Archives

Grand débat - 80 km/h sur les routes secondaires : Emmanuel Macron amorce un recul

Emmanuel Macron a lancé mardi 15 janvier le grand débat national par un échange-marathon de près de sept heures avec 653 maires normands (voir notre article du 15). Après avoir promis en arrivant qu'il n'allait "pas parler longtemps, car l'objectif, c'est surtout de vous entendre", le chef de l'Etat a parlé pendant près de 3h30, répondant en détail à des questions pointues, et finissant par échanger des rires avec son auditoire d'abord méfiant.  Les maires l'ont longuement applaudi debout à la fin de l'échange, vers 22h10, quand il a prôné "une République de la délibération permanente". "Il est fort", commentaient nombre d'élus à la sortie.  Pour les convaincre, le président de la République a mêlé logique, chiffres et formules choc.
Du côté des ouvertures, il a admis qu'il pourrait revenir sur la réforme de la délivrance de la carte d'identité ou de la carte grise, s'est dit prêt à réviser la loi Notr… et qu'il pouvait y avoir des aménagements au décret limitant la vitesse à 80 km/h.

En se disant prêt à des exceptions locales à l'impopulaire limitation à 80 km/h de la vitesse sur les routes secondaires, Emmanuel Macron a donné le 15 janvier un gage d'ouverture de l'exécutif pour le grand débat lancé en réponse au mouvement des "gilets jaunes", quitte à désavouer son Premier ministre.
Dès l'annonce de la mesure entrée en vigueur le 1er juillet 2018, le gouvernement s'était dit prêt à l'abandonner au bout de deux ans, si elle s'avérait sans effet notable sur la mortalité sur les routes. Mais Édouard Philippe, qui en était l'initiateur malgré l'opposition de plusieurs ministres et le peu de soutien du président de la République, avait toujours écarté depuis un an les appels, notamment de présidents de conseils départementaux mais aussi de députés En Marche, à des "aménagements locaux" risquant de vider la mesure de sa substance.
"J'avais prévenu le Premier ministre, 'nous sommes là pour vous aider, pas pour vous enfoncer'. Il ne m'a pas cru. Aujourd'hui c'est lui qui se retrouve vraiment affaibli par le président", juge le sénateur LR de Haute-Saône Michel Raison. Le parlementaire est le co-auteur d'un rapport présenté en avril dernier qui proposait de réserver le 80 km/h aux routes qui concentrent le plus d'accidents et de décentraliser la décision au niveau des départements pour l'adapter aux réalités des territoires. "Il faut faire confiance aux territoires, aux élus locaux, aux préfets pour faire du cas par cas", plaide lui aussi le député LREM de Gironde Benoît Simian. Selon lui, "infléchir des décisions contestées par le plus grand nombre, c'est tout simplement mettre de l'huile dans les rouages de notre démocratie".
Mardi soir, lors du lancement dans l'Eure du grand débat national destiné à répondre à la crise des "gilets jaunes", Emmanuel Macron s'est dit pour la première fois ouvert à ces aménagements locaux. "Il faut ensemble que l'on trouve une manière plus intelligente de le mettre en oeuvre. Il n'y a pas de dogme", a déclaré le chef de l'État.
Le Premier ministre est "parfaitement aligné" avec le chef de l'État, a assuré ce mercredi le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, refusant de préciser les intentions de l'exécutif.
Source d'une vague de mécontentement, notamment en zone rurale, la mesure est accusée d'incarner la déconnexion des villes avec les campagnes. Pour nombre d'analystes, cette fronde palpable préfigurait le mouvement des "gilets jaunes", né de l'opposition à la hausse des taxes sur le carburant.
Le changement de pied intervient alors que l'exécutif doit convaincre que le grand débat de deux mois est "sans tabou". Et qu'il se traduira par des mesures concrètes et l'écoute d'un "terrain" qui crie à la déconnexion des élites. Parmi les opposants aux 80 km/h, la très active association 40 millions d'automobilistes a salué le "pragmatisme" du chef de l'État, voyant dans ses propos une "porte de sortie honorable".
"Il n'y a aucun débat interdit, on peut parler de tout, y compris des 80 km/h", a pour sa part réagi Matignon, évoquant les résultats de la mortalité routière pour 2018, attendus d'ici la fin janvier, pour "nourrir le débat". Car ce bilan s'annonce positif : avec 3.176 morts sur les onze premiers mois de l'année, la France comptait en novembre 193 tués de moins qu'en novembre 2017, ce qui devrait permettre d'atteindre un niveau proche du plus-bas historique de 2013 (3.427 tués). Un argument pour les défenseurs de la mesure. Un 80 km/h confié aux départements, "c'est comme si on avait individualisé l'obligation du port de la ceinture, comme si on avait obligé les gens à mettre la ceinture au nord et pas au sud", s'émeut Chantal Perrichon, présidente de la Ligue contre la violence routière qui estime que la sécurité routière est "une affaire d'experts".

