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Agriculture et Alimentation : large vote à l'Assemblée malgré les polémiques

Après huit jours et nuits de marathon animé, les députés ont approuvé mercredi 30 mai le projet de loi Agriculture et Alimentation, une partie de l'Assemblée restant toutefois sur sa faim à propos du rééquilibrage des relations commerciales au profit des agriculteurs, ou la protection de l'environnement. Le texte, qui va maintenant aller au Sénat, a été voté en première lecture par 339 voix contre 84, avec 130 abstentions. La majorité a voté pour "avec enthousiasme", la droite s'est abstenue "de manière vigilante", toute la gauche a voté contre par "déception". Si "tous les désaccords n'ont pu être levés" après quelque 77 heures de débat et 2.310 amendements, le ministre Stéphane Travert s'est dit "fier" que les députés "aient porté ce texte au service de l'agriculture française, unique en Europe".
Issu des Etats généraux de l'alimentation lancés par Emmanuel Macron, le projet de loi vise notamment à mettre fin à la "guerre des prix" pour redonner "un revenu digne aux agriculteurs", selon le rapporteur Jean-Baptiste Moreau (LREM), éleveur dans la Creuse. Il prévoit une inversion de la construction des prix en partant des coûts de production, un renforcement des organisations de producteurs, un encadrement des promotions parallèlement au relèvement du seuil de revente à perte.
Sensibles aux critiques des syndicats agricoles déçus par une copie du gouvernement en-deçà de leurs attentes, des députés de tous bords ont musclé le texte dans un sens plus favorable aux producteurs sur la fixation des indicateurs de prix ou les sanctions contre les distributeurs.
La majorité parle d'"un tournant", tandis que pour la droite, au-delà "d'une philosophie générale plutôt positive" (Jérôme Nury, LR), le "compte n'y est pas" (Thierry Benoît, UAI), notamment face à la concentration des centrales d'achat de la grande distribution. Pour Sébastien Jumel (PCF), "cela ne changera rien pour les agriculteurs, qui resteront la proie mortifère de la libre-concurrence".

"Une occasion manquée" ? 

Ce volet économique, central, a cependant déchaîné moins de passions que les mesures visant à promouvoir une alimentation plus saine et favoriser le respect du bien-être animal - ou plutôt l'absence de certaines d'entre elles. Mesure emblématique, la sortie du glyphosate d'ici 2021, engagement présidentiel, ne sera pas gravée dans la loi malgré des amendements portés par une partie des Marcheurs, comme la présidente de la commission du développement durable, Barbara Pompili, ou par l'ex-ministre PS Delphine Batho. Cette décision a "déçu" le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, même si le gouvernement assure que l'objectif d'abandonner l'herbicide controversé à cette date est maintenu et mise sur les recherches d'alternatives. Relayant la position de FNSEA et appelant à "faire confiance aux agriculteurs", LR s'est vivement opposée à cette interdiction, comme aux mesures du texte destinées à renchérir le coût des pesticides (interdiction de ristournes, séparation de l'activité de vente et de conseil). A l'image de la colère d'associations de défense de l'environnement ("une trahison" pour Générations futures), Loïc Prudhomme (LFI) a épinglé "les renoncements" et une loi "vide de sens".
Les socialistes ont dénoncé notamment l'absence d'une "vraie politique de l'alimentation, une occasion manquée", selon l'ex-ministre Guillaume Garot. En cause notamment le refus du gouvernement d'interdire à la télévision les publicités à destination des enfants pour les aliments trop gras, trop sucrés ou trop salés.
La majorité met en avant l'objectif pour la restauration collective d'au moins 50% de produits bio ou intégrant la préservation environnementale en 2022.
Enfin, les militants de la cause animale n'ont pas obtenu gain de cause malgré leurs milliers de courriels à destination des députés et du renfort de quelques célébrités. La vidéosurveillance ne sera pas obligatoire, mais expérimentale dans les abattoirs. Et aucune date d'interdiction pour la vente des oeufs de poules en cage n'a été fixée.

