Mobilité dans les territoires ruraux : un rapport du Secours catholique appelle à en finir avec "la double peine" pour les habitants

Le Secours catholique a publié ce 25 avril, en partenariat avec d'autres associations, un rapport montrant les difficultés croissantes rencontrées par une partie des habitants des territoires ruraux pour accéder aux besoins essentiels, faute de solutions de mobilité. Alors que les choix d'aménagement du territoire ont favorisé l'hégémonie de la voiture, le document montre qu'avec la hausse du prix des carburants, les transports peuvent devenir source de précarité. Il avance une dizaine de propositions à mettre en œuvre au niveau national ou local pour garantir à chacun le droit de se déplacer.

En partenariat avec huit autres associations*, le Secours catholique a publié ce 25 avril un rapport sur la mobilité en milieu rural alertant sur les difficultés des personnes précaires à se déplacer, alors que la voiture reste un mode de transport incontournable mais de plus en plus onéreux. Le document fait d'abord le constat que les distances à parcourir pour des motifs "contraints" (travail, études, loisirs, achats alimentaires, santé…) n'ont cessé de s'allonger. "En 2019, chaque habitant des territoires ruraux a parcouru au quotidien 33% de distances de plus que la moyenne des Français et les déplacements des ruraux (soit le tiers de la population française) ont représenté 48 % des émissions de gaz à effet de serre pour les déplacements du quotidien", indique-t-il. Dans ces territoires où les transports en commun sont quasi inexistants et où les services sont de moins en moins accessibles, ne pas avoir de voiture est un véritable facteur d’exclusion, poursuit-il. 10% des ménages ruraux précaires sont dans ce cas, précise-t-il.

"Précarité mobilité" : plus de 13 millions de personnes concernées

Mais parmi les plus modestes, ceux qui possèdent un véhicule "se retrouvent eux aussi piégés par l’augmentation du prix des carburants, car ils n’ont d’autre choix que de se déplacer et leur budget transport devient intenable", souligne le rapport. En 2017, avant même la récente hausse du prix du carburant (+46 % entre 2017 et 2023), les 10% de ménages français les plus modestes consacraient 21% de leur revenu disponible aux transports, contre 11% pour les 10% les plus aisés, relève le document. 

Premier poste de dépenses des ménages ruraux, la mobilité représentait 21% de leur budget en 2017. "Le coût est tel pour certains ménages, contraints à des privations, que l’on peut parler d’une véritable 'précarité mobilité'", estiment les auteurs du rapport. Cette forme de précarité, qui aurait concerné 13,3 millions de personnes en France en 2021 (28% de la population adulte) "peut se traduire, dans les cas les plus graves, par une forme d’assignation à résidence pour les personnes contraintes de renoncer à des déplacements pour des aspects essentiels de leur vie", poursuivent-ils. Avec une population qui se paupérise et vieillit - en 2018, en moyenne, près d’un habitant sur trois avait plus de 60 ans dans les communes rurales à habitat dispersé - ceux qui n’ont pas de véhicule sont les plus durement affectés (jeunes, personnes âgées, personnes porteuses de handicap, personnes sans emploi ou avec peu de ressources).

Dépendance à la voiture

Les choix d'aménagement du territoire faits après la Seconde Guerre mondiale ont favorisé l'hégémonie de la voiture, rappellent encore les auteurs du rapport. Le transport ferroviaire est ainsi passé de presque 60% du transport de voyageurs en 1950 à seulement 9,2% en 2016 tandis que le vélo et la mobylette, qui étaient encore massivement utilisés par les ouvriers et les travailleurs jusqu’aux années 1960 ont été éclipsés par la voiture individuelle - en 2017, 94% des ménages habitant les zones rurales possédaient une voiture. "L’investissement dans les infrastructures routières, conjugué au rêve pavillonnaire de nombreux ménages, a soutenu l’étalement urbain, provoquant une forte hausse des distances parcourues au quotidien et une dépendance croissante à la voiture (…), constate le rapport. Ce modèle d’aménagement a mené à la concentration des emplois, activités et services dans les grandes agglomérations et au développement de zones commerciales périphériques au détriment des services publics et petits commerces de proximité." En 2021, selon l’Insee, plus de 21.000 communes ne disposaient plus d’aucun commerce, soit 62 % d’entre elles, contre 25% en 1980.

Les failles de la LOM

La loi d'orientation des mobilités (LOM) de décembre 2019 a bien tenté de remédier aux "zones blanches de la mobilité" en instaurant le principe d'une couverture totale du territoire par des autorités organisatrices de la mobilité (AOM).  53% des communautés de communes ont ainsi fait le choix de devenir AOM locale, tandis qu'ailleurs la région l’est devenue par substitution. "Cependant, chaque niveau de collectivités a une ou plusieurs compétences affectant l’organisation des mobilités et l’aménagement du territoire, et la prise de compétence mobilité engage très peu la collectivité dans la mise en œuvre concrète de solutions, note le rapport. Le dialogue inter-territorial est dès lors indispensable pour proposer des politiques publiques cohérentes et coordonner la mise en œuvre et la communication autour des solutions de mobilité. Et il doit partir d’un diagnostic partagé du territoire et des besoins des habitants, sans quoi on assiste, comme trop souvent aujourd’hui, à une multiplication de solutions isolées, mal articulées et méconnues."

