Contrat d’engagement jeune : les réserves de l’Inspection générale des affaires sociales

Malgré une "dynamique incontestable" du nombre de contrats d’engagement jeune signés depuis l’an dernier, l’Inspection générale des affaires sociales dresse un bilan "contrasté" de ce dispositif qui mériterait "un cadre d’évaluation robuste".

​​​​​​Un an après son lancement, le contrat d’engagement jeune (CEJ) a atteint sa cible : en cumulé, plus de 300.000 jeunes ont intégré ce dispositif en janvier 2023, salue l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) dans un rapport d’étape diffusé le 26 avril dernier. Si le bilan s’avère positif sur le plan quantitatif, l’institution se veut néanmoins prudente sur bien des volets de cet accompagnement intensif apporté aux jeunes qui mériterait "un cadre d’évaluation robuste".

De nombreux jeunes hors du CEJ

Certes, les jeunes non-diplômés ainsi que de niveau bac sont surreprésentés parmi les signataires du CEJ. Les publics habitant les quartiers prioritaires de la politique de la ville comme les zones de revitalisation rurale sont eux aussi "bien représentés". Néanmoins, 70% des jeunes étaient déjà suivis par le service public de l’emploi. Notant des refus d’entrée dans le dispositif lors de son lancement, l’Igas pointe les limites associées aux "ambitions d’insertion professionnelle à court terme" du CEJ qui le rendent "moins accessible" aux jeunes les plus en difficulté. Pour toucher davantage la cible des Neet - au nombre de 900.000 - il conviendrait d’après l’Igas de mettre en place "une extension conditionnelle de l’allocation adulte aux mineurs" et de permettre un cumul avec les revenus issus d’un stage de formation professionnelle ainsi qu’avec des contrats l’insertion par l’activité économique.

C’est à l’aune de la cible du dispositif que la finalité du mécanisme de sanction est également interrogée dans le rapport. "Quelle est la perspective d’insertion d’un jeune Neet qui a été exclu du CEJ ou qui a abandonné suite à une sanction ? La réponse à cette question est cruciale si on veut réduire durablement le nombre de Neet", peut-on y lire. Sans aller jusqu’à l’abandon de telles mesures, la mission recommande leur plus "forte progressivité" allant de l’avertissement à la suspension jusqu’à l’exclusion. À l’heure où France Travail affiche l’ambition de faire converger les sanctions, une autre question se pose : "Comment justifier qu’un bénéficiaire du CEJ qui touche l’ARE [l’allocation de retour à l’emploi] n’encoure pas les mêmes sanctions à comportement égal qu’un autre qui touche l’allocation CEJ ?"

Abandon du reporting des 15-20 heures au niveau national

Le rapport livre aussi des informations sur la question des activités hebdomadaires. Plus d’un tiers des jeunes bénéficiaires n’atteint pas le minimum des 15 heures, 20% des bénéficiaires effectuant même moins de 5 heures d’activités. Enfin, 47% des jeunes ont un entretien hebdomadaire comptabilisé avec leur conseiller, sachant que cette statistique ne prend pas en compte – à tort selon l’Igas –  les échanges par tchat.

Faut-il pour autant s’en inquiéter ? L’Igas souligne l’hétérogénéité des pratiques de reporting des conseillers et les limites d’interprétation de tels chiffres en dehors de leur contexte (un jeune pouvant être très "engagé" sans forcément atteindre les 15 heures). C’est pourquoi la mission recommande d’abandonner le suivi chiffré des activités hebdomadaires, mais au niveau national seulement, pour ne garder que les caractéristiques du public, le suivi des solutions structurantes ainsi que les contacts avec le monde professionnel dans les tableaux de bord nationaux.

Retour à l’emploi : une efficacité qui reste à démontrer

Quant à l’impact du dispositif sur le retour à l’emploi, il apparaît prématuré faute de recul temporel mais aussi par manque d’informations exploitables selon l’Igas. Elles sont du reste difficilement interprétables car l’insertion s’apprécie dans la durée. Par ailleurs, une évaluation rigoureuse nécessite une "situation de référence" qui manque avec le CEJ en raison de sa généralisation immédiate. Or "un taux d’emploi élevé n’est pas une garantie d’efficacité – et encore moins d’efficience – si les chances d’obtenir un emploi sont particulièrement élevées dans la période", peut-on lire dans le rapport. L’Igas se refuse à établir une comparaison avec la garantie jeunes, qui a été mise en place progressivement et dans un contexte économique bien différent. Plutôt que de suivre l’insertion à la sortie du CEJ, la mission préconise un suivi longitudinal du taux d’emploi par cohorte.

Échec de la coordination entre Pôle emploi et les missions locales

La mission confirme par ailleurs que le déploiement commun du CEJ en mission locale et en agence Pôle emploi a induit "une forme de concurrence" qui a pu dégrader les relations de coopération au niveau local. Elle appelle en conséquence à une "programmation coordonnée et transparente avec des critères partagés" dans le cadre de France Travail. Constatant de fortes différences dans les tailles de portefeuilles entre Pôle emploi et les missions locales, la mission appelle à évaluer "avec les deux réseaux le nombre pertinent de jeunes CEJ qui peuvent être accompagnés par un conseiller en insertion".

L’attribution des objectifs de signature par les Dreets (directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités) n’a pas tenu compte des plans des deux réseaux au niveau local. La gouvernance territoriale du CEJ s’est avérée "très embryonnaire et tributaire de décisions souvent nationales des opérateurs". Insuffisant, donc, pour "arrimer les porteurs de solutions structurantes largement sous-utilisées" (en dehors de la formation) ou "inciter les deux opérateurs à mieux travailler de concert sur leur offre de service au regard des enjeux territoriaux"…

 

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