d'urbanisme, la levée des freins opérationnels à la densification douce, la fiscalité, la densification du tissu existant et la qualité des opérations. Une boîte à outils utile.

Lors d'une conférence de presse ce 16 décembre dans les locaux de l'Ordre des géomètres-experts, pas moins de huit acteurs majeurs de la construction de logements ont présenté le rapport issu de leur groupe de travail, intitulé "Pour une vision renouvelée de l'habitat individuel". Outre les géomètres-experts, les contributeurs à ce travail collectif sont l'Ordre des architectes (CNOA), la Fédération française des constructeurs de maisons individuelles (FFC), la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), la Fédération des SCoT, l'Office professionnel de qualification des urbanistes (OPQU), le pôle habitat de la Fédération française du bâtiment (FFB) et l'Union nationale des aménageurs (Unam). Invités à participer, car désormais concernés par la conception des lotissements, les paysagistes n'ont finalement pas pris part à ces travaux.

55% de logements individuels, qui logent 66% des Français

Contrairement à d'autres rapports récents dans le secteur de l'urbanisme et du logement, ce document ne répond pas à une commande ministérielle, mais constitue une initiative spontanée de ses auteurs. Il s'inscrit cependant très clairement dans le prolongement de la loi Climat et Résilience du 22 août dernier et de ses obligations, qui "interroge nécessairement la place de l'habitat individuel dans la production de logements". La ministre du Logement s'est toutefois saisie de l'intérêt de cette réflexion et le rapport lui a été officiellement remis le 15 décembre. Elle a "pris connaissance des propositions qu'il contient avec un réel intérêt".

Comme il se doit, le rapport s'ouvre par un constat. Il en ressort notamment que 55% des 37 millions de logements en France sont de l'habitat individuel et accueillent 66% des Français. Après avoir occupé la première marche de la construction de logements – devant l'habitat collectif – depuis les années 1970 jusqu'au milieu des années 2000, la maison individuelle représente encore 40% des logements autorisés. Une large majorité des permis de construire de logements individuels se situe dans les communes appartenant aux couronnes des pôles urbains (70% pour l'individuel pur et 57% pour l'individuel groupé). Enfin, et sans surprise, l'habitat individuel est plébiscité par les Français (plus de 80% selon un sondage de septembre 2019) et cette tendance s'est sans doute encore accrue avec la crise sanitaire.

De multiples contraintes

Le constat relève aussi que l'habitat individuel est soumis à de multiples contraintes (même si on pourrait en dire autant pour le collectif). Ceci vise notamment la complexité des documents d'urbanisme (surtout pour les petites communes), la "réticence à la densification entretenue par une réglementation imparfaite", l'existence de freins juridiques (comme le caractère contractuel des cahier des charges des lotissements), ou encore une fiscalité "peu incitative" à l'égard de l'habitat individuel (comme la récente réduction à 20% de la quotité du PTZ pour les zones B2 et C ou la restriction du nouveau Pinel au seul logement collectif).

En matière de sobriété foncière "l'habitat individuel souffre malheureusement d'une image péjorative, peu vertueuse, en raison notamment de sa supposée faible densité". Pourtant, comme l'a rappelé Joseph Pascual, président du conseil supérieur de l'Ordre des géomètres-experts, "depuis dix ans, la superficie des terrains à bâtir a diminué de 30%". Sur ce point, les auteurs partagent, pour partie, la vision d'Emmanuelle Wargon sur "la fin du rêve pavillonnaire", dans le sens où les ménages qui font construire un logement individuel "ne veulent plus d'un terrain de 3.000 m2" comme c'était encore le cas il y a quelques décennies. Aujourd'hui, la taille moyenne d'un terrain à bâtir est de 935 m2. Une évolution qui n'est évidemment pas sans lien avec l'envolée du prix des terrains.

Enfin, le constat souligne que les outils existants doivent être renforcés "pour concilier enjeux climatiques et besoins en logements". Il insiste également sur la nécessité d'allier rénovation de l'existant et construction neuve. S'y ajoute le fait que le logement individuel organisé constitue "un angle mort de la politique du logement". Du coup, "l'habitat individuel organisé est assimilé abusivement à l'individuel diffus, alors qu'il s'agit en réalité d'une forme d'habitat dense".

