La grande offensive fédéraliste à l'approche des élections européennes

A un mois et demi des élections européennes, Emmanuel Macron a prononcé un discours fleuve sur l'avenir de l'Europe, jeudi 25 avril, dans le grand Amphithéâtre de la Sorbonne. Un discours qui s'inscrit résolument dans les initiatives fédéralistes qui se multiplient ces derniers jours.

"L'Europe, c'est un projet qui n'a pas de bornes", a déclaré Emmanuel Macron, le 25 avril, lors de son deuxième discours sur l'Europe, à la Sorbonne, sept ans après le premier. Pas de limites géographiques ni institutionnelles. Il y a vingt ans, le débat approfondissement versus élargissement faisait rage. Aujourd'hui, les deux vont de pair. C'est que, à en croire le président de la République, il y a péril en la demeure. "Notre Europe est mortelle, elle peut mourir", a-t-il affirmé, appelant à une "Europe puissante" dans un monde en ébullition avec la montée des tensions avec la Chine, la Russie, l'Iran, la recrudescence de la "concurrence américaine ou asiatique" à coup de "sur-subventions". 

Officiellement, le discours n'était pas lié au contexte des élections européennes. Mais à un mois et demi du scrutin, alors que le parti présidentiel est à la peine dans les sondages, le chef de l'Etat est entré de plain-pied dans le débat, évoquant un "moment décisif". "Les idées européennes ont gagné le combat gramscien. Tous les nationalistes à travers l'Europe n'osent plus dire qu'ils vont sortir de l'euro et de l'Europe. Mais ils nous ont tous habitués à un discours qui est le 'oui mais' (…). Ils ne proposent plus de sortir de l'immeuble ou de l'abattre. Ils proposent juste de ne plus avoir de règle de copropriété", a-t-il tancé.

Souveraineté européenne

Ce discours s'inscrit dans une série d'initiatives qui, ces derniers temps, sont venues appuyer le projet fédéraliste. L'ancien président de la Banque centrale européenne (BCE) et ancien Premier ministre italien Mario Draghi, qui s'apprête à remettre à la Commission européenne un rapport sur la compétitivité de l'Union européenne, a déjà annoncé la couleur :  si l'Europe veut faire face aux enjeux actuels, elle doit se muer en Etat. Il y a aussi le rapport d'Enrico Letta (autre ancien chef du gouvernement italien) sur la modernisation du marché unique (qui a fêté ses trente ans l'an dernier), auquel le président français s'est référé à plusieurs reprises. Dans son rapport remis au Conseil de l'UE la semaine dernière, Enrico Letta plaide pour une consolidation du marché unique dans les télécoms, l'industrie de défense, l'énergie, les finances... Mais il n'entend pas s'arrêter en chemin. Etats-Unis et Europe partagent la "même vision du monde" et doivent commencer à travailler à un "marché unique transatlantique", a-t-il avancé.

Devant une assistance acquise à sa cause, au sein de laquelle figurait le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, le chef de l'Etat s'est d'abord félicité des progrès accomplis "ces sept dernières années". Malgré une "conjonction de crises" telles que le Brexit, la pandémie ou la guerre en Ukraine, "rarement l’Europe n'aura autant avancé", s'est-il félicité, citant en particulier l'endettement commun qu'il avait lui-même défendu au côté d'Angela Merkel. Mais il faut aller plus loin vers la "souveraineté européenne", concept qu'il avait lancé dans cette même enceinte et qui s'est "imposé en Europe".

Un "grand plan d'investissement collectif"

A l'aube d'une nouvelle mandature, Emmanuel Macron a invité ses homologues à avancer sur les questions de défense, à bâtir une "initiative européenne de défense", une "capacité européenne de cybersécurité et de cyberdéfense" et a plaidé pour une "préférence européenne dans l'achat de matériel militaire".

Il a par ailleurs listé cinq secteurs stratégiques dans lesquels l'Union européenne va devoir s'affirmer d'ici à 2030 : intelligence artificielle, informatique quantique, espace, biotechnologies et "nouvelles énergies" (hydrogène, réacteurs modulaires et fusion nucléaire). Emmanuel Macron a aussi annoncé des financements dédiés sur ces cinq secteurs, pour répondre aux sur-subventions chinoises et américaines. 

L'Europe doit se donner des "capacités à investir", a-t-il dit, parlant d'un "mur d'investissement" à venir, évalué entre 650 et 1.000 milliards d'euros. Et d'appeler à un "grand plan d'investissement collectif budgétaire". "C'est maintenant, dans la décennie qu'il faut faire cet investissement massif", ce qui implique un "changement de paradigme dans nos règles collectives", a-t-il dit, remettant la question des ressources propres sur la table mais aussi la mobilisation de l'épargne.

Accompagner les personnes et territoires dans les transitions sociales

Emmanuel Macron a aussi proposé de créer un "programme européen des solidarités" qui s'appuierait sur le Fonds social européen (FSE) et viendrait "accompagner les initiatives des Etats membres sur toutes les précarités et permettrait d'accompagner de manière sociale les transitions". Ce qui impliquerait des "instruments nouveaux" pour soutenir "les personnes et les territoires dans cette transition sociale".

Il a par ailleurs défendu la réciprocité dans les accords commerciaux et loué le Ceta avec le Canada, récemment rejeté par le Sénat. On retiendra aussi son appel à ce que l'Europe retrouve la maîtrise de ses frontières et "l'assume". "Je veux que le Conseil Schengen devienne un véritable conseil de sécurité intérieure de l'Union", a-t-il avancé.

Il a parallèlement défendu "l'humanisme" comme valeur singulière de l'Union européenne et pivot de son fonctionnement démocratique. "Etre européen, ce n’est pas simplement habiter une terre de la Baltique, de la Méditerranée ou de l’Atlantique à la mer Noire, c’est défendre une certaine idée de l’homme qui place l’individu libre, rationnel et éclairé au-dessus de tout", a-t-il estimé. Il a appelé à "aller vers la majorité qualifiée" en matière de politique étrangère et de fiscalité et affirmé sa volonté de "renforcer" la conditionnalité du versement des aides européennes au respect de l'Etat de droit. "L'Europe n'est pas un guichet dans lequel on accepte de choisir les principes", a-t-il dit. Il s'est livré par ailleurs à une violente charge contre les réseaux sociaux et les campagnes de "désinformation" qui ne contribuent pas à un choix éclairé lors des élections… Il a plaidé pour que la majorité numérique dans l’Union européenne passe à 15 ans. "Parce que c'est un accès, si on n'en contrôle pas les contenus, qui est le fruit de tous les risques et des déformations d'esprit, qui justifient toutes les haines."

 

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