Décarbonation : les filières des transports, de l'aménagement et du bâtiment remettent leurs feuilles de route

Automobile, véhicules lourds, aménagement et bâtiment : quatre des filières les plus émettrices de gaz à effet de serre ont officiellement présenté au gouvernement ce 24 mai leurs propositions de feuilles de route pour la décarbonation. Une "première étape", alors que la loi dispose qu’elles doivent être établies conjointement avec le gouvernement et les collectivités, et qu’elles devaient être finalisées au plus tard le 1er janvier dernier. Ces feuilles de route, qui ont vocation à nourrir la loi de programmation énergie-climat – elle aussi en retard – doivent encore être harmonisées avec le plan d’actions du gouvernement, présenté deux jours plus tôt.

"Au plus tard le 1er janvier 2023, pour chaque secteur fortement émetteur de gaz à effet de serre (GES), une feuille de route est établie conjointement par les représentants des filières économiques, le gouvernement et les représentants des collectivités territoriales pour les secteurs dans lesquels ils exercent une compétence", dispose l’article 301 de la loi Climat et résilience. La volonté du législateur n’aura toutefois guère été respectée. D’une part parce que le gouvernement a préféré demander l’an passé aux différentes filières d’élaborer chacune de leur côté leurs propositions de feuilles de route, pour venir ensuite alimenter ses propres réflexions. D’autre part en demandant que ces propositions lui soient remises "au cours de l’année 2023", soit après l’échéance légalement fixée.

Première étape

Ainsi les représentants des "quatre principales filières économiques les plus émettrices" de gaz à effet de serre – l’automobile, les véhicules lourds, l’aménagement et le bâtiment – viennent-ils seulement d’être accueillis ce 24 mai par les ministres Christophe Béchu, Agnès Pannier-Runacher, Clément Beaune et Olivier Klein pour présenter les principaux leviers de décarbonation qu’ils ont identifiés l’an passé. Or, comme le relèvent les ministères concernés, ces travaux ne constituent qu’une "première étape". "Un travail d’alignement" entre ces propositions et "les orientations de la planification écologique" doit encore être réalisé "ces prochains mois, pour faire converger les exercices et intégrer les contraintes de bouclage local", précisent-ils dans un communiqué. Pis, ladite planification écologique, loin d’attendre le rendu de ces travaux, a commencé de tracer dans le même temps son propre chemin. On relèvera ainsi que la réunion avec ces filières – à laquelle aucun représentant des collectivités n’était semble-t-il convié – intervient deux jours après la présentation, par la Première ministre, au Conseil national de la transition écologique, du "plan d’action" du gouvernement pour accélérer la réduction des GES. Un plan qui, lui aussi, doit être affiné via des réunions entre ministres et acteurs concernés, y compris les collectivités (voir notre article du 23 mai). 

Transports : l’électrification ne suffira pas

Fort heureusement, ces routes semblent en partie se rejoindre. Côté filière automobile, on souligne que l’électrification des véhicules est le principal levier de décarbonation, mais qu’elle restera néanmoins insuffisante pour atteindre les objectifs fixés, et devra être accompagnée d’une évolution des usages (baisse du kilométrage, report modal, hausse du taux d’occupation, amélioration de l’efficacité énergétique du parc existant…). Ce sont autant d’éléments qui sont également avancés par le plan du gouvernement. On notera que la filière relève également la nécessité de réduire l’empreinte carbone de la production, et la nécessité d’aider cette dernière pour qu’elle soit localisée en France, en préconisant notamment la création de "zones franches".

Soulignant la diversité des véhicules et de leurs usages (camions, bus, engins de chantier…), la filière des véhicules lourds met elle en avant l’importance de s’appuyer sur un mix énergétique varié pour verdir leur motorisation (efuel, bioGNV, électricité, hydrogène), mais aussi le besoin d’inscrire le plan d’actions "dans le temps" et "d’accompagner le changement", notamment avec des aides directes ou en "facilitant les implantations de zones logistiques pour réduire les distances parcourues". Les deux filières insistent toutes deux sur la nécessaire disponibilité d’un réseau de bornes de recharge électriques et de station d’avitaillement, "au dépôt et en itinérance".

Bâtiment et aménagement : le zéro artificialisation nette dans les têtes

Parmi les 25 leviers à mobiliser présentés par la filière du bâtiment, figurent les simplification et orientation des aides vers la rénovation globale, qui constituent aussi un objectif affiché par le plan gouvernemental. Sont également préconisés par la filière le recours à des ressources et à des solutions locales, le développement d’une "architecture frugale", le multi-usage dans un bâtiment existant ou encore la densification parcellaire, notamment avec la surélévation du bâti "au regard de l’enjeu du ZAN". 

Un enjeu évidemment pris en compte par la filière de l’aménagement, qui préconise, entre autres mesures, "d’optimiser l’usage des secteurs déjà urbanisés et de favoriser le renouvellement urbain". Prenant le soin de distinguer les émissions induites par l’acte d’aménager de celles liées à l’usage des espaces aménagés, elle insiste notamment sur le besoin d’être "mieux mobile au quotidien". Parmi les 12 mesures prioritaires qu’elle propose, figurent la généralisation des plans climat air énergie territoriaux (PCAET) et des plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi), l’introduction d’un "scoring" des opérations d’aménagement selon leur degré de contribution à la décarbonation, la création d’une taxe additionnelle à la taxe foncière dans le périmètre des infrastructures de transports en commun, l’intéressement des opérateurs d’aménagement à des actions de décarbonation dans les contrats passés avec les collectivités ou encore l’incitation des communes et de leurs groupements à mettre en œuvre une stratégie foncière, qui s’appuierait notamment sur un renforcement et une généralisation des établissements publics fonciers et la création de foncières. 

Conduire atténuation et adaptation de pair

Ces feuilles de route devraient également "nourrir la programmation énergie-climat". C’est en tout cas le souhait formulé par Agnès Pannier-Runacher, chargée de cette loi de programmation attendue à l’automne – alors qu’elle devait normalement être publiée avant le 1er juillet. Idéalement, cette dernière devrait par ailleurs converger avec le plan national d’adaptation au changement climatique, espéré pour la fin de l’année. Un vœu formé cette fois par le ministre de la transition écologique. "Il y a quand même une forme de cohérence à s’efforcer de traiter en même temps adaptation et atténuation", déclarait Christophe Béchu ce 23 mai, en présentant à la presse la nouvelle trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique (soumise à consultation du public, elle tient notamment compte d’une hypothèse d’une hausse de température de 4°C pour la France à la fin du siècle, suivant ici le Conseil national de la transition écologique – voir notre article du 4 mai). Après avoir relevé "un empilement de textes potentiels de référence entre la loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC), la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), le plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC), la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE)…", le ministre concluait : "Le vrai sujet, c’est moins la date précise du jour auquel on dépose le [projet de loi de programmation énergie-climat] que la clarté, la cohérence et l’ambition d’une politique climatique et environnementale globale."

 

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