Documents d'urbanisme : une qualité à revoir

Le groupe de travail était particulièrement attendu sur le volet des propositions. Sur ce point, le rapport en liste pas moins de 25, regroupées en cinq grands thèmes. Le premier d'entre eux concerne la qualité des documents d'urbanisme. Ce relèvement de la qualité passe nécessairement par un renforcement de l'ingénierie locale, dans une approche pluridisciplinaire, et par l'instauration d'une aide financière à l'élaboration des documents d'urbanisme. Un autre moyen d'améliorer la qualité de ces documents consisterait à associer les organisations professionnelles représentatives à leur élaboration et à leur révision. Autre proposition : intégrer au rapport local sur l'artificialisation des sols – prévu par la loi Climat et Résilience et qui doit être produit au moins une fois tous les trois ans – un volet analysant la correspondance entre les objectifs (quantitatifs et qualitatifs) en matière de construction de logements et les moyens mis à disposition pour les atteindre.

De façon plus contraignante, il s'agirait aussi d'interdire la possibilité de définir des règles au sein des PLU conduisant à un amoindrissement des densités constatées dans le rapport de présentation. La rapport propose même d'ajouter à l'article L.151-26 du Code de l'urbanisme l'alinéa suivant : "Le règlement peut imposer, dans des zones qu'il délimite au sein des secteurs situés à proximité des transports collectifs, existants ou programmés, une densité minimale de constructions".

Renforcer l'approche opérationnelle et professionnelle de la densification

Le second groupe de propositions consiste à renforcer l'approche opérationnelle et professionnelle de la densification. Il préconise notamment de procéder à un benchmark international sur l'état de l'art en matière de densification douce, mais aussi d'encourager le recours aux OAP (orientations d'aménagement et de programmation) de secteur d'aménagement, sans toutefois en dénaturer leur objet (autrement dit en s'en tenant au stade d'orientations, sans "définir de règles strictes ou précises qui rendraient la traduction opérationnelle difficile, voire impossible à droit constant"). Une autre piste consisterait à permettre la conclusion de démarches partenariales entre aménageurs et constructeurs, afin de favoriser le développement d'opérations d'habitat dense. Actuellement en effet, le constructeur ne peut procurer directement ou indirectement le terrain à l'acquéreur, lui-même client de l'aménageur, sous peine de requalification du CCMI (contrat de construction de maisons individuelles) en vente en l'état futur d'achèvement (Vefa).

L'outil fiscal, comme dans le rapport Rebsamen

Le troisième axe des propositions – qui rejoint assez largement les conclusions du rapport Rebsamen et celles d'autres rapports ou propositions de loi sur le sujet – recommande d'agir sur la fiscalité pour lutter contre la pénurie foncière et encourager la densification. Parmi les mesures préconisées à ce titre figurent le retour de l'éligibilité de la maison individuelle groupée au dispositif Pinel et le rétablissement de la quotité de PTZ à 40%. Des mesures qui ne correspondent pas vraiment aux orientations actuelles du gouvernement. Dans le même esprit, il conviendrait d'apporter plusieurs adaptations à la taxe d'aménagement, afin d'encourager la réhabilitation du parc de logements individuels existants et la densification douce des secteurs déjà bâtis. Il conviendrait aussi d'encourager financièrement les collectivités volontaires qui mènent des actions de mobilisation du foncier résiduel situé dans les secteurs d'habitat individuel et qui répondent aux critères de sobriété foncière et de mixité. Ceci pourrait passer par la création d'un fonds dédié pour financer l'ingénierie nécessaire à la densification (à l'image du récent fonds friches).

Dans la droite ligne des propositions de la commission Rebsamen, il est également proposé d'élaborer "le cadre d'une réforme fiscale structurelle" permettant de lutter contre la rétention foncière et de limiter l'inflation foncière. Côté positif, il est recommandé d'exonérer de l'impôt sur les plus-values les terrains constructibles détachés d'une résidence principale.

