Déploiement des ZFE : un ressenti "nettement négatif" des Français, selon une consultation organisée par le Sénat

86% des particuliers et 79% des professionnels se disent opposés au déploiement des zones à faible émission mobilité (ZFE-m), selon les résultats de la consultation en ligne lancée à l'initiative de Philippe Tabarot, rapporteur de la mission d'information "flash" du Sénat sur l’acceptabilité et la mise en œuvre de ce dispositif visant à lutter contre la pollution de l'air dans les grandes agglomérations.

Un record de participation : avec 51.346 réponses, la consultation en ligne lancée du 17 avril au 14 mai à l'initiative de Philippe Tabarot, rapporteur de la mission d'information "flash" du Sénat sur l’acceptabilité et la mise en œuvre des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m), a suscité davantage de contributions que celle sur la limitation de vitesse à 80 km/h sur les routes départementales en 2018 (23.000 réponses) ou celle sur la gratuité des transports publics en 2019 (10.000). Preuve que le sujet passionne, 93% de particuliers ont répondu, dont 60% résident à l'intérieur ou à proximité d'une des ZFE prévues par la loi d'orientation des mobilités. Jamais non plus autant d'avis négatifs n'auront été recueillis, 86% des particuliers et 79% des professionnels se disant opposés au déploiement des ZFE. "Ce succès entre guillemets témoigne des nombreuses inquiétudes que ce dispositif génère chez les Français, même s'il s'agit d'une consultation basée sur le principe du volontariat et non d'un sondage représentatif", a expliqué Philippe Tabarot lors d'un point presse ce 25 mai.

Craintes sociales

À ce jour, onze métropoles, dont les premières ont été Lyon, Grenoble et Paris, ont déployé des ZFE avec des calendriers différents, tandis qu'une généralisation du dispositif est prévue par la loi d'ici à 2025 dans les 43 agglomérations de plus de 150.000 habitants. Le "ressenti nettement négatif" exprimé par les répondants est pour l'essentiel dû aux conséquences sociales du dispositif, certains évoquant clairement un creusement des inégalités : "il s’agit d’une mesure technocratique qui de surcroît crée une véritable rupture d’égalité d’accès au centre de ville selon que vous soyez aisé ou non", "c’est de l’exclusion sociale pure", "il y a une discrimination flagrante entre les différents citoyens ; il y a ceux qui ont les moyens de suivre la technologie requise et les autres" ; "un sentiment d’injustice, quand le travail est concentré en métropole mais insuffisamment rémunérateur pour avoir accès à l’acquisition d’un logement en métropole, mais aussi à un véhicule propre".

"On a eu la question des 'gilets jaunes' parce qu'on touchait à la voiture. Là aussi on touche à la voiture, donc on ne peut pas ne pas y voir une similitude" mais "on ne veut pas en arriver là", a commenté Philippe Tabarot. "On a vraiment envie de ne pas créer une bombe sociale supplémentaire alors qu'il en existe déjà quelques-unes."

Effets pervers

Pour certains répondants, les ZFE sont toutefois considérées comme un levier essentiel d'amélioration de la qualité de l'air : ils les décrivent comme permettant de "limiter les risques respiratoires de la pollution ", et de "protéger la santé de tous, des enfants comme des grands". D'autres, bien que favorables au dispositif, alertent sur les difficultés de mise en œuvre constatées - insuffisance de l’offre de transports en commun, lacunes des vignettes Crit’air, se disant "partagé entre le désir de bien respirer en ville et l’impossibilité de pouvoir acquérir un véhicule Crit’air 1") - et les possibles effets pervers, comme la mise au rebut de nombreux véhicules encore fonctionnels - "Je ne comprends pas le principe de mettre à la casse des véhicules en état de rouler et qui passent les contrôles de pollution du contrôle technique. Les véhicules remplacés ne sont pas tous détruits et vont polluer ailleurs", disent-ils.

Très faible adhésion chez les habitants des zones rurales et les ouvriers

Parmi les enseignements de la consultation, dont les résultats ont été analysés par un spécialiste de la donnée, plus un répondant réside loin du centre d'une agglomération et plus il a tendance à être défavorable à la mise en place d'une ZFE. Ainsi, seuls 8% des habitants de communes rurales y sont favorables contre 23% des habitants de centre-ville. Le fait de disposer d'une alternative à la voiture a également une influence sur les réponses, seuls 16% des répondants estimant avoir des solutions alternatives suffisantes.

Enfin, le ressenti varie beaucoup d'une catégorie socioprofessionnelle à une autre. Les étudiants et les cadres y sont les plus favorables (respectivement 28% et 25% des cadres) tandis que le taux d'acceptabilité tombe à 11% chez les employés, à 7% chez les retraités et à seulement 4% chez les ouvriers.

Coût d'achat des véhicules propres jugé trop élevé

Le premier frein au déploiement des ZFE réside dans le coût d'acquisition des véhicules propres, jugé trop élevé pour 77% des particuliers, devant l'accessibilité insuffisante des métropoles depuis les zones périurbaines ou rurales (51%), la mise en œuvre trop rapide des restrictions de circulation ainsi que le manque de pertinence du classement Crit'air (47%), et l'insuffisance d'offres de transports alternatifs (42%). Malgré la menace, à terme, d'une amende de 68 euros, 83% des particuliers n'envisagent pas pour autant de changer de véhicule pour fréquenter une ZFE.

La mission d'information "flash" du Sénat sur l'acceptabilité des ZFE a mené plus d'une quarantaine d'auditions depuis mars et doit rendre ses conclusions mi-juin. "On constate qu'aujourd'hui des métropoles particulièrement volontaristes ont fixé des calendriers assez resserrés et sont contraintes de revenir en arrière. Nous ne sommes plus sur un clivage politique", a relevé Philippe Tabarot Tabarot.

À propos du ressenti largement négatif des citoyens, le sénateur des Alpes-Maritimes espère "trouver une ligne de crête". "On ne peut pas ne pas prendre en compte les chiffres que l'on a, mais on ne peut pas ne pas prendre en compte l'impératif de santé publique", a estimé l'élu, pour qui il semble "évident" qu'il y a une "désynchronisation entre le calendrier (des ZFE, ndlr) et l'avancée des alternatives à la voiture". La priorité est donc, selon lui, "d'aller vers du report modal, vers les transports en commun, car 40 millions de véhicules électriques ne régleront pas le problème de la congestion automobile".