 
Les principales mesures du projet de loi "pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable"

Relations commerciales
- Inversion du processus de construction du prix payé aux agriculteurs. Les coûts de production des producteurs deviendront la base de la construction du prix. Incitation au regroupement des producteurs
- A défaut d'indicateurs de prix fournis par les interprofessions, l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM) et FranceAgriMer devront en proposer
- Sanctions contre les acheteurs et producteurs qui ne respecteraient pas leurs obligations contractuelles (jusqu'à 2% du chiffre d'affaires). Dans l'esprit du "name and shame" (nommer et faire honte), publication des sanctions en cas de manquements répétés
- Renforcement de la place et du rôle du médiateur. Il pourra rendre public ses conclusions et recommandations
- Pour mettre fin à la "guerre des prix", le gouvernement est habilité à légiférer par ordonnance sur le relèvement de 10% du seuil de revente à perte et l'encadrement des promotions excessives
- Interdiction de l'emploi du terme "gratuité", ses dérivés et synonymes, dans la promotion d'un produit alimentaire
- Les groupes agro-alimentaires qui ne publient pas leurs comptes annuels seront sanctionnés plus facilement (astreinte jusqu'à 2% du chiffre d'affaires journalier moyen). La grande distribution sera concernée
- Pouvoir accru de l'Autorité de la concurrence sur la concentration excessive des centrales d'achat
- Possibilité de "rénover" par ordonnances le modèle des coopératives agricoles

Qualité de l'alimentation et bien-être animal
- Les repas dans la restauration collective publique devront comprendre, au plus tard en 2022, au moins 50% de produits issus de l'agriculture biologique ou tenant compte de la préservation de l'environnement. La part pour le bio est d'au moins 20% de la valeur totale.
- Au-delà de 200 couverts, plan pluriannuel de diversification de protéines incluant des alternatives à base de protéines végétales
- Mesures pour favoriser la lutte contre le gaspillage alimentaire (par ordonnance)
- Interdiction de l'utilisation d'eau plate en bouteilles plastique dans les cantines scolaires en 2020 (dérogations possibles si l'eau du robinet n'est pas potable)
- Interdiction d'associer des termes comme "steak" ou "saucisse" à des produits contenant une part significative de matières d'origine végétale
- Etiquetage renforcé pour certaines denrées alimentaires à partir de 2023.
- Mentions telles que "nourri aux OGM", le mode d'élevage, l'origine géographique, ou encore "le nombre de traitements par des produits phytosanitaires sur les fruits et légumes frais". Conditions d'application précisées par décret
- Mention du pays d'origine d'un vin, "en évidence sur l'étiquette" à partir de 2019
- Les producteurs de miel devront indiquer l'ensemble des pays d'origine d'un produit issu d'un mélange de miels à partir du 1er septembre 2019
- Renforcement des contrôles sanitaires relatifs aux denrées alimentaires
- Mesures réglementaires pour suspendre la mise sur le marché de dioxyde de titane et des denrées alimentaires qui en contiennent
- Obligation progressive des doggy bags dans les restaurants d'ici au 1er juillet 2021
- Possibilité renforcée pour les associations de protection des animaux régulièrement déclarées de se constituer partie civile à un procès
- Sanctions doublées en cas de mauvais traitements sur les animaux, portées à un an d'emprisonnement et à 15.000 euros d'amende. Nouveau délit visant à réprimer les mauvais traitements envers les animaux dans les transports et les abattoirs
- Interdiction de l'installation de tout nouvel établissement d'élevage de poules pondeuses en cage
- Expérimentation de la vidéosurveillance dans des abattoirs volontaires pour deux ans
- Statut de lanceur d'alerte pour le responsable protection animale dans les abattoirs et sensibilisation au bien-être animal dans la formation des agriculteurs
- Interdiction des remises, rabais et ristournes dans les contrats de vente de produits phytopharmaceutiques sous peine d'amendes administratives
- Expérimentation de l'épandage par drones de produits autorisés en agriculture biologique sur certaines surfaces
- Extension du champ de l'interdiction des néonicotinoïdes aux substances chimiques qui ont des modes d'action identiques
- Rétablissement de la possibilité de vendre aux jardiniers amateurs des variétés de semences relevant du domaine public
- Séparation des activités de vente et de conseil pour les produits phytopharmaceutiques (par ordonnance)
 

 

 

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