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Congrès des maires - Adaptation au changement climatique : les territoires entre "domestication et résilience"


Augmentation du nombre et de la durée des vagues de chaleur en été, renforcement du taux de précipitations extrêmes, hausse des épisodes de sécheresse… : les effets du changement climatique sont d'ores et déjà sensibles dans la plupart des territoires, en métropole et outre-mer, et les projections à moyen terme montrent que ces phénomènes vont s'accentuer. Lors d'un forum organisé ce 20 novembre au congrès des maires à Paris, plusieurs élus, experts  et responsables d'ONG sont venus témoigner de la manière dont les collectivités pouvaient contribuer à faciliter l'adaptation de leur territoire à ces évolutions qui paraissent aujourd'hui  inéluctables. "Les quatre dernières années ont été les plus chaudes depuis 150 ans et l'accord de Paris sur le climat ne nous fait faire qu'un cinquième du chemin par rapport à un scénario de réchauffement d'1,5°C en raison du rythme d'utilisation des énergies fossiles", a rappelé le climatologue Jean Jouzel, directeur de recherche au CEA. Si la France n'est pas le pays le plus vulnérable, tous les secteurs d'activité vont être affectés." 

Tensions sur la ressource en eau

"Sur le bassin Artois Picardie, nous avons été confrontés dès cette année à une insuffisance de la ressource en eau, a relaté André Flajolet, maire de Saint-Venant (62) et président de la commission transition écologique de l'Association des maires de France (AMF). Plus de 100 points de captage ont dû être abandonnés car le taux de nitrates était trop important. Comme le niveau des rivières est insuffisant, le rapport terre-mer est aussi en cours de modification. Nous sommes face à un dérèglement sournois qui nous oblige à des pompages plus importants pour renvoyer l'eau à la mer et à mettre en place des ouvrages pour nous prémunir des risques d'inondation." "L'adaptation, c'est le choix entre la domestication et la résilience, résume le président de ce comité de bassin. En tant qu'élus locaux, nous devons prendre en compte cette nécessité dans l'organisation de l'espace, à travers les schémas de planification mais nous avons de moins en moins de moyens pour le faire", regrette-t-il.

Evènements extrêmes : l'exemple de Saint-Martin

Pour les élus qui ont été confrontés à des événements extrêmes, l'adaptation est impérative lors des opérations de reconstruction mais bute sur de nombreux obstacles comme l'a montré Daniel Gibbs, président du conseil territorial de Saint-Martin, aux Antilles. Sa collectivité, dévastée par l'ouragan Irma qui a fait 11 morts en septembre 2017 et entraîné l'exode de près de 8.000 habitants sur un total de 35.000, peine encore à se relever. "Nous avons connu l'un des plus grands phénomènes cycloniques au monde avec des vents qui ont soufflé jusqu'à près de 400 km/h, a-t-il rappelé. Les stigmates sont encore présents, le mental de tous a été affecté. La reconstruction n'est pas aussi rapide qu'on le voudrait mais elle se fait. Les lourdeurs  administratives sont plus un frein dans l'immédiat que les problèmes financiers. Les procédures d'appels d'offres durent trois à quatre mois, c'est trop long ! On n'a pas le temps quand on a une saison touristique aussi courte que la nôtre. Il faudrait faire du gré à gré sur les opérations pour sortir du marasme." A plus long terme, la stratégie d'adaptation de la collectivité nécessite de reconstruire de manière plus résiliente, plus écologique mais "cela coûte quatre fois plus cher, surtout si l'on veut aussi intégrer la problématique anti-sismique", souligne Daniel Gibbs.

La nature vue comme une infrastructure

"L'exemple de Saint-Martin montre qu'on ne peut pas raisonner de façon uniforme et qu'il faut réfléchir à des politiques adaptées à chaque territoire", a souligné Barbara Pompili, présidente de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale.  Certaines solutions peuvent venir d'un retour de la nature en ville. "La nature conçue comme infrastructure peut être une réponse pérenne et moins chère que les réseaux que l'on met habituellement en place pour faciliter l'écoulement des eaux de ruissellement", illustre Jean-Marc Bouillon, président d'honneur de la Fédération française du paysage. "Mettre des espaces verts en creux peut être une partie de la réponse, au lieu de faire des buttes exposées de surcroît à la sécheresse et nécessitant de l'arrosage", ajoute-t-il, citant en exemple des projets en cours à Brest et à Lyon. "Les solutions fondées sur la nature apportent aussi des bénéfices économiques, poursuit  Caroline Gutleben, directrice de Plante et Cité. Une étude menée il y a dix ans par la ville de Philadelphie sur son système de parcs a montré qu'ils rapportaient 100 fois plus que ce qu'ils coûtent annuellement si l'on tient compte des coûts évités sur la gestion des eaux pluviales, les comportements anti-sociaux, la santé, etc.".
Mohamed Gnabaly, maire de L'Ile-Saint-Denis (93) et rapporteur de la commission transition écologique de l'AMF, a témoigné de l'attachement de sa collectivité à la place de la nature en ville qui occupe aujourd'hui 40% de l'espace. Alors qu'elle comptait de nombreuses friches industrielles, la ville s'est dotée il y a vingt ans d'une charte du développement durable comprenant plus de 200 objectifs. Sur ce territoire pauvre (80% de logements sociaux, moins de 1.000 euros de revenus en moyenne par habitant), cette collectivité veut faire valoir ses atouts environnementaux. "Notre ambition est d'être un îlot de fraîcheur dans l'océan métropolitain", sourit Mohamed Gnabaly. "Nous sommes soumis à une forte pression foncière mais nous faisons le choix de maitriser l'aménagement pour la qualité de vie", a-t-il souligné. "Nous avons réalisé un écoquartier sans voiture, par exemple, en proposant une solution de covoiturage à 2 euros/heure, a-t-il illustré. Nous pouvons imposer les choses si en face on a des réponses concrètes pour les rendre acceptables."

