Archives

Logement neuf - Les "chartes promoteurs" se développent en Ile-de-France

Très critiquées il y a deux ans, les "chartes promoteurs" se développent progressivement en Ile-de-France. Imposés par les maires aux promoteurs immobiliers, ces dispositifs visent initialement à lutter contre l'explosion des prix des logements neufs et à maîtriser le peuplement de leurs villes. Il y en aurait aujourd'hui une cinquantaine, selon le cabinet Inovefa. Mais toutes ne sont pas aussi contraignantes.

"Les chartes promoteurs renvoient à la place des opérateurs privés dans la construction de la ville", selon la politologue Julie Pollard, invitée le 12 juin par l'IAU-IDF, l'agence d'aménagement et d'urbanisme de la région Ile-de-France, pour un de ses petit-déjeuner "décideurs-chercheurs". Ce jour-là, la "production négociée de logements" était au menu. Il s'agissait d'analyser "les avantages et inconvénients d'une formalisation des relations entre promoteurs et collectivités, notamment via les chartes promoteurs".
En deux ans, les positions semblent avoir bien évolué.

"Chantage" et "entrave à la construction" en 2016...

En 2016, l’État et les promoteurs immobiliers étaient vent debout contre les maires franciliens qui imposaient aux promoteurs des contraintes dans leurs programmes immobiliers de logements par le biais des premières "chartes promoteurs". Il leur était alors intolérable de se voir imposer des prix de vente réduits, même en échange d’une ristourne sur le foncier. Ils n'appréciaient pas davantage les clauses anti-spéculatives à la revente, ni les exigences en matière de commercialisation de logements.
Le préfet d’Ile-de-France de l’époque, Jean-François Carenco, estimait qu'il s'agissait d'"entraves à la construction" (voir notre article du 10 juin 2016). Alexandra François-Cuxac, alors toute nouvelle présidente de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), avait demandé à ses adhérents de ne pas signer de tels engagements (voir notre article du 17 mai 2016). Elle avait alerté sur le caractère illégal de certaines dispositions d'une part, et sur leur impact sur le prix final des logements, d'autre part. La FPI estimait alors que les chartes majoreraient les coûts de construction "d'au moins 20%". Christian Terrassoux, alors président de la FPI Ile-de-France, avait quant à lui dénoncé un "chantage" dans une tribune du Monde.

... "des règles claires à tout le monde" en 2018

Depuis, les tensions médiatiques sont retombées. Les services de l’État ont constaté que les chartes n’étaient pas significativement vecteur de blocage du secteur de la construction. Côté promoteur, le discours est également plus policé. En plus du coût du foncier moindre, "ces chartes nous permettent de fluidifier nos ventes, même si les prix sont plafonnés", a témoigné le 12 juin Frédéric Cartier, directeur immobilier chez Eiffage Immobilier Ile-de-France, lors du petit-déjeuner de l’IAU-IDF.
Pour lui, les chartes ont aussi l'avantage "d’imposer des règles claires à tout le monde" et d’avoir ainsi une visibilité sur toute la durée de l’opération immobilière. Il apprécie aussi que, "lorsque les populations résidentes sont consultées", les risques de recours sont réduits.
En outre, il reconnaît que les demandes des maires peuvent avoir des effets vertueux sur la qualité de la production. "Certaines exigences nous incitent à nous améliorer sur la qualité des matériaux, la durabilité et la performance énergétique de nos logements", souligne-t-il. D'ailleurs, "force est de constater qu’à chaque fois qu’un élu impose une charte, les promoteurs postulent pour aller la signer", commente-t-il.

Une diversité de "chartes"

De fait, le cabinet conseil Inovefa recensait, en février dernier, une cinquantaine de communes* ayant signé une "charte promoteurs" ou une "charte anti spéculative" ou tout du moins un accord visant à maîtriser les prix de vente des logements neufs.
Une évolution due au fait que "lorsque l’on donne un outil efficace aux communes qui n’est contesté ni par le préfet ni par les promoteurs, elles l’utilisent", selon Emmanuel Trouillard, chargé d’études logement à l’IAU. C'est aussi sans doute parce que ces accords n'ont pas tous le même niveau d'exigence. "Il n’y a pas deux chartes ou deux dispositifs qui se ressemblent", indique le cabinet Inovefa, "chaque commune ou communauté de commune édicte ses propres règles".
Il est ainsi question d'exigence sur les prix des logements neufs, mais aussi de part de logements sociaux imposée, d'obligation de vendre à des habitants déjà résidents de la commune, d'une part maximum de T1, d'exigence environnementale supérieure à la réglementation en vigueur, d'appartements traversants... (voir encadré)
"A quelques rares exceptions, ces dispositifs sont concentrés dans la périphérie proche de Paris, principalement à l’Est et au Nord, dans des communes avec des habitants aux revenus modestes et une forte appétence pour l’accession à la propriété", souligne le cabinet Inovefa.

