Faut-il inscrire le levier fiscal des collectivités dans la Constitution ?

Le rapporteur général du Budget à l’Assemblée nationale a mis sur la table, ce 21 juin, l’idée d’inscrire l’autonomie fiscale locale dans la Constitution. Pour Jean-René Cazeneuve, l’intérêt serait de garantir aux collectivités un niveau minimal de pouvoir de taux.

Le débat sur la nécessaire réaffirmation du principe d’autonomie fiscale des collectivités locales pourrait resurgir à la faveur de la réforme des institutions à laquelle réfléchit l’exécutif. Dans cette perspective, on pourrait s’attendre à ce que les associations d’élus locaux avancent leurs pions. Mais c’est le député (Renaissance) Jean-René Cazeneuve, rapporteur général du Budget et ex-président de la délégation aux collectivités et à la décentralisation, qui a pris l’initiative sur le sujet, ce 21 juin. Avec, à la clé, la proposition de sanctuariser les recettes fiscales sur lesquelles les collectivités locales détiennent un pouvoir de taux. L’inscription d’un niveau plancher d’autonomie fiscale dans la Constitution dissuaderait en effet les gouvernements futurs de s’attaquer aux dernières taxes que les élus locaux peuvent encore moduler.

C’est l’idée que Jean-René Cazeneuve a formulée, ce mercredi 21 juin, en présentant à ses collègues de la commission des finances une communication sur l’autonomie financière et l’autonomie fiscale des collectivités territoriales.  "Les conséquences concrètes de cette constitutionnalisation et le seuil précis d’autonomie qu’il convient de garantir pourraient être renvoyés à une loi organique", précise-t-il dans la note, que Localtis a pu consulter.

Pouvoir de taux

Au préalable, le rapporteur général du Budget juge nécessaire d’ouvrir des travaux avec, notamment, les associations d’élus locaux, pour définir la notion d’autonomie fiscale, car aucune définition claire et officielle n’existe aujourd’hui. Il suggère, à ce stade, de la concevoir comme "le ratio entre les recettes sur lesquelles les collectivités détiennent un pouvoir de taux et l’ensemble de leurs ressources". Précisons que le député intègre les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) perçus par les départements, une taxe pour laquelle l’ensemble de ces derniers – sauf trois – ont atteint le plafond légal de 4,5%. C’est un point critiquable, selon un certain nombre de députés de l’opposition.

La "constitutionnalisation" de l’autonomie fiscale "aurait essentiellement du sens pour le bloc communal", fait remarquer Jean-René Cazeneuve. Car, même si après la suppression de la taxe professionnelle en 2010, l’autonomie fiscale des communes et de leurs groupements a continué à décliner, elle s’élevait encore, en 2021, à plus du tiers de leurs recettes (35,8%). Un niveau plus substantiel que pour les départements (21,8%) et les régions (9,8%).

La communication relève que la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales (THRP) a eu des effets contrastés sur l’autonomie fiscale des collectivités. En effet, si la réforme a été neutre pour les communes (puisqu’elles ont été compensées par l’affectation de la part départementale de taxe sur le foncier bâti), elle a affecté l’autonomie fiscale des intercommunalités et des départements (étant donné qu’ils ont été compensés par une part de TVA).

Levier des élus locaux sur 23 taxes

Les collectivités détiennent un pouvoir de taux sur un total de 23 taxes, qui représentaient plus de 80 milliards d’euros en 2021 (sur les 272 milliards d’euros de ressources locales). Dans le détail, les communes et les intercommunalités disposent du levier fiscal sur 16 taxes, dont la principale, la taxe sur le foncier bâti (34,3 milliards d’euros). Elles peuvent aussi moduler la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (7,4 milliards d’euros), la cotisation foncière des entreprises (CFE, 6,8 milliards d’euros), ou encore le versement mobilité (4,7 milliards d’euros). D’autres taxes, comme la taxe de balayage, ou celle sur les eaux minérales, ne représentent que quelques dizaines de millions d’euros. De leur côté, les départements ne disposent de marges de manœuvre que sur deux taxes (DMTO et taxe d’aménagement), de même que les régions (taxe sur les certificats d’immatriculation et majoration de la taxe sur les carburants).

Les réformes (telles que la suppression de la taxe d’habitation) qui ont remplacé des taxes locales par des "recettes fiscales nationales dynamiques" ont musclé l’autonomie financière des collectivités et ainsi contribué à leur "liberté d’action", estime le rapporteur général du budget. Inscrite en 2003 dans la Constitution, l’autonomie financière prévoit que "les collectivités disposent librement de leurs ressources", dont "une part déterminante" doit être constituée de "ressources propres" (impôts locaux et fiscalité partagée avec l’Etat). Elle dépassait un taux de 70% pour l’ensemble des collectivités, en 2021.

"Pas de choix politiques sans autonomie fiscale"

Les avis au sein de la commission des finances ont été très partagés. "Quand il n’y a pas d’autonomie fiscale, il n’y a pas de choix politiques. Il y a évidemment les moyens pour faire de la gestion. Mais, si on veut faire des politiques différentes, il faut bien avoir ce pouvoir de taux, sinon la libre administration locale, c’est de la blague", a estimé le communiste Nicolas Sansu. "Ce qui garantit la libre administration des collectivités territoriales, ce n’est pas l’autonomie fiscale, c’est bien l’autonomie financière", a jugé, à l’inverse, Thomas Cazenave, président (Renaissance) de la délégation aux collectivités. "C’est l’autonomie financière que nous devons sanctuariser. L’autonomie fiscale obéit à d’autres réflexions, je pense au lien fiscal local", a-t-il poursuivi.

Pour sa part, la socialiste Christine Pires Beaune a jugé "dommageable pour la cohésion de la population" la suppression de la THRP, puisque le financement des services publics repose désormais principalement sur les seuls propriétaires. "Seriez-vous favorable à une contribution universelle ?", a-t-elle questionné. "On verra quels seront les candidats [à l’élection présidentielle] qui proposeront de recréer un impôt nouveau", lui a rétorqué Jean-René Cazeneuve, non sans ironie.

A l’automne dernier, la Cour des comptes était mitigée sur cette idée qui présente "l’inconvénient d’avoir des effets anti-redistributifs" (voir notre article du 12 octobre 2022).