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Autonomie énergétique, le difficile passage à l’échelle

Si les projets d’autoconsommation énergétique émergent un peu partout à la faveur de l’assouplissement de la réglementation, les projets de grande ampleur tardent à voir le jour. Les expériences récentes montrent que les blocages ne sont pas que techniques.

Aux Etats-Unis, le micro-réseau Co-op City alimente plus de 30.000 logements dans le Bronx, au cœur de New York. En France, les projets de quartiers autonomes en énergie de grande ampleur peinent à décoller. Les experts réunis par l’Institut Paris région en janvier 2022, dont le compte rendu vient d’être publié, se sont penchés sur les points de blocage qui expliquent ce retard. Car sur le papier, la loi encourage la production et la consommation locales d’énergie. La loi sur la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 a notamment ouvert la voie à l’autoconsommation collective. Et plus récemment, la loi Climat et Résilience de 2021 a prévu de soutenir les projets de communautés citoyennes d’énergies renouvelables.

Un cadre juridique extrêmement contraignant

Ces ouvertures réglementaires successives ont créé une certaine dynamique mais sans véritable décollage des projets. "En 2021, il n’y a aucun réseau électrique privé résidentiel", déplore Fanny Lopez, enseignante à l’Eav&t de Marne-la-Vallée. Une absence que la chercheuse explique avant tout par un cadre juridique beaucoup plus rigide que dans les pays anglo-saxons : "si on peut échanger de l’énergie entre deux compteurs, même si ceux-ci sont sur le même palier, le simple fait de passer d’un compteur à l’autre est assimilé à de l’autoconsommation collective, donc de la distribution, qui est du domaine privé d’Enedis". Aussi, pour ces gestionnaires de réseaux, il s’agit davantage "d’envisager les micro-productions locales plutôt comme une réserve d’import/export dans le marché de l’énergie au profit de l’équilibre du grand réseau". En d’autres termes, il n’est pas question de favoriser des zones fonctionnant dans une quasi autarcie énergétique.

Un passage de relais à organiser

Les dispositifs d’autoconsommation les plus aboutis restent donc ceux portés par des collectivités territoriales. Dès lors qu’ils dépassent l’installation de quelques panneaux solaires sur un bâtiment public, ces projets se heurtent cependant à de nombreux obstacles opérationnels. C’est ce que révèle par exemple le projet urbain Clichy Batignolles à Paris. Ce démonstrateur de la politique énergie-climat de la capitale prévoit l’aménagement d’une friche ferroviaire de 57 hectares avec pour objectif d’atteindre un niveau de 85% d’autonomie énergétique grâce à la géothermie et au réseau de chaleur parisien. Lucas Spadaro, doctorant à l’Institut Paris Région, souligne les problèmes de gouvernance de ce type de projet : "A l’issue de sa livraison, les aménageurs, opérateurs de réseaux, promoteurs immobiliers, bailleurs (…) doivent céder la place aux acquéreurs, syndics, locataires, fournisseurs d’électricité… Ce basculement se fait sans garantie sur le respect des performances énergétiques annoncées au début du projet, alors que ces dernières dépendent autant de la qualité technique des infrastructures urbaines que des usages ultérieurs qui vont en être faits".

Accompagnement des habitants et gestion des données

Pour gérer cette transition, la collectivité a dû créer une structure ad hoc.  En l’occurrence le consortium CoRDEES (Co-Responsibility in District Energy Efficiency and Sustainability), chargé de coordonner l’ensemble des acteurs, de mettre en place une plateforme technique de pilotage et d’accompagner les futurs occupants dans la maîtrise de leurs consommations énergétiques. En pratique, le projet a pris la forme d’un avenant à la concession d’aménagement de la ZAC Clichy Batignolles et associe la ville de Paris, les aménageurs et des experts de la donnée. Le Perray-en-Yvelines, une petite ville de 7.000 habitants engagée dès 2016 dans plusieurs projets d’installation photovoltaïques et d’infrastructures de stockage d’énergie sur des sites publics, a également jugé nécessaire de créer une structure juridique spécifique, la SAS Le Perray Energies, chargée de traiter de la production de l’énergie renouvelable comme de la sobriété énergétique.
Parmi les missions de ces structures, la gestion des données pour suivre en temps réel l’approvisionnement et la consommation énergétique du "micro grid". "Il faut que le gestionnaire de l’énergie soit également régie numérique du territoire", affirme Gervais Lesage, consultant et élu du Perray-en-Yvelines jusqu’en 2020. Mais cette infrastructure informatique "ne va pas de soi", souligne Lucas Spadaro. Outre "une emprise spatiale non négligeable" - son dimensionnement jouant sur la qualité des données – elle requiert des compétences qui ne sont aujourd’hui pas maîtrisées par les aménageurs. S’y ajoutent des obligations pesant sur les données, les consommations énergétiques étant considérées comme des données personnelles dont l’usage est très encadré.  

Portage politique

Mais au-delà de ces complexités techniques et juridiques, la transition vers l’autoconsommation appelle des changements profonds dans les collectivités. "Le sujet de l’énergie est complexe et va de pair avec l’architecture et l’aménagement du territoire. Les services techniques connaissent mal les questions énergétiques, tout se passe comme si la commune était seulement consommatrice. Il faut faire comprendre qu’une collectivité peut aussi être productrice sans produire la totalité de ses consommations", souligne Gervais Lesage. Et le portage politique qu’induit un tel projet n’a rien d’automatique. Pour preuve, l’écoquartier autour du centre technique municipal imaginé en 2019 par la municipalité a été abandonné par la nouvelle majorité en 2020.
Et les intervenants de conclure que si les micro-projets locaux contribuent à "un processus d’apprentissage", il y a urgence à débattre d’un dossier qui "bouscule l’ordre électrique" des grands réseaux centralisés tout en questionnant le principe d’égalité d’accès à l’énergie.

 

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