Un outil de négociation comme un autre ?

Naturellement, les relations entre promoteurs et élus locaux ne sont pas devenues idylliques. "On présente la charte promoteur comme un outil de négociation" mais "on sait bien qui a le pouvoir lorsque l’on négocie un permis de construire, et ce sont clairement les maires…", relève Frédéric Cartier. Il déplore aussi que les élus soient globalement moins ambitieux que prévu en matière de construction à l’approche des élections municipales. Et puis, "les attentes des élus concernent aussi le financement des équipements publics", ce qui "peut interférer dans la programmation d'une opération immobilière", conteste-t-il.
"La négociation entre les acteurs publics et les acteurs privés (...) n’est absolument pas quelque chose de nouveau", rappelle Julie Pollard, "ce type de procédure autour de l’attribution des permis de construire est courant depuis des années", ajoute-t-elle.

"Les élus sont généralement demandeurs de l'expertise urbaine des promoteurs"

"Nous sommes en fait dans un cadre où chaque partie prenante va avoir besoin de l’autre", analyse-t-elle. Le maire ayant la ressource foncière et l’outil de la commande publique, et le promoteur ayant l’expertise et la capacité de mise en œuvre. Car "les élus sont généralement demandeurs de l'expertise urbaine des promoteurs", observe la politologue. En outre, "les collectivités locales doivent composer avec des moyens financiers limités et se reposent donc davantage sur les acteurs privés" Les "chartes promoteurs" sont donc dans ce cadre simplement "venues formaliser les demandes des maires", estime-t-elle.
Reste tout de même quelques flous autour de ces chartes : d’abord, avec l’essor programmé des PLU intercommunaux, "ce modèle pourrait être remis en cause", anticipe Emmanuel Trouillard. Et puis, certaines dispositions des chartes promoteurs, comme les "clauses anti-spéculatives", font encore débat. Sont-elles juridiquement valables ? Les intervenants présents à l'invitation de l'IAU-IDF, ce 12 juin, n’en étaient pas persuadés.

*Paris, Saint-Denis, Montreuil, Nanterre, Vitry-sur-Seine, Aulnay-sous-Bois, Aubervilliers, Champigny-sur-Marne, Noisy-le-Grand, Ivry-sur-Seine, Epinay-sur-Seine, Pantin, Fontenay-sous-Bois, Bondy, Sartrouville, Bobigny, Corbeil-Essonnes, Saint-Ouen, Alfortville, Mantes-la-Jolie, Livry-Gargan, Choisy-le-Roi, Gennevilliers, La Courneuve, Bagneux, Stains, Le Perreux-sur-Marne, Villeneuve-Saint-Georges, Malakoff, Pierrefitte-sur-Seine, Bezons, Villiers-sur-Marne, Herblay, Bussy-Saint-Georges, Rambouillet, Brétigny-sur-Orge, Le Kremlin-Bicêtre, Romainville, Champs-sur-Marne, Limeil-Brévannes, Eaubonne, Roissy-en-Brie, Lagny-sur-Marne, Gif-sur-Yvette, Neuilly-Plaisance, Achères, Arcueil, Le Plessis-Trévise, Mitry-Mory, Chevilly-Larue, Montereau-Fault-Yonne, Chennevières-sur-Marne, Les Clayes-sous-Bois, Le Pré-Saint-Gervais, Bonneuil-sur-Marne, Gentilly, Valenton, Villetaneuse.
 

LA VARIÉTÉ DES DISPOSITIFS DE CONTRAINTES AUX PROMOTEURS

Les dispositifs des chartes promoteurs, et autres dispositifs de négociation commune-promoteurs, sont de diverses nature. On y trouve :
- des plafonds sur les prix de vente des logements (en euro/m² habitables, ou utile ou avec ou sans parking…)
- un pourcentage obligatoire de prix maitrisés, en général entre 15 et 20% en dessous du marché
- des contraintes sur les typologies (un maximum de T1/T2 ou un minimum de T3)
- des contraintes sur les surfaces habitables (T1 de 30 m² minimum, séjour de 25 m² minimum…)
- des contraintes sur les qualités d’usage des immeubles (appartements traversants, mixité entre social et accession, nombre maximum d’appartements par étage…)
- des contraintes sur les matériaux devant être utilisés (aluminium pour les fenêtres, etc.)
- des exigences supérieures aux normes actuelles en matière environnementale
- une imposition de limitation de ventes aux investisseurs
- une imposition de "ventes privilèges" et à prix réduit aux habitants de la commune durant les premières semaines de vente
- des exigences supérieures à la règlementation officielle sur le nombre de logements sociaux.
Ces contraintes viennent s’additionner aux contraintes règlementaires déjà présentes dans les PLU ou PLH. Elles peuvent parfois venir en contradiction ou en supplément avec des chartes ou des orientations d’aménagement décidées à des niveaux supérieurs.
Sources : Inovefa