Infrastructures de transport : un plan avec beaucoup de zones d'ombre, alertent des sénateurs

Les deux rapporteurs spéciaux de la commission des Finances du Sénat sur les infrastructures et services de transport portent un regard sévère sur le plan présenté par Elisabeth Borne ce 24 février, à l'issue de la remise du rapport du Conseil d'orientation des infrastructures. En l'absence d'une loi de programmation, les sénateurs craignent que les engagements de l'Etat ne soient pas à la hauteur des enjeux, et que les collectivités, au premier rang desquelles les régions, soient largement mises à contribution pour financer les infrastructures.

"Tout ça pour ça ?" Rapporteur spécial, avec Hervé Maurey (Union centriste-Eure), de la commission des Finances du Sénat sur les infrastructures et services de transport, Stéphane Sautarel (app.les Républicains-Cantal) a la dent dure sur le "plan d'avenir pour les transports" présenté par la Première ministre ce 24 février (lire notre article). "Au-delà des annonces sur le scénario ferroviaire de 100 milliards d'euros que nous avions préconisé, quelle est la trajectoire prévue, quels sont les moyens, les capacités, les sources de financement au-delà du quinquennat ? Il reste beaucoup de zones d'ombre et le plan ne répond pas aux préoccupations identifiées de longue date", a estimé le sénateur lors d'une conférence de presse ce 1er mars.

Risque d'"effets d'annonce"

Son collègue Hervé Maurey n'est guère plus amène. "On ne perçoit toujours pas de vision à long terme sur les mobilités alors même qu'elles devraient être identifiées comme une vraie priorité nationale. Elles permettent non seulement d'assurer la transition écologique mais sont un élément important de la vie de nos concitoyens. Or, nous sommes aujourd'hui face à des effets d'annonce." "J’ai peur que l’on traite toujours des mêmes questions et des mêmes problèmes dans deux ou trois ans…", redoute le sénateur de l'Eure.

"L’Etat doit faire un pas supplémentaire et clarifier sa position sur le long terme", affirme Stéphane Sautarel. Un point de vue partagé par Hervé Maurey qui déplore l’absence de "calendrier prévisionnel de la part de la Première ministre. Le problème c’est que le gouvernement ne répond pas à la question de l’ambition, de la vision pour le réseau ferroviaire." Si la question de la modernisation de celui-ci figure bien dans le plan, les moyens alloués sont loin d'être à la hauteur, estime Hervé Maurey. "35 milliards d'euros seraient nécessaires pour la pérennité du réseau. A 500 millions d'euros par an, on n'y est pas encore !", grince-t-il.

Incertitudes sur la contribution des collectivités au financement des infrastructures

Sur la période 2023-2027, la participation de l’Etat ne devrait pas excéder 30% de l’enveloppe totale et beaucoup d'incertitudes demeurent sur la contribution des collectivités territoriales au financement des infrastructures, à travers les volets mobilité des Contrats de plan entre l’Etat et les régions (CPER). "Les régions ne pourront pas tout faire, prévient Stéphane Sautarel. L’Etat doit assumer le poids des infrastructures, faute de quoi les régions seraient contraintes de réduire leurs investissements dans le matériel roulant et les autres services". Les sénateurs restent plus que dubitatifs sur d'autres sources de financement évoquées par la Première ministre, qui pourraient provenir des secteurs émetteurs de gaz à effet de serre tels que les autoroutes. "En l'état actuel des contrats des concessions autoroutières, toute nouvelle taxe serait répercutée sur les usagers", pointe Hervé Maurey.

Pour les sénateurs, il est aussi urgent de se tourner vers l'Europe et de s'inspirer des pays voisins. D'autant que la Commission européenne veut encourager le mode ferroviaire pour atteindre l'objectif de réduction de 50% des émissions de gaz à effet de serre liées aux transports et que la fin des voitures à moteur thermique a été votée pour 2030. "Dans des pays comme l'Allemagne, la Suisse et l'Italie, les investissements dans les infrastructures sur le temps sont trois fois supérieurs à ce nous faisons en France", souligne Stéphane Sautarel. Une première piste d’explication réside selon lui dans la capacité de la France à mobiliser les fonds européens, alors qu'en Italie, la contribution de ces fonds est jugée "décisive". Hors Union européenne, la Suisse, qui a mis en place une "programmation intangible à 5 ans" fait aussi figure de modèle, aux yeux d'Hervé Maurey.

 

La Fnaut appelle à "une programmation financière sur au moins dix ans"

Dans un communiqué diffusé ce 28 février, la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut) a qualifié de "positives" les annonces de la Première ministre donnant la priorité aux infrastructures ferroviaires. "Ces investissements doivent permettre d’accroître l’offre, aujourd’hui inférieure à la demande, de moderniser toutes les lignes existantes, d’améliorer la fiabilité, la ponctualité et les temps de parcours et d’offrir une alternative crédible à la voiture", relève l'association, qui se félicite aussi que "les RER métropolitains deviennent une priorité". Pour "donner corps à cette ambition", "la concertation avec les élus, les opérateurs et la Commission européenne est indispensable", juge la Fnaut, qui appelle à une "programmation financière sur au moins dix ans". Les contrats de plan État région doivent selon elle être dotés de "financements correspondant aux évaluations du rapport Philizot de 700 à 800 millions par an". Elle insiste aussi sur "le développement des Intercités de jour et de nuit, indispensables à l’aménagement de territoire, à son maillage et à la desserte des villes moyennes" et sur celui du fret ferroviaire "pour doubler sa part dans les 10 ans". "Le recours, pour le financement, aux bénéfices des autoroutes et la participation du secteur aéronautique en fonction de ses émissions sont un pré-requis pour réussir à tenir l’objectif de 100 milliards, et celui de la décarbonisation en donnant un signal clair de report modal et de modification profonde des habitudes des citoyens", soutient encore l'association.

 

 

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