Parmi les nombreux autres points abordés par le chef de l'Etat

Fiscalité. "Depuis 8 ans, il y a eu une baisse des dotations liée à la compression des dépenses publiques. Entre 2013 et 2017, on a eu environ 11 milliards de baisses de dotations, et environ 18 milliards de hausse de fiscalité locale. Or ces 18 milliards, ils sont rarement allés dans le monde rural, ils sont allés là où il y avait de la matière fiscale, en taux ou en base - ce qui a accru les inégalités territoriales, parce que ceux qui avaient la possibilité de lever plus ont levé plus".

Dotations. "Les yeux dans les yeux, je peux vous le dire, la DGF, dans la première loi de finances, elle n'a pas baissé". Lorsqu'il y a eu baisse, il y a eu deux raisons à cela, la "baisse de la population" et, par "effets de bord", le fait d'avoir "rejoint une intercommunalité".

Loi Notr. "Les grandes régions qui ont éloigné, l'interco forcée", ont contribué au "sentiment qu'on s'éloigne". Il faut "remettre de la responsabilité au plus près du terrain". "Je suis prêt à rouvrir la loi Notr" (voir aussi notre article du 15 janvier).

Décentralisation et déconcentration. L'idée d'une "décentralisation additionnelle" viendrait "se heurter à une vraie passion française, qui est celle de l'égalité". "Si on décentralise tout et l'Etat ne fait que du régalien, on ne pourra pas faire du rééquilibrage territorial, social… et seul l'Etat peut faire ça". Mais "tout à fait d'accord pour aller plus loin", de façon "très pragmatique", avec "une phase de déconcentration beaucoup plus forte" – et "là-dessus en effet, on n'a pas changé les choses depuis 18 mois". La déconcentration permettra de "remettre des fonctionnaires de qualité" dans les lieux de décision déconcentrée, pas que dans les chefs lieux de région.
"On a perdu, on a fermé, ce que j'appelle les fonctionnaires de guichet – ceux qui voient les gens. (…) Donc on a peut-être trop de fonctionnaires de circulaires et pas assez de fonctionnaires de guichet. Donc dans ce qu'on doit faire : réussir à rouvrir du service public au plus près du terrain et réduire le nombre de fonctionnaires au niveau central."

Mobilité. Il y a "les investissements, les infrastructures", et il y a "la possibilité de faire". "La loi mobilité va apporter des solutions, en ouvrant certains secteurs, en permettant aux communes ou intercos de s'organiser plus librement… C'est une loi de solutions et pas de contraintes". "Les nouvelles mobilités, elles concernent aussi le rural".

Action Cœur de ville. Le président a annoncé le lancement d’une "nouvelle génération" de villes éligibles, en plus des 222 pour l’heure concernées. Et a indiqué travailler sur "quelque chose pour les communes de taille plus réduite" nécessitant elles aussi un programme de revitalisation.