Manque d'expertise et de ressources pérennes

Autre limite relevée par les auteurs du document, "les élus et les techniciens des AOM locales manquent de savoir-faire et d’expertise sur les enjeux d’une mobilité durable et accessible à tous". "L’imaginaire de la voiture est encore très prégnant chez bien des élus ruraux qui ont vécu l’époque où la route était synonyme de désenclavement et de modernisation des territoires", estiment-ils, tandis qu'à l’échelle nationale, "l’État n’affiche pas un engagement suffisamment déterminé sur le sujet". Les engagements environnementaux mis en avant dans les discours "se heurtent au refus, dans la pratique, de remettre en question l’usage hégémonique de la voiture. 

Or, sans impulsion forte de l’État, les collectivités n’auront pas les moyens suffisants pour s’engager dans un changement de paradigme sur la mobilité, et les plus réticentes n’y seront guère incitées", jugent les auteurs du rapport qui pointent aussi l'absence de ressources pérennes. Le financement des AOM locales repose en grande partie sur le versement mobilité, un impôt assis sur la masse salariale des employeurs publics et privés d’au moins 11 salariés). Or, "nombre de territoires ruraux n’en bénéficient pas, car ils n’ont pas d’entreprises de cette taille", observent-ils. De plus, la LOM a conditionné la faculté de percevoir ce versement à l’organisation par l’AOM d’un service régulier de transport public de personnes, ce qui exclut de facto "nombre de communes rurales où l’organisation d’un tel service est extrêmement rare car trop coûteux justement, au vu du faible nombre d’usagers", constate le rapport qui estime que "le manque de pérennité des financements est préjudiciable à la mise en place de solutions durables." 

On a ainsi vu se multiplier des expérimentations pour la mobilité en milieu rural financées sur 2-3 ans par appels à manifestation d’intérêt ou par appels à projets, qui se sont achevées faute de capitalisation et de pérennisation des financements, observe-t-il. Quant aux solutions de mobilité durables connues (vélo, transports à la demande, covoiturage…, articulées pour certaines avec le train ou le car), elles sont "sous-développées" et "resteront anecdotiques sans pérenne ni réelle coopération", préviennent les auteurs du rapport.

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4 leviers, 11 propositions 

Ce constat posé, le Secours catholique et ses partenaires mettent en avant quatre leviers déclinés en 11 propositions "pour une mobilité inclusive et durable en milieu rural". Pour actionner le premier levier – "une planification territoriale juste et équilibrée avec une offre minimale de transports et de services essentiels", les associations proposent de rendre obligatoires les plans de mobilité simplifiés (PdMS) dans les territoires ruraux "pour renforcer la planification de proximité et valoriser la participation citoyenne dans leur élaboration", d'"assurer un socle minimum de services de proximité dans chaque bassin de vie", de "définir un niveau minimum de services de mobilité dans chaque bassin de mobilité" et de rouvrir la possibilité pour les communautés de communes de devenir AOM, alors que la LOM leur avait donné jusqu'au 31 mars 2021 pour délibérer en ce sens. 

Pour "développer une offre de mobilité adaptée aux territoires ruraux" (deuxième levier), elles préconisent de "développer des infrastructures et solutions de mobilité structurante et intermodale au service des territoires ruraux", d'"offrir un panel de solutions permettant un maillage plus fin des territoires et habitants les plus éloignés des réseaux structurants (problématique du dernier kilomètre)" et de "garantir l’accessibilité de ces services via un système unique de billetterie utilisable sur l’ensemble de l’offre de transports à l’échelle des régions, avec une tarification unifiée et solidaire", ce qui rejoint le projet de titre unique de transport réactivé récemment par l'État, le Gart et Régions de France (voir notre article du 25 avril 2024). 

Le troisième levier vise à "accompagner le changement de culture vers une mobilité plus inclusive et plus durable" en aidant les personnes à mieux connaître les solutions de mobilité disponibles et à pouvoir les utiliser, en renforçant les capacités des acteurs territoriaux à diversifier l’offre de services de mobilité et en développant "la culture d’une autre mobilité sur les territoires à travers une communication grand public et une optimisation du mobilier urbain". Enfin, le quatrième et dernier levier vise à "mettre en place un système de financement pérenne adapté aux besoins des territoires ruraux". Les associations proposent pour cela de "sortir d’une logique d’appels à projet au profit d’un soutien financier régulier via un programme de financement décennal".

*Fédération des usagers de la bicyclette (FUB), Chrétiens dans le monde rural (CMR), Croix Rouge française, Emmaüs France, Réseau Action Climat (RAC), France Nature Environnement (FNE), Fondation pour la nature et l'homme (FNH), Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC) 

 

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