L'appui des ONG

"Nous avons besoin de changer le regard sur la nature pour en faire un espace plein, multiservices, a souligné Pascal Canfin, directeur général du WWF. Pour cela, les ONG peuvent accompagner les élus, en termes d'expertise. Mais il y a un élément fondamental, c'est la mobilisation des citoyens pour agir au-delà de l'institution communale. Faire une ferme urbaine, par exemple, ne peut marcher qu'avec les habitants." L'ONG accompagne la métropole de Rouen dans la déclinaison de sa COP 21 locale qui vise notamment 100% d'énergies renouvelables. "Nous jouons la complémentarité avec la collectivité pour amener tous les acteurs du territoire à s'engager, explique Pascal Canfin. Nous avons l'habitude de dialoguer avec les entreprises, le milieu universitaire, etc." Audrey Pulvar, présidente de la Fondation pour la nature et l'homme, a cité un autre exemple de mobilisation en faveur des collectivités. Dans la lignée de la récente loi "pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous", dite Egalim, qui fixe des objectifs de 50% de produits bio, locaux ou sous signe de qualité et 20% de bio d'ici 2020, son ONG demande à l'Etat de créer un bonus bio et local en faveur des collectivités. A raison de 20 euros par an et par convive, cela représenterait 330 millions d'euros sur 3 ans pour aider la restauration collective et les agriculteurs à répondre aux objectifs de la loi.

L'humanité face à un risque de catastrophes climatiques simultanées

D'ici à la fin du siècle, certaines régions du monde pourraient faire face à des catastrophes climatiques multiples, jusqu'à six en même temps, de la canicule aux incendies en passant par les inondations, selon une nouvelle étude publiée ce 19 novembre dans la revue Nature Climate Change. "L'humanité va être confrontée aux impacts dévastateurs combinés d'aléas climatiques multiples qui interagissent", a indiqué l'un des auteurs Erik Franklin, chercheur à l'Institut de biologie marine de l'université d'Hawaï. "Ils se produisent aujourd'hui et ça va continuer à empirer", a-t-il déclaré à l'AFP.
Les émissions de gaz à effet de serre à l'origine du changement climatique sont déjà responsables de l'augmentation de la température de la planète. Dans les régions sèches, cela peut conduire à la sécheresse voire à des incendies dévastateurs. Dans les zones plus humides, pluies et inondations se multiplient tandis que des super tempêtes se forment au-dessus des océans réchauffés. Jusqu'à maintenant, les scientifiques se sont penchés sur ces catastrophes principalement par type. Mais l'étude met en garde contre la possibilité, voire la probabilité qu'elles se déchaînent en cascade. L'an dernier, par exemple, la Floride a subi une grave sécheresse, des températures record, une centaine d'incendies et l'ouragan Michael.
"Se concentrer sur un risque peut cacher les impacts d'autres aléas, conduisant à une évaluation incomplète des conséquences du changement climatique sur l'humanité", a commenté l'auteur principal Camilo Mora, de l'université de Hawaï. La probabilité de cette simultanéité dépend de la géographie et des efforts à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Si, comme le prévoit l'accord de Paris sur le climat de 2015, le monde parvient à limiter son réchauffement au pire à +2°C par rapport à l'ère pré-industrielle, New York subira probablement un aléa climatique unique chaque année à la fin du siècle. Mais si les émissions de C02 continuent au rythme actuel, la mégalopole américaine, tout comme Mexico, pourrait en subir jusqu'à quatre en même temps, Sydney et Los Angeles trois et les côtes atlantiques brésiliennes cinq.
Même selon les scénarios optimistes, "l'exposition cumulée et croissante à une multitude d'aléas climatiques va frapper les pays riches et pauvres de la même façon", souligne l'étude.
Les chercheurs se sont fondés sur des milliers d'études se penchant sur 10 aléas spécifiques, la plupart un à la fois (incendies, inondations, augmentation du niveau de la mer, tempêtes, sécheresses, acidification de l'océan...) et ont regardé leur impact sur six aspects de la vie humaine (santé, alimentation, eau, économie, infrastructure et sécurité). "Si nous ne prenons en compte que les effets les plus directs du changement climatique, canicules ou tempêtes par exemple, inévitablement, nous serons pris de court par des menaces plus importantes qui, en se combinant, peuvent avoir un effet plus large sur la société", a commenté un autre auteur, Jonathan Patz, de l'Université du Wisconsin.
Les zones côtières tropicales devraient être les plus touchées tandis que les zones tempérées proches des régions polaires, comme la Tasmanie ou certaines parties du Canada et de la Russie, pourraient être davantage épargnées. Dans le pire scénario, "le Groenland semble être le moins touché par des aléas climatiques multiples", a noté Erik Franklin.

AFP

 

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