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Adaptation au changement climatique : comment les territoires se saisissent des enjeux sur la ressource en eau

Accélération des phénomènes extrêmes - sécheresse, pluies diluviennes -, conflits d’usage autour de l’eau... les collectivités territoriales doivent passer à l’action et s’adapter au changement climatique. Jeudi 24 mars, le Comité 21 organisait un webinaire spécifiquement dédié aux enjeux sur la ressource en eau. Des solutions territoriales et sectorielles existent pour lutter contre le gaspillage, protéger la fonctionnalité des milieux et rendre les réseaux plus résilients.  

L’avant-dernière séquence du cycle de séminaires sur les "Enjeux de l’adaptation au changement climatique dans les territoires" co-organisé par le Comité 21, l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts, Terra Nova, la Fondation Jean-Jaurès, la Fondation pour l’innovation politique et la Fabrique écologique, s’est tenue ce 24 mars sur la thématique des "enjeux de la ressource en eau et conflits d’usage".

Alors que vient de se tenir le neuvième Forum mondial de l’eau à Dakar sur un thème évocateur, "La sécurité de l’eau pour la paix et le développement durable", Emma Haziza, hydrologue et fondatrice de Mayane, un centre de recherche sur la résilience des territoires, a d’emblée rappelé que changement climatique et dérèglement du cycle de l’eau relevaient d’un même combat et des mêmes solutions. Les clés sont désormais connues : "combiner adaptation et atténuation, privilégier des solutions dites 'sans regret', autant que possible multifonctionnelles et fondées sur la nature, éviter la 'maladaptation' avec des mesures qui auraient pour effet de déplacer le problème, agir plus vite et plus fort, car l’adaptation au changement climatique c’est une question d’urgence et de degré d’effort", appuie Morgane Priol, directrice de la délégation Maine-Loire-Océan de l’agence de l'eau Loire-Bretagne. 

Des plans d’adaptation portés par les agences de l’eau

Les territoires s’y attellent, soutenus par les agences de l’eau, à travers l’élaboration de plans d’adaptation et d’atténuation au changement climatique, qui sans être des documents réglementaires, permettent d’impulser une dynamique d’actions locales et d’expliciter les enjeux, en complément de la planification aux différentes échelles du bassin (Sdage, programme d’intervention etc.).

Le comité de bassin Loire-Bretagne a construit son plan d’adaptation - adopté en 2018 - dans une démarche concertée, à partir d’une photographie des sensibilités et des vulnérabilités des territoires (disponibilité de l’eau en étiage, bilan hydrique des sols, biodiversité et capacité d’autoépuration des milieux aquatiques), croisée aux scénarios possibles d’évolution du climat et de l’hydrologie dans le cadre de la démarche nationale de référence "Explore 2070".  "On observe un effet ciseau, c’est-à-dire qu’à une disponibilité moindre peut correspondre paradoxalement une demande qui augmente du fait du changement climatique et des besoins des cultures, et donc des prélèvements à l’étiage que l’on va devoir limiter si l’on veut préserver les milieux à l’avenir", souligne Morgane Priol. L’intérêt de ce plan est aussi de fournir des exemples pour montrer que "chacun peut agir". L'approvisionnement en équipements de prélocalisation fixe pour la recherche de fuites sur le réseau d’eau potable de Nantes Métropole en est une illustration. Avec le programme Jourdain, le syndicat Vendée Eau teste également une solution inédite de réutilisation des eaux usées pour de la production d’eau potable. 

Des projets de territoire pour faire émerger un consensus 

Réunir les acteurs du territoire pour construire un projet d’équilibre entre besoins et ressources disponibles tout en respectant la bonne fonctionnalité des écosystèmes, tel est aussi l’objet des projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) - anciennement appelés PGRE (plan de gestion de la ressource en eau).

À la demande du préfet, sous le pilotage de l’État, le Smmar (syndicat mixte des milieux aquatiques et des rivières) anime la démarche de construction concertée et de mise en oeuvre du PGRE à l’échelle du bassin versant de l’Aude avec l’objectif de rééquilibrer le déficit hydrique caractérisé à hauteur de 37 millions de mètres cubes sur la période d’étiage au vu des enjeux prépondérants de l’agriculture, de la navigation (canal du Midi) et de l’alimentation en eau potable. L’une des actions vise à mettre en place un système de compensation complémentaire aux économies d’eau mobilisant des barrages réservoirs existants via les cours d’eau dits "réalimentables". "C’est un  peu la révolution sur le bassin" témoigne Philippe Cluzel, chargé de mission, qui reconnaît encore des difficultés d’acceptabilité du système payant - au prorata des volumes nets prélevés à l’étiage - qui vient compléter le dispositif de compensation gratuit mis en place en 1957 depuis les ressources d’EDF. Le dispositif tarde à se mettre en place, ce qui "incite certains préleveurs à conventionner hors d’un système mutualisé solidaire", regrette-t-il. 