La question de la TVA est bien sûr centrale, avec la proposition d'appliquer une TVA au taux intermédiaire de 10% pour les opérations de requalification urbaine entraînant une densification de l'existant, pour le recyclage des friches et pour les opérations de démolition-reconstruction et de dépollution. Dans le même esprit, il conviendrait de rétablir l'application du régime de la TVA sur marge aux acquisitions de terrains bâtis revendus comme terrains à bâtir (ce que rejette la doctrine administrative, confirmée par une décision de la Cour de justice de l'Union européenne en date du 30 septembre 2021). Enfin, il s'agirait de remplacer la logique des zonages fiscaux par un système général d'aides en faveur de l'accession et de l'investissement locatif, adapté aux spécificités des territoires (notion qui resterait toutefois à préciser).

Comment créer les conditions d'une densification douce ?

Le quatrième groupe de propositions consisterait à créer les conditions d'une densification douce du tissu existant. Cela pourrait passer par la levée de différents freins réglementaires détaillés par le rapport, mais aussi par le lancement d'une réflexion, sous l'égide du ministère de la Justice, sur le statut des cahiers des charges des lotissements (documents contractuels), tout en encourageant leur modification par des incitations fiscales. Autre piste : encourager les collectivités à organiser des opérations d'ensemble en vue de la densification douce du tissu existant, avec un chef de file accompagné d'une équipe pluridisciplinaire. Il serait également utile, pour répondre au défi du ZAN (zéro artificialisation nette), de promouvoir le développement des formes intermédiaires plus denses (comme l'habitat individuel groupé ou "organisé") et de donner une définition à ces notions. Enfin – et même si cela paraît un peu tardif – le groupe de travail propose d'intégrer l'habitat individuel dense dans le champ d'application de l'aide à la relance de la construction durable (ARCD) et des tout récents contrats de relance du logement.

Vers des "contrats de régénération des territoires" ?

Dernier axe des propositions : améliorer la qualité de l'existant et des futurs projets. Ceci pourrait passer par la mise en place de "contrats de régénération des territoires", qui permettraient de passer d'une approche privée "à la parcelle" à un raisonnement collectif à l'échelle de l'ilot, voire du quartier. Une autre possibilité passerait par une extension de l'objet des associations syndicales libres (ASL), qui ont aujourd'hui pour seul objet d'assurer et d'entretenir la gestion et l'entretien des voies, équipements et espaces communs des opérations. Dans le même esprit, il conviendrait d'encourager le recours aux Afua (associations foncières urbaines autorisées) et aux Afup (associations foncières urbaines de projet) au sein des tissus constitués, afin de développer des projets intégrant une mixité fonctionnelle. Enfin, la dernière proposition – peu développée dans le rapport – recommande de favoriser la mutualisation des études de faisabilité en matière de rénovation énergétique, afin d'en diminuer les coûts.

Au final, le rapport répond bien à son objectif de proposer "une vision renouvelée de l'habitat individuel". Il regroupe en effet un ensemble dense et cohérent de propositions, qui peuvent constituer une utile "boîte à outils" pour le prochain gouvernement. Avec toutefois deux regrets. Tout d'abord, le rapport ne cherche pas à définir la notion et les seuils de densification. Or celle-ci ne peut pas être auto-proclamée par les élus et les acteurs locaux. C'est ce qui explique notamment le caractère abrupt, mais difficilement contournable, de règles comme les dispositifs de zonage. Nombre de propositions du rapport, notamment en matière d'incitation fiscale, reposent sur l'enclenchement d'une densification. Or des dispositifs et des financements nationaux pourront difficilement être enclenchés sans un cadre normatif.

Ensuite – mais ce n'était sans doute pas son objet –, le rapport laisse aussi de côté la question de l'évolution des zones d'habitat individuel, notamment dans les territoires périurbains, marqués par une mono-fonctionnalité, qui engendre isolement et nombreux déplacements par véhicules individuels. Cette question des aménités et des services publics mériterait toutefois, à elle seule, un autre rapport.

 

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