Retenues d’eau : une solution clivante 

Les retenues d’eau, comme solution au changement climatique, notamment celles construites par les agriculteurs, sont au centre de conflits d’usage de la ressource localement, par exemple dans le marais poitevin. Qualifiées de "bassines" par leurs opposants, elles sont alimentées l’hiver par les cours d'eau et les nappes phréatiques de façon à "désaisonnaliser" les prélèvements.

Dans les Deux-Sévres, les paysans s’affrontent ainsi sur des visions de l’agriculture radicalement opposées, "entre pratique agricole intensive et  usages sociaux respectueux de l’environnement", comme le relate François Bafoil, directeur de recherche émérite CNRS-Ceri-Sciences Po, à l’origine d’une vaste étude pour la Caisse des Dépôts sur les conflits autour de l’eau. Une seule solution : se mettre autour de la table pour "arrêter collectivement" la règle du jeu sur des bases scientifiques. D’autant que la guerre en Ukraine et l’argument massue de la souveraineté alimentaire "fait craindre des conflits extrêmement aigus", alerte le sociologue. Dernière illustration de ces tensions avec le "Printemps maraîchin", qui a réuni ce 26 mars, à La Rochénard (Deux-Sèvres), plusieurs milliers de manifestants à l’appel du collectif "Bassines non merci" et du syndicat agricole de la Confédération paysanne. 

Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà… Ainsi, en Vendée, autre département et autre région, Daniel Lepercq, expert à la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne - la société d’économie mixte qui s’est vu confier la gestion des fameuses bassines en délégation - fait état d’une situation plus apaisée, combinaison d’un aménagement fait de réserves de substitution et d’une gestion fine et contrôlée des prélèvements alloués par quinzaine en fonction de la situation écologique des milieux naturels ainsi que de pénalités financières fortes pour éviter les dépassements.

"Si les économies d’eau ne suffisent pas à restaurer l’équilibre quantitatif des masses d’eau sur un territoire, c’est justifié de se tourner vers ce type de projets", relève Géraldine Rollin, responsable d’investissement Eau et Assainissement à la Caisse des Dépôts, en insistant cependant sur l’importance "de pérenniser les engagements en termes d’adaptation des pratiques agricoles des exploitants dans des contrats multi-acteurs avec des mécanismes d’incitation comme des pénalités financières ou des droits de prélèvement réduits en cas de non respect".

En clôture du Varenne agricole de l'eau, le Premier ministre, Jean Castex, avait souligné la nécessité de "regarder ce sujet avec sérénité, en sortant des postures" et annoncé deux nouvelles enveloppes dans le cadre du plan d'investissement France 2030. La Banque des Territoires pilote notamment à cet effet l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) "Démonstrateurs territoriaux des transitions agricoles et alimentaires" doté de 152 millions d’euros - pour lequel la première vague de réponses est attendue au plus tard le 1er juin - et dont une partie ira au soutien aux investissements dans les projets collectifs pour l'amélioration ou la création d'infrastructures hydrauliques portés par une collectivité chef de file. 

Les solutions fondées sur la nature comme levier d’adaptation

L’alternative c’est de retenir l’eau, non dans des barrages ou par les seuls outils conventionnels (réseaux d’assainissement), mais dans les sols en favorisant son infiltration, en limitant drastiquement son ruissellement et en permettant son évapotranspiration, au moyen par exemple de jardins de pluie, de toitures végétalisées ou de noues paysagères. C'est-à-dire avec ce que l’on appelle les solutions fondées sur la nature. Jérémie Bonneau, post-doctorant hydrologue à l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) travaille précisément sur la réponse des cours d’eau au changement climatique en milieu urbain. Il s'agit d'une science encore émergente mais les résultats des travaux expérimentaux - menés en particulier à Melbourne en Australie - sont déjà encourageants, avec une diminution des volumes de ruissellement et débit de pointes, une augmentation des débit de base (c’est-à-dire des débits de temps sec), une baisse de la température de l’eau et une amélioration de la qualité de l’eau pour certains polluants.

"C’est un message important car cela signifie qu’avec de l’aménagement, grâce à des solutions basées sur la nature, on peut en partie gommer l’impact de l’urbanisation sur les cours d’eau voire l’éviter si l’on conçoit la ville de demain en pensant à ces solutions", remarque le chercheur. Un projet à l’Inrae-Lyon financé par l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse vient d'ailleurs de confirmer les premières conclusions en climat futur. En fonction des scénarios climatiques, ces solutions rencontrent cependant des limites, pour réduire le risque inondation par exemple, et supposeront à partir des spécificités locales une combinaison avec des solutions conventionnelles. 

La huitième et dernière séquence du cycle de séminaires se tiendra le jeudi 21 avril, sur le thème "La santé des forêts en 2022 - Comment la forêt s’adaptera